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Moyen-Orient : évolutions récentes de la guerre en Syrie

Le conflit syrien se poursuit de la manière la plus rude. Il concerne désormais tous les pays de la région, selon des alliances antagonistes : l'Iran continue de soutenir fortement Bachar Al-Assad, tandis que l’Égypte, la Turquie, l'Arabie Séoudite et le Qatar jouent un rôle essentiel en faveur des rebelles. Ces derniers demeurent très divisés, et chaque faction n'est pas encouragée par les mêmes États. Le Liban et la Jordanie, principalement le premier, sont en voie de contamination par le conflit. L'Irak demeure en guerre civile larvée, le pouvoir chiite de Bagdad favorise le régime de Damas, assurant l'acheminement de matériels militaires et volontaires iraniens, par voie aérienne et terrestre, tandis que les rebelles sunnites de l'Ouest de l'Irak appuient leurs coreligionnaires insurgés syriens, par une frontière de facto ouverte et largement aux mains de la rébellion. L'Entité Sioniste encourage le chaos général, sans qu'il faille lui attribuer nécessairement, concrètement, un rôle essentiel ; tout soutien trop voyant à un des intervenants arabes la discréditerait complètement, donc elle s'en abstient. Elle aspire donc à la poursuite de l'atomisation de ses voisins septentrionaux, la Syrie et le Liban, laissant s'accomplir l'autodestruction de ses adversaires potentiels, qui n'ont pas besoin d'encouragements. Les quelques bombardements menés en Syrie ont visé les réserves en armes lourdes, missiles à longue portée, de son ennemi principal, le Hezbollah libanais.
La semaine dernière les forces gouvernementales syriennes, avec l'aide active et essentielle du Hezbollah, formation politique et militaire chiite libanaise, ont repris la ville stratégique de Qousseir (parfois orthographiée Quseir ou Qusair, avec de nombreux sites homonymes en Syrie même), à la frontière entre la Syrie et la Liban, à proximité de la grande ville disputée de Homs. Elle servait jusqu'ici de place logistique importante pour les rebelles sunnites syriens de la Vallée de l'Oronte, avec des flux d'armes provenant des régions sunnites du Nord du Liban. Il s'agit d'un indiscutable succès local, mais il faut se garder de tout triomphalisme. Les lignes logistiques essentielles des rebelles passent par la Turquie, avec une très longue frontière qu'ils contrôlent assez largement, et, chose plus récente, la Jordanie, avec une arrivée massive d'armes, de fonds, de "volontaires" salafistes ou mercenaires financés par le Qatar, dans la région de Deraa, en une proximité dangereuse de la capitale syrienne Damas. L'Etat jordanien, très endetté, sous perfusion financière des Pays du Golfe, a fini par céder à leurs exigences ; le potentiel de déstabilisation interne est pourtant évident, tant il devient difficile de combattre à la fois le salafisme en Jordanie, opposé à la monarchie hachémite, et le soutenir en Syrie à partir de bases jordaniennes ; c'est un très dangereux calcul de court terme.
La rébellion ne progresse plus pour l'instant en particulier du fait de ses divisions internes criantes. Les salafistes armés, en particulier les Brigades Al-Nosra, tendent à s'imposer à la place de la déjà assez théorique et peu unie « Armée Syrienne Libre », y compris en combattant les unités de cette dernière, tout autant sinon davantage que les forces loyalistes. Les salafistes préfèrent s'assurer de leur victoire, celle de leur cause, non d'un conglomérat anti-Assad illisible, et n'hésiteront pas le cas échéant à prolonger le conflit. Les forces armées salafistes, reçoivent donc des soutiens de toute nature, essentiels, du Qatar et de l'Arabie Séoudite, y compris médiatiques : sont multipliés les reportages complaisants à leur endroit diffusés dans le monde entier par les chaînes mondialement diffusées, en arabe et anglais, Al-Jazeera du Qatar et Al-Arabiya d'Arabie Séoudite. Ces deux États rivalisent quelque peu, soutiennent concrètement des groupes armés différents, qui défendent toutefois un projet de société semblable, ultra-rétrograde, une Syrie qui ne serait peuplée que de musulmans sunnites de l'obédience la plus stricte, c'est-à-dire wahhabite ; les nouvelles autorités salafistes imposeraient la disparition de toutes les importantes minorités non-sunnites, formant de l'ordre du quart ou du tiers de la population du pays, à commencer par les Alaouites encore au pouvoir, secte d'origine chiite très particulière, les Chiites, les Druzes, les Chrétiens, qui n'auraient le choix qu'entre l'exil, la mort, la conversion forcée. Voilà le véritable drame humanitaire en préparation, non une bien hypothétique victoire de Bachar Al-Assad, qui serait la meilleure chose à souhaiter à la Syrie ; évidemment, elle s'accompagnerait d'une dure répression, mais le comptage macabre serait hors de proportion avec celui d'une victoire des salafistes, du reste fort capables aussi de se battre entre eux, avec les encouragements persistants des parrains du Golfe, en un scénario catastrophique à la somalienne, loin d'être exclu.
La principe force armée théoriquement unifiée demeure encore pour l'instant l'Armée Syrienne Libre. UASL traverse des difficultés ces dernières semaines sur le terrain, reculant quelque peu face aux forces gouvernementales et aux salafistes. Elle se prétend, pour la presse internationale occidentale, multicon-fessionnelle, favorable à une démocratie aux normes onusiennes — du bout des lèvres d'ailleurs — ; en fait, elle a fondamentalement pour projet une Syrie gouvernée par les seuls Sunnites, clairement majoritaires il est vrai, selon l'idéal politique des Frères Musulmans, aujourd'hui au pouvoir en Egypte, à la présidence avec Mohamed Morsi comme au parlement. Contrairement aux salafistes, les non-sunnites seraient provisoirement tolérés, en attendant leur départ ou leur conversion au sunnisme, après des années et des années de persécution larvée, semblable à celle que subissent les Chrétiens en Egypte depuis les années 1970, avec l'acquiescement muet de Sadate puis Moubarak. Cette ASL bénéficie du soutien privilégié de l'Egypte et de la Turquie, puisque l'AKP au pouvoir est animé par une philosophie politico-religieuse très proche, même si l'origine cairote s'avère inavouable en une Turquie très nationaliste, y compris en sensibilité islamiste. Dans la fiction juridique de la prétendue « communauté internationale », l'ASL formerait l'armée de l'Etat syrien "légitime" reconnu autour d'un gouvernement en exil : or, les personnalités syriennes extérieures, ayant pour seul trait commun l'opposition à Bachar Al-Assad, se montrent obstinément incapables de se donner même un semblant d'unité de façade, leur intérêt ô combien évident pourtant, qui serait répercuté par les média si complaisants du Système, lors de ces multiples conférences dites des « Amis de la Syrie » - le titre para-maçonnique imposé par Fabius et Hollande forme une antiphrase flagrante avec la réalité -.
Tout ceci n'augure rien de bon en cas d'intervention militaire mordicus des forces otanesques, bien capables de passer outre le probable veto russe au Conseil de Sécurité de l'ONU, qui pourrait se déclencher brusquement, d'un jour à l'autre. Constatons que, s'il ne s'agit pas ici de chanter systématiquement les louanges de Poutine, au bilan et à la personnalité contrastés, comme certains nationalistes français enthousiastes - encore que cela ne nous dérange pas, contrairement à Tsahal ou aux salafistes selon des goûts bien plus douteux -, il a su développer une position cohérente, une analyse simple et juste : si Bachar Al-Assad, qu'il continue finalement - il avait prononcé il y a un an quelques propos distanciés inquiétants - à soutenir concrètement par la fourniture vitale d'armes russes, était renversé, selon tous les scénarios envisageables, de manière raisonnable, la situation en Syrie serait bien pire pour tous les habitants du pays et l'ensemble de la région, déstabilisée. La recherche de prétextes pour les bellicistes otanesques se poursuit, avec la France de Hollande hélas particulièrement en pointe, en reprenant obstinément le thème des armes chimiques, en particulier du gaz sarin - certainement utilisé par les rebelles salafistes -, de la crise humanitaire majeure à venir qui appellerait la mise en place de corridors de "sécurité" protégés par des casques bleus armés. Derrière un prétexte en apparence louable - qui serait contre une aide humanitaire massive dans un contexte protégé ? -, neutre, la constitution de zones rebelles sécurisées permettrait concrètement l'approvisionnement massif en armes des rebelles, selon un schéma déjà éprouvé en Bosnie-Herzégovine de 1993 à 1995, avec une armée mahométane bosniaque soutenue à bout de bras jusqu'à sa victoire de 1995 ; avec le recul, il est devenu clair que les Serbes de Bosnie avaient eu bien raison de se méfier de ces casques bleus, et même d'en capturer certains, même s'ils ont maladroitement géré médiatiquement la chose à l'époque.
François Hollande est nul, on le sait depuis un moment ; mais il est aussi dangereux. En visite en Libye, il vient d'obtenir l'autorisation du gouvernement fantoche local d'envoyer les troupes spéciales françaises combattre le salafisme bien implanté dans le Fezzan - résultat du bellicisme sarkozyste précédent -, ce qui accroît encore le champ d'action déjà aberrant pour des régiments excellents certes, surtout limités en effectifs, de plus en plus épuisés par une course permanente sans fin de l'Atlantique au Lac Tchad ; à l'évidence, un jour, quelque part dans le vaste désert, une embuscade salafiste réussie causera un drame, avec des dizaines de morts.
Cette guerre africaine est déjà beaucoup trop ambitieuse pour l'armée française, qui subit de plein fouet les coupes budgétaires massives, qu'il s'agirait donc en plus d'envoyer faire la guerre en Syrie, pour le triomphe de facto des salafistes combattus par ailleurs au Sahara. C'est complètement fou ! Folie des grandes lignes, ou des détails, avec par exemple toute la famille malienne salafiste du djihadiste Gilles Le Guen rapatriée en France, qu'il eût fallu à l'évidence laisser dans le Mali de leur cœur, et laisser gérer par les autorités locales à leur convenance. Même le Britannique Cameron suit moins, a fortiori l'essentiel Obama, car sans l'hyperpuissance américaine la surexcitation française demeure heureusement peu crédible au Moyen-Orient ; tous pourraient être cependant entraînés à la guerre par le thème du drame humanitaire, causé par les rebelles syriens en fait.
LA CONTAMINATION DE LA GUERRE CIVILE SYRIENNE AU LIBAN
Le Liban est désormais victime à son tour de combats réguliers, prolongements directs du conflit syrien, sans que pour l'instant heureusement tout le pays soit touché, tandis que l'intensité des affrontements demeure modérée. Le Liban est divisé en trois communautés principales, représentant un peu moins du tiers de la population, chrétienne, chiite, sunnite ; il s'y ajoute surtout des Druzes. Sur le plan politique, les Chiites dirigent un bloc, autour de leur parti-armé le Hezbollah, présidé par Hassan Nasrallah depuis 1992, appelé « mouvement du 8 mars », rejoint par une moitié des chrétiens, dont le général Aoun et son Courant Patriotique Libre. Les sunnites contrôlent le bloc politique antagoniste autour du « Courant lu Futur », bâti par la famille Hariri (après la mort de Rafic Hariri en 2005, ancien Premier ministre et grand ami du président français l'alors Chirac), cœur du « mouvement du 14 mars » rejoint par une autre moitié des chrétiens, subdivisés en un grand nombre de petits partis structurés le plus souvent autour des grandes familles traditionnelles - les Gemayel, Chamoun, Eddé, Geagea, etc. -. Les Druzes, suivant traditionnellement et très majoritairement la famille Joumblatt et leur Parti Socialiste Progressiste, louvoient, soutenant toujours le bloc le plus fort, donc jusqu'il y a peu celui du Hezbollah, avec des tiédeurs récentes assez fortes. Les deux blocs prétendent incarner les véritables intérêts nationaux du Liban, se réclament de l'antisionisme ; seul le Hezbollah occupe actuellement la ligne de front en Haute-Galilée, sans qu'il faille voir pour autant dans les Futuristes des zélateurs mal dissimulés de Tel-Aviv. Le Hezbollah contrôle directement plus de la moitié du Liban, le Sud face à l'Entité Sioniste, et l'Est avec la plaine de la Bekaa, les Sunnites que des enclaves côtières dont Saïda et Tripoli, les chrétiens le canton de Jounieh, entre Beyrouth et Tripoli, subdivisé lui-même en zones antagonistes aounistes (et alliées) et futuristes, tandis que les druzes contrôlent des enclaves montagneuses au Sud-Est de Beyrouth. Sur le plan extérieur, le Hezbollah prône l'alliance avec l'Iran, le courant du Futur celle avec l'Arabie Séoudite.
Dans la guerre civile syrienne, le Hezbollah intervient, de plus en plus nettement, relativement tardivement selon certains, en alignant désormais sur le terrain des milliers de combattants, en faveur de Damas. Pour l'instant, le Courant du Futur n'est pas aussi directement impliqué, en tant que tel sur le terrain, mais soutient massivement l'Armée Syrienne Libre, grossie de volontaires sunnites libanais ; il y a peut-être un jeu complexe concernant les salafistes tacitement tolérés depuis peu, envoyés éventuellement délibérément se faire tuer dans le pays voisin pour soulager le Liban ; enfin les Frères Musulmans, à l'origine marginaux dans le Courant du Futur, connaîtraient un succès croissant, de nature à amoindrir l'hégémonie de la famille Hariri ; de même, les Chrétiens futuristes, à l'origine farouchement anti-Assad, largement du fait de haines terribles héritées de la guerre civile libanaise (1975-1990) et de l'occupation syrienne (1990-2005), se montrent de plus en plus gênés face aux pogroms antichrétiens qui ont indiscutablement lieu dans les zones contrôlées par les rebelles syriens. Tout ceci est bien compliqué ; au sein même des blocs, particulièrement celui du Courant du Futur, existent donc des concurrences plus ou moins déclarées, favorisant bien plus la surenchère belliciste que la responsabilité. Il faut ajouter le problème des camps palestiniens, toujours là depuis des décennies, villes fermées dans les villes, avec des centaines de milliers d'habitants, massivement sunnites, souvent armés, avec toutefois l'opposition entre des mouvements politico-militaires traditionnellement liés aux autorités de Damas, legs de la guerre civile libanaise et l'occupation syrienne, et des foules plutôt nettement favorables aux insurgés sunnites, de l'ASL aux salafistes ; des combats ont désormais lieu régulièrement entre Palestiniens à l'intérieur des limites étroites des camps ; le Hamas, jusqu'à l'hiver 2011-2012 ferme soutien de Damas, à la présence essentielle dans les camps, a basculé de l'autre côté, aidé en cela à Gaza comme à l'étranger dont le Liban par de nouveaux financement qataris massifs. La très hypothétique reconquête de la Palestine en est d'autant plus renvoyée aux calendes grecques. Les affrontements principaux ont eu lieu pour l'instant autour d'enclaves dans les zones sunnites, à Tripoli, avec les rares Alaouites du Liban, ou à Saïda, avec les quartiers périphériques chiites de la ville sunnite. Les affrontements ont pour l'instant heureusement épargné Beyrouth, où les manifestations antagonistes se succèdent, demeurent pacifiques, comportant dans chaque sens des centaines de milliers de personnes, foules considérables dans un Liban de 4 millions d'habitants. Mais la situation peut gravement dégénérer à tout instant.
Le Liban est donc divisé en deux blocs, qui possèdent aussi des forces parlementaires à peu près égales, reste donc complètement paralysé politiquement depuis plusieurs années, avec des gouvernements éphémères à la recherche permanente d'une majorité. Le compromis national, jamais facile, semble se révéler particulièrement impossible depuis deux ans avec chaque bloc soutenant énergiquement un camp antagoniste de la guerre civile syrienne voisine. Le Premier ministre actuel, sunnite comme le veut la constitution, Tammam Salam, du Courant du Futur, depuis avril, ne réussira pas mieux que son prédécesseur immédiat Najib Mikati, qui était du reste réputé plus consensuel. Un enjeu immédiat est constitué par les élections législatives, en principe imminentes ; or, outre quelques combats perturbateurs, elles ne peuvent concrètement guère se tenir faute de loi électorale. En cas de passage en force gouvernemental ou parlementaire, organisant mordicus les élections suivant par défaut la loi électorale précédente, l'abstention massive du bloc se sentant lésé ne résoudrait pas, au contraire, la crise politique actuelle. Alors que des notables de chaque communauté pourraient peut-être finir par s'entendre, il y a lieu de craindre le pire avec des dizaines de députés répercutant les cris de leurs électeurs surexcités ; comme quoi, il est faux de croire que la démocratie conduirait ipso facto à la paix, ce serait même plutôt le contraire - suivant la leçon de nombreux cas africains, en sus du Liban -.
La reprise de la guerre civile libanaise est certes annoncée comme imminente depuis 2008, avec déjà des arguments sérieux. Le risque paraît bien supérieur encore aujourd'hui. Le Hezbollah paraît encore en situation de force, avec en comptant les réservistes entraînés peut-être des dizaines de milliers d'hommes à sa disposition, ainsi qu'un armement lourd. Toutefois sa supériorité probable est moins écrasante aujourd'hui. Depuis 2010 à peu près, ont été renforcées de manière considérable des milices sunnites souvent semi-clandestines, mais très réelles, là encore bénéficiant du soutien logistique essentiel de l'Arabie Séoudite et du Qatar. Les chrétiens, très en retard sur les autres communautés dans la reconstitution de milices, se battraient à nouveau les uns contre les autres, ou plutôt fuiraient massivement le seul Etat arabe où ils avaient été majoritaires jusqu'aux années 1950. L'armée libanaise, peu puissante, éclaterait à nouveau ; la grande majorité chiite des soldats rejoindrait plutôt le Hezbollah.
Scipion de SALM. Rivarol 14 juin 2013

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