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Les droits de l’homme, nouveau colonialisme ?

L’Europe a rompu avec sa tradition colonisatrice pour ensuite verser dans un tiers-mondisme lacrymal. Aujourd’hui, à l’heure de la « repentance », on a l’impression que les néo-évangélistes des droits de l’homme ont remplacé les Pères blancs de jadis. Éternel retour ?
Au XIXe siècle, la colonisation fut le fait de ceux qu’on a appelés les « trois M » : les militaires, les missionnaires et les marchands. Les marchands se sont souvent enrichis, ce qui n’a pas été le cas de l’État (la colonisation a toujours coûté plus cher à la métropole qu’elle ne lui a rapporté). Les missionnaires n’ont pas trop mal réussi, puisque les deux tiers des catholiques de la planète sont aujourd’hui des habitants du tiers monde. Les militaires livrent désormais des guerres d’agression rebaptisées « interventions humanitaires » ou « opérations de police internationale ». Quant à la repentance, elle devrait en toute logique être surtout pratiquée dans les milieux de gauche puisque, à l’époque de Jules Ferry, le colonialisme était clairement une idéologie de la gauche laïque : au nom de l’universalisme du progrès, il s’agissait d’aider les « races inférieures » à combler leur « retard » en les faisant accéder aux « révélations des Lumières ».
Mais chacun sait bien que la colonisation peut revêtir des formes très diverses : politique, économique, technologique, culturelle, idéologique, etc. De ce point de vue, il n’y a aujourd’hui plus guère de pays qui puissent se dire indépendants. La colonisation, enfin, est un terme qui se rapporte en toute rigueur au peuplement, et non à la conquête. La France n’y a procédé qu’en deux occasions : en Algérie (avec conquête) et au Québec (sans conquête). Savez-vous qu’à l’apogée de l’Empire français, l’Algérie mise à part, il n’y a jamais eu plus de 500.000 Français vivant dans les colonies ? Aujourd’hui, les populations originaires de notre ancien empire colonial comptent en France plus de six millions de personnes, naturalisés compris, soit douze fois plus. Ce contraste numérique remet certaines choses en place.

Dans votre livre « Au-delà des droits de l’homme », vous assurez qu’il ne s’agit que d’un néocolonialisme n’osant pas dire son nom. D’où, chez nous, cet amour de « l’Autre », porté aux nues dès lors qu’il cherche à nous ressembler, mais détestable lorsque persistant à revendiquer son propre modèle…
Depuis qu’il s’est converti à l’universalisme, l’Occident a toujours regardé ses valeurs spécifiques comme des valeurs « universelles », qu’il se trouvait dès lors légitimé à imposer au monde entier. Dans le tiers monde, on a d’abord voulu faire adorer le « vrai Dieu » (unique, bien sûr), après quoi on a prétendu apporter la « civilisation », le « progrès », la « démocratie » et le « développement ». L’idéologie des droits de l’homme n’échappe pas à la règle. Alors qu’elle est historiquement et géographiquement parfaitement située, elle prétend chapitrer la planète au nom d’un homme abstrait, d’un homme de partout et de nulle part. Les États-Unis en sont tout naturellement les premiers champions puisque, pour eux, les Africains ne sont que des Occidentaux à la peau noire, et les Européens des populations américanisables parlant (provisoirement) une langue étrangère. C’est ce qui explique leurs déboires en politique internationale. Le monde ne sera compréhensible pour eux que lorsqu’il aura été totalement américanisé.
C’est en raison de leur universalisme que les Occidentaux ont autant de mal à comprendre (et à admettre) l’altérité. Leur conviction profonde consiste à penser ou à croire que les différences entre les cultures et les peuples sont transitoires, secondaires, solubles dans le folklore ou franchement nuisibles. En d’autres termes, ils n’admettent « l’Autre » que dans la mesure où ils croient pouvoir démontrer que « l’Autre » est « comme tous les autres », c’est-à-dire qu’il est en fait le « Même ». Un certain égalitarisme, qui fait de l’égalité le synonyme de la « mêmeté », pousse dans ce sens. C’est une autre forme de racisme : faute de faire disparaître les différents, on dévalue les différences (entre les peuples comme entre les sexes) en les tenant pour illusoires ou négligeables. L’universalisme politique, la revendication d’un « droit à l’indifférence » et l’idéologie du genre confluent dans cette même aspiration à l’indifférenciation, qui n’est au fond qu’un désir de mort.

Syndrome du shah d’Iran ou de Kemal Atatürk : obliger ses compatriotes à adopter une culture étrangère… Dans le même temps, nombre de Français sont quotidiennement confrontés à une présence de plus en plus massives d’immigrés de confession musulmane et de culture maghrébine. Comment conserver sa culture ?
Je n’ignore bien sûr aucune des pathologies sociales nées de l’immigration. Mais je ne suis pas de ceux qui jettent de l’huile sur le feu ou prennent plaisir à souffler sur les braises en rêvant d’une guerre civile, pas plus que je ne suis de ceux qui, sans peur du paradoxe, reprochent aux immigrés de ne pas s’assimiler tout en déclarant hautement qu’ils sont inassimilables. Ce n’est certainement pas de la faute des immigrés si les Français « de souche » ne savent plus en quoi consiste leur identité et comment ils pourraient la transmettre. Pour le dire autrement, ce n’est pas tant dans l’identité des autres que je vois une menace pour la nôtre que dans le système à tuer les peuples qui les menace toutes. Notre identité serait tout aussi menacée s’il n’y avait pas d’immigration, parce que l’idéologie dominante de l’ère postmoderne, le capitalisme en tant que « fait social total » (Marcel Mauss) est intrinsèquement destructrice de toutes les identités collectives.
Ce qui demeure, c’est un conflit de valeurs. Quand une musulmane déclare que le port du foulard islamique est une façon pour elle de préserver sa dignité de femme, alors que pour beaucoup d’Occidentaux ce même foulard est une atteinte à la dignité de la femme, il est clair que l’on est dans un dialogue de sourds. « L’Autre », c’est celui qui a des valeurs autres. Toute valeur ne vaut que par rapport à ce qui ne vaut pas. La différence entre les valeurs et les intérêts, c’est que les premières ne sont pas négociables.

Alain de Benoist  http://www.voxnr.com

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