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Turquie-Arménie les vrais enjeux de l'accord de Zurich (ARCHIVE 2009)

L'ACCORD présenté comme historique entre la Turquie et l'Arménie tombe bien. Il met la « Saison de la Turquie en France » à l'abri d'une vaste mobilisation de la communauté arménienne. On va donc pouvoir célébrer cette Turquie qui, comme tout le monde le sait, enrichit l'Europe avant de la rejoindre un jour.

TURQUERIES PARISIENNES... 
Que le but de cette Saison soit de favoriser la « marche turque » vers l'Ouest malgré les positions médiatiquement et électoralement hostiles du président français est une évidence qu'il est facile de prouver. Le titre de l'exposition du grand palais est suffisant : « De Byzance à Istanbul ». Et voici présentées comme une continuité une fracture et une déchirure définitives qui passent Constantinople par profits et pertes. Comment ne pas rappeler le mot admirable de Jean Raspail ? « La chute de Constantinople est un drame et un deuil personnel qui sont survenus hier. »
À la chute de l'empire ottoman dont le dernier exploit a été le génocide des Arméniens, précédant le massacre des Grecs de Smyrne, il aurait été possible de rendre à la chrétienté l'ancienne capitale orientale de l'Empire romain. La lâcheté des uns et la pugnacité de Mustapha Kemal ont empêché cette "reconquista". Mais si Sainte-Sophie est restée sous le joug turc qui l'a réduite au rang de simple musée, ce n'est pas une raison pour peindre la Tour Eiffel aux couleurs des Asiates d'Anatolie. « Non à la Tour Eiffel turque ! » dénonçait dans un communiqué Jean-Marie Le Pen, qui entend marquer son « attachement à une France Bleu Blanc Rouge » et son refus d'une intégration de la Turquie dans l'Union européenne cependant que Marine Le Pen et le chef de file du parti pour les élections régionales en Ile-de-France Marie-Christine Arnautu dirigeaient une manifestation d'élus pour protester contre cette initiative du maire socialiste de Paris Bertrand Delanoë et que les ldentitaires réalisaient la prouesse d'illuminer au même moment la façade du Palais de Chaillot, juste en face de la tour Eiffel, du slogan lumineux : « La Turquie ! Non merci ! »
En riposte, le parti turc a lui aussi donné de la voix, dans Le Monde bien entendu. « Va-t-on enfin rompre, dans la vision de ce grand pays, avec les clichés, les préjugés, le mépris, au mieux l'ignorance, qui polluent le débat sur l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne ? Nous l'espérons de toutes nos forces. » s'interrogent en chœur :
Michel Rocard, Jacques Delors, Luc Ferry, anciens ministres, ainsi qu'Edgar Morin et Alain Touraine, sociologues, comme ils se présentent dans le quotidien vespéral. Certes, ces personnalités reconnaissent que, pour répondre aux valeurs européennes, la Turquie a beaucoup à faire, en commençant par assumer sa repentance vis-à-vis des Arméniens... Ce qui est une condition sans doute nécessaire mais loin d'être suffisante, et un leurre pour nous faire avaler le reste.
On nous présente donc le dernier accord comme une étape importante sur ce chemin alors même que cet accord - dont nous annoncions ici la prochaine ratification le 15 mai dernier - a été signé non sans difficulté. Le samedi 10 octobre, à Zurich, la signature de normalisation diplomatique entre la Turquie et l'Arménie est restée en suspens. Un ultime blocage, côté arménien, sur les termes du discours que le ministre turc des Affaires étrangères, Ahmet Davutoglu, devait prononcer, a fait planer le doute sur la cérémonie. Après un ultime conciliabule d'une heure et demie, et la décision de supprimer les discours, le texte a finalement pu être ratifié. Le premier objectif est d' ouvrir la frontière commune dans un délai de deux mois après la ratification par les Parlements des deux pays. Il peut donc y avoir des surprises. « Il y avait des inquiétudes des deux côtés (...). Des questions d'interprétation sur ce qui devait être dit et ne pas être dit », a commenté Mme Clinton qui se présente comme le maître d'œuvre de cet accord. « Et ce sera difficile », a-t-elle ajouté.
La principale difficulté ne vient pas du génocide passé mais du problème très présent du Haut-Karabakh. Le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, a immédiatement réaffirmé la position de son pays liant toujours l'ouverture de la frontière turco-arménienne à un règlement du conflit dans cette enclave. Pour les Azéris turcs et turcophones, l'accord de Zurich est une trahison « en contradiction frontale avec les intérêts nationaux de l'Azerbaïdjan ». Une entrevue avait bien eu lieu, le 9 octobre, entre Serge Sarkissian et Ilham Aliev, les présidents arménien et azerbaïdjanais, mais elle n'a permis aucune avancée. L'accord est également contesté par une minorité en Arménie. À l'appel du parti nationaliste Dachnak, plusieurs milliers de personnes ont défilé dans les rues d'Erevan, la capitale, réclamant que la Turquie reconnaisse préalablement le génocide de 1915, ce qui n'est pas le cas, le gouvernement d'Ankara ayant renvoyé la résolution de la question à un comité d'experts. Le Parlement européen a reconnu le génocide arménien le 18 juin 1987. La non-acceptation de ce vote devrait logiquement fermer à Strasbourg la route de Bruxelles.

... ET ENJEU ÉNERGÉTIQUE
Mais il y a tous les non-dits. En Turquie, la préoccupation première n'est certes pas l'Arménien mais le Kurde. Tout l'été, par exemple, une polémique s'est développée, en Turquie même, à propos de l'ampleur des réformes que le gouvernement allait proposer aux Kurdes, tout en écartant bien sûr les révolutionnaires du PKK. Même les chefs militaires ont dû s'incliner, à l'inverse des dirigeants du parti kémaliste, devant la nécessité de certaines évolutions.
Mais l'enjeu arménien est aussi stratégique et énergétique. La Russie et les Etats-Unis surveillent le rapprochement entre Erevan et Ankara. L'enjeu principal de cette ouverture est la sécurisation de l'approvisionnement en hydrocarbures. « Moscou et Washington restent en concurrence pour l'accès aux ressources, mais elles ont un intérêt commun : éviter une crise dans la région », décrypte Ali Faïk Demir, spécialiste du Caucase à l'université stambouliote de Galatasaray et cité par Le Figaro. La réalisation de cet objectif passe par la revitalisation d'un axe tripartite Azerbaïdjan-Arménie- Turquie. La guerre en Géorgie durant l'été 2008 est venue rappeler la fragilité du Sud-Caucase et les risques d'effet domino en laissant persister des zones de tensions dans la région. Les ratifications parlementaires entraîneraient un mouvement de frontières.
L'armée russe aurait renoncé au vieux rêve de la Russie depuis Catherine II : pousser ses frontières au-delà de l'Araxe et vers les mers chaudes. La détente arméno-turque pourrait constituer un premier test concret de la politique d'ouverture et des messages de bonne intention que s'échangent les administrations Obama et Medvedev. L'OTAN va-t-elle profiter de ce possible virage géopolitique pour pénétrer davantage l'isthme caucasien et s'y appuyer pour consolider sa logistique en direction de l'Afghanistan ?

MENACE POUR L'IRAN
Le drame arménien reste décidément le même, celui d' être un maillon relativement faible d'affrontements régionaux dans un environnement ethnique et religieux hostile. Historiquement, dès que la Russie et la Turquie se sont rapprochées, le nationalisme arménien a été sous pression. En cas de normalisation turco-arménienne, le flanc septentrional de l'Iran serait affaibli car les Iraniens voient dans la poussée turque au Caucase une victoire des USA.
Nabucco, le projet énergétique occidentalo-turco-azéri, avance peu à peu. Une fois les conflits surmontés, les artisans du gazoduc censé relier l'Asie centrale à l'Autriche peuvent imaginer d'autres routes que l'axe géorgien, déstabilisé depuis la guerre des cinq jours entre la Russie et la Géorgie. Les Européens, notamment la France, défendent l'axe arménien, mais le passage de Nabucco par l'Arménie nécessite au préalable la normalisation de ses relations avec la Turquie.
On voit bien que le rapprochement, réel ou non, entre la Turquie et l'Arménie dépasse et de loin le contentieux historique hérité de la Sublime Porte et les turqueries parisiennes de la saison enturbannée du grand mamamouchi Delanoë.
Pierre-Patrice BELESTA. Rivarol du 23 octobre 2009

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