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La revanche de l’Orient barbare par Claude BOURRINET

Ce qui semble marcher, à savoir l’écho, sur la Toile, d’actions visant la communauté immigrée en France, succès d’ailleurs relatif, mais réel, en tant qu’il rencontre une réelle souffrance de la part des Français d’origine, conduit à une somme d’erreurs d’appréciations à terme très dangereuses, dont il sera difficile de se relever. C’est non seulement notre intégrité physique qui est en jeu (la destruction de l’Europe en tant que civilisation n’étant pas improbable, la Seconde Guerre mondiale étant en l’occurrence une préfiguration de ce qui nous attend), mais c’est aussi, et surtout, notre liberté en tant que peuple. En soutenant, avec une frénésie qui augure mal sur les capacités à se remettre en question, les partisans d’un atlantisme conquérant et sûr de soi, les « Identitaires » contribuent au déclin de notre patrie européenne.

Je ne pense pas qu’un « pôle » plus clairvoyant sur la nature des liaisons dangereuses entre droite extrême et sionisme aurait quelque poids. Quand Zeus veut perdre un homme, il le rend fou et aveugle. Malheureusement, je ne vois pas la solution. Autant que j’aie pu comprendre quelque chose à l’histoire confuse de l’extrême droite, une grande partie du mouvement Occident appuyait déjà Israël, y voyant soit une arme contre l’invasion arabe, et l’avant-garde occidentale en terre de conquête, soit, plus cyniquement, un habile dérivatif pour déverser au Proche-Orient le trop plein israélite qui pesait trop, selon elle, sur la France et l’Europe. La seconde hypothèse était pour le moins naïve (les Juifs n’étant pas si stupides pour abandonner une carte majeure, et jouant d’ailleurs efficacement sur les deux plans), et la première est en voie de se concrétiser pleinement, avec l’occupation néo-coloniale de l’Irak, de l’Afghanistan, et demain peut-être de l’Iran, et la domestication de l’Égypte et d’autres puissances moins importantes de la région.

Il faut se rendre à l’évidence que la France et l’Europe ont perdu toute capacité à mener une lutte autonome face aux défis de la nouvelle donne géopolitique, par manque de lucidité, mais aussi par manque de courage. Il n’est pas si aisé de devoir affronter la tragédie, inévitable comme toute tragédie, et d’assumer un destin qui nous sommerait d’être nous-mêmes.

L’Europe, historiquement, s’est constituée à partir d’une réaction défensive face à la déferlante musulmane. C’est à l’occasion de la victoire de Charles Martel à Poitiers que le terme « Européens » a été employé pour la première fois. L’Empire carolingien exprime politiquement la prise de conscience d’un basculement économique du Sud méditerranéen vers le Nord. La civilisation helléno-latine avait pour centre la Méditerranée (mare nostrum, disaient les Romains). L’humanisme de l’Urbs concevait l’expansion impériale sur un mode universaliste, dans une visée intégratrice des vieilles civilisations antiques, singulièrement celles de l’Orient, des Perses, des Égyptiens et d’autres identités culturelles. Cela fit dire à Juvénal que les eaux de l’Oronte se déversaient dans celles du Tibre. Mais c’est là un phénomène qui dépasse la logique assimilatrice de la cité romaine. Déjà, les Grecs devaient beaucoup aux civilisations du Proche- et du Moyen-Orient, bien qu’ils aient pu asseoir leur particularisme non seulement sur leur langue, mais aussi sur ce qui les distinguait de leurs dangereux voisins. Il n’est qu’à lire Hérodote pour s’assurer que l’esprit de liberté caractérise l’Hellène, et que ce trait politique et culturel perdure même dans l’avènement des monarchies hellénistiques (à commencer par les récriminations des soldats macédoniens devant les tentations despotiques d’Alexandre), et, par delà, chez les Romains. Octave Auguste n’a-t-il pas instrumentalisé cette crainte d’un abandon de l’esprit civique face à un Marc-Antoine trop orientalisé à son goût ? Combien le paradigme marathonien, sursaut d’un Occident pris à la gorge, agit encore dans notre sang et notre conscience ! La crainte du « barbare » hante encore nos gènes !

Les États-Unis d’Amérique se sont réclamés hautement de cette liberté pour échafauder un projet civilisationnel qui, pour une bonne part, malgré les apparences, doit moins aux Grecs et aux Romains qu’aux Carthaginois et aux Hébreux. L’adoption de structures politiques copiées de l’Antiquité, et jusqu’à l’architecture même des bâtiments publics, cachent mal les racines d’une société fondée sur l’argent, la marchandise, et le culte vétérotestamentaire d’un Dieu résolument moralisateur. La réplique française de la Révolution américaine intègre davantage les schémas républicains antiques, grâce notamment aux penseurs tels que Montesquieu et Rousseau, mais sa sanglante parodie de l’Histoire romaine, via la Terreur et l’Empire, n’est qu’un geste théâtral insuffisant pour cacher sa véritable fin, qui est la tentative d’inscription dans la société humaine des visées eschatologiques contenues dans la Bible, à savoir l’égalité et la fraternité. Les deux courants, religieux et « laïque, se conjugueront d’ailleurs étrangement, dans la deuxième moitié du XIXe siècle, pour légitimer la colonisation, au nom d’une civilisation considérée comme supérieure.

La montée en puissance de l’Amérique au XXe siècle n’a fait que consolider cette tendance. Certes, les U.S.A. ont pu utiliser le ressentiment des peuples colonisés pour démanteler les Empires mondiaux de la Vieille Europe. Mais c’était pour reprendre le flambeau sur d’autres bases, moins fondées sur le peuplement que sur le contrôle.

Aussi voyons-nous que l’« Occident » puise paradoxalement ses raisons d’agir sur un singulier mélange de peur et de sentiment de supériorité. Et nous constatons que, contrairement à la vulgate rationaliste, qui définit le progrès humain comme une libération face à l’emprise religieuse, de vieux archétypes, surtout tirés des strates antiques du judaïsme, continuent à officier dans nos comportement politiques et guerriers.

L’alignement sur une ligne occidentaliste est-elle pour autant justifiée ?

S’il n’était question que du problème posé par la main mise des États-Unis d’Amérique sur le camp occidental, dont elle constitue l’hégémon, ce serait un pis allé; car pourquoi ne pas reconnaître la puissance là où elle est, quand elle exprime les aspirations de tous, l’orgueil dût-il en être bafoué ? L’armée des Achéens acceptait Agamemnon comme primus inter pares, parce qu’il était le plus puissant, nonobstant son infériorité personnelle par rapport à Achille, Ulysse et d’autres héros. Cependant, les Hellènes étaient unis par le sentiment d’une origine commune (même s’ils appartenaient à des branches différentes des Grecs), en tout cas faisaient état d’une même vision du monde. Or, comme chacun le sait, l’Amérique du Nord s’est réclamée d’une rupture radicale avec une Europe qu’elle considéra comme une seconde Babylone. Pour elle, l’Ancien Continent était condamné par Dieu et l’Histoire. Le comportement actuel des U.S.A. ne peut se comprendre qu’à cette aulne : l’entreprise étatsunienne est au fond une utopie, une tabula rasa, une subversion radicale d’un ordre ancestral perçu comme l’héritage du « vieil homme ». Là où l’on croit déceler une avidité matérialiste (qui existe, bien sûr !), il s’agit surtout d’une volonté religieuse qui est à l’œuvre. C’est l’Orient qui rapplique par l’Occident ! La revanche du barbare sur une Europe qui avait résisté longuement. L’Amérique porte en elle le fanatisme, le moralisme, le simplisme niveleur des divinités sémitiques. Sa vision binaire de l’Histoire heurte l’esprit grec et sa subtilité rationnelle, ainsi que le génie politique de Rome, si respectueux des réalités humaines.

C’est pourquoi, au-delà du jeu pervers des réactions en chaîne qui nous dépossèdent de notre autonomie (comme si nous devions absolument choisir entre la burqa et la kippa !), les Européens doivent prendre conscience de la nature du combat. Cela n’enlève rien à la nécessité de nouer des alliances tactiques (pour moi, il faut soutenir les Palestiniens pour des raisons géopolitiques, et subsidiairement, éviter de trop désigner l’immigré comme l’ennemi principal, ce qui fait trop l’affaire de certains !). Mais sachons au moins où est notre véritable identité, et qui sont nos principaux ennemis !

Claude Bourrinet http://www.europemaxima.com

 

• D’abord mis en ligne le 7 juillet 2010 sur le site Vox N.R.

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