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Faillites locales : on joue allègrement sur les mots

130730Toute réflexion stratégique autour de l'avenir des collectivités locales françaises doit se poser une double question préalable :

1° l'inflation des dépenses et des personnels s'est porté depuis 20 ans sur les divers niveaux artificiellement décentralisés, d'abord par les lois Defferre de 1982-1983, puis par les lois Raffarin en 2003-2004. Or dès la loi de finances pour 2014 le problème des ressources de ces diverses collectivités, essentiellement alimentées par le budget de l'État va prendre un tour catastrophique.

2° cette situation se trouve aggravée par ce qu'on appelle le "millefeuille administratif", c'est-à-dire par la multiplication récente des structures et délégations décentralisées à très faible légitimité démocratique.

À cet égard, l'optimisme radieux du Figaro, par-delà ses changements apparents de propriétaires, me réjouira décidément toujours. Voici en effet la bonne nouvelle que ce grand quotidien distillait ces jours derniers  (1)⇓ auprès de ses fidèles lecteurs : "En France, une ville ne peut pas faire faillite… Aux États-Unis, la ville de Detroit a demandé jeudi à se placer sous la protection du régime des faillites. En France, les collectivités locales aux finances défaillantes passent sous la tutelle de l'État."

Rassurant, n'est-ce pas ?

On doit donc rappeler à ce sujet que le concept de banqueroute, toujours contourné quand il s'agit des institutions politiques, dépend de la législation de chaque pays. Une ville ou un département français en situation pratique de cessation de paiement, mis sous tutelle, ne relève certes pas de la loi américaine sur les faillites, ni du chapitre XI (sociétés commerciales) ni du chapitre IX (collectivités locales).

Le département de la Seine-Saint-Denis, que je ne cite pas au hasard, a pris la tête ainsi, depuis 2011, d'une fronde contre les "emprunts toxiques". Il se propose, enfin : son président menaçait alors, de ne plus honorer ses engagements financiers. Mais non on ne parlera pas d'un "défaut de paiement", encore moins une "cessation de paiement". Les dotations financières de l'État, et la péréquation désormais inscrite dans la Constitution résoudront le problème, n'est-ce pas ?

En l'occurrence son nouveau président M. Bartolone qui, depuis, préside l'Assemblée nationale, "héritait" d'une gestion communiste de [trop] longue durée. N'hésitons pas à manier le pléonasme en accolant à celle-ci l'épithète désastreuse. Malgré les difficultés financières que cela lui a occasionnées, ce département n'est pas en faillite, aux divers sens que le droit commercial donne à ce mot. Il continue de toucher de l'État de considérables subventions au titre de la Dotation globale de fonctionnement

Si cela peut rassurer les lecteurs on peut dire aussi qu'aucun des États "concernés" par le sauvetage de l'euro n'est non plus en "faillite". Pourtant, au Portugal comme en Grèce, en Espagne comme en Irlande, tout en jurant que "ce n'est pas pareil" ce sont les représentants supposés des "bailleurs de fonds" qui ont le dernier mot dans la politique des pays. Sous tutelle ? Non ce n'est pas comme des personnes physiques. En faillite ? Non ça ne s'articule pas comme pour les sociétés commerciales.

On peut donc jouer sur les mots. L'État français l'a longtemps fait dans l'Histoire : on a parlé successivement de "rehaussement des espèces" chaque fois que l'État dévaluait ses engagements, libellés en "livres" ; la Régence a d'abord diminué arbitrairement de 20, 40, 60 ou 80 % les rentes, rémunérant la dette depuis François Ier, et pensions selon les classes de créanciers ; puis ce fut le système Law et sa faillite célèbre, conséquences de cette banqueroute déguisée ; dès octobre 1789 on entreprend de "nationaliser" ce qu'on appelle les "biens du clergé" pour éviter "la hideuse banqueroute" (Mirabeau) ; cette décision entraînera des conséquences incalculables, et au final une banqueroute encore plus hideuse ; après 1918 on ne parviendra pas à restaurer le franc-or, sur la base duquel l'État s'était engagé avant la guerre, pourtant victorieuse : il payera désormais faut-il dire : "rembourser" ?)en billets de banque dont ils institue le cours forcé, etc. Mais non, on ne peut pas, on ne doit jamais parler de faillite.

Le Directoire en 1797 avait inventé une jolie formule : pour amputer ses dettes des 2/3 il parlera du "tiers consolidé" (2)⇓.

Épatant, n'est-ce pas ?

Curieusement dès janvier 2012 Standard & Poor's exprimait un avis radicalement différent de celui du Figaro. Voci comment cette prise de position implicite était alors présentée au public :

"La région Ile-de-France et la Ville de Paris ont perdu lundi 30 janvier leurs notes "triple A", les meilleures, qui ont été abaissées d'un cran par l'agence de notation dans la foulée de la dégradation de la note de la France le 13 janvier.
"Le cadre institutionnel et financier des collectivités locales françaises ne leur permet pas d'être notées au-dessus de l'État" français, explique S&P dans deux communiqués distincts. L'agence de notation a abaissé d'un cran, de AAA à AA+, la note de référence à long terme de la région Ile-de-France et celle de la Ville de Paris, une note qui leur permettait d'emprunter aux meilleurs taux. Elle a assorti cet abaissement d'une perspective "négative", ce qui signifie que les notes de ces deux collectivités pourront être abaissées dans un délai d'un à deux ans." (3)⇓

Deux ans, disiez-vous ? Cela nous rapproche de janvier 2014, bien près des municipales de mars...

JG Malliarakis   http://www.insolent.fr/

Apostilles

  1. En ligne le 20 juillet
  2. cf. loi du 9 vendémiaire an VI - 30 septembre 1797.
  3. cf. Lemonde.Fr avec AFP le 30.01.12 à 19 h 57

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