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Les deux types fondamentaux de collectivités

par Adolf Gasser*

 

Ex: http://www.horizons-et-debats.ch

 

L’existence des collectivités politiques – prenons-y bien garde – n’est concevable qu’en vertu de ce que nous nommerons un «principe ordinateur». Or, tout bien considéré, il n’existe que deux principes ordinateurs fondamentaux: celui de subordination et celui de coordination – ou, en d’autres termes: le principe d’administration impérative et celui d’administration autonome. Ou bien l’ordre social est obtenu par le moyen d’un appareil coercitif du mode autoritaire, ou bien il est fondé sur le droit de libre disposition du peuple. Dans le premier cas, la structure de l’Etat est imposée de haut en bas; dans le second, elle se détermine de bas en haut. Là, le principe ordinateur se résume dans l’habitude du commandement et de l’obéissance; ici, dans la volonté générale de libre coopération. A vrai dire, il a existé des Etats dans lesquels les deux principes ordinateurs semblaient être parvenus à s’harmoniser. Mais dans les formes hybrides de ce genre – l’histoire le démontre – le principe ordinateur primitif conserve toujours la prédominance.

Pour désigner les deux principes ordinateurs fondamentaux, on peut se servir de couples d’adjectifs antonymes tels que: dominatif – associatif; hiérarchique – fédératif; autoritaire – populaire. Désireux de nous servir selon l’opportunité soit de l’un, soit de l’autre de ces couples, nous tenons cependant à constater que l’antinomie domination – association est sans doute le contraste le plus important que connaissent la sociologie et l’histoire. L’antithèse Etat autoritaire – Etat populaire oppose, en effet, les notions politiques les plus graves qui soient, notions qui concernent les assises mêmes de toute collectivité humaine. Ces deux types de structure de l’Etat se différencient surtout sur le plan moral. Selon la prédominance de l’un ou de l’autre des principes ordinateurs, les Etats sont animés d’un esprit de coopération.
Il a existé jadis des corps politiques autoritaires, même en des espaces restreints et sous une forme très décentralisée. Telles furent les seigneuries féodales du Moyen Age. Un fait pourtant est notable: partout où l’esprit de domination vise à l’unification politique de vastes contrées, il a recours à la centralisation, obtenue par un appareil militaire et bureaucratique distinct du peuple. Chose bien connue, l’absolutisme a été, dans les provinces françaises, dans les principautés allemandes, dans les Etats mineurs de l’Italie fragmentée, le régime centralisateur qui absorba la féodalité et la dépassa. Depuis lors, le centralisme administratif est resté le destin de presque tous les Etats de l’Europe continentale. Jusqu’à aujourd’hui, c’est une bureaucratie impérative, imposé d’en haut, un fonctionnariat allochtone (venu d’ailleurs) qui, dans ces Etats, trancha péremptoirement les questions d’administration régionale et locale.
L’Etat associatif, lui, s’est toujours développé, cela est logique, en territoire peu étendu. C’est seulement dans la modeste unité spatiale de la commune que l’autonomie administrative a pu se développer, prospérer, s’affirmer. Le principe ordinateur associatif exerce toujours son action à partir de la commune populaire franche et armée, c’est-à-dire, dans un groupement subalterne autonome, net de tout appareil bureaucratique ou militaire impératif.
Fait intéressant à signaler, aucun Etat du type associatif n’a jamais pu se former autrement qu’à partir de ces collectivités populaires restreintes que sont les communes libres et capables de se défendre par les armes. Les démocraties d’ancienne tradition: nations scandinaves et anglo-saxonnes, Pays-Bas, Suisse, n’ont toléré à aucune époque que leurs communautés élémentaires fussent administrées sur le mode impératif ou par des fonctionnaires subalternes allochtones.

 

* Ce texte est un extrait du livre « L’autonomie communale et la recon­struction de l’Europe – principes d’une interprétation éthique de l’histoire » Paris/Neuchâtel 1946, p 13sq.

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