Votée en 1973 la loi Royer va fêter son 40e anniversaire. Elle avait été adoptée sous couvert "d'orientation du commerce et de l'artisanat". Elle est aggravée depuis 1996 par le dispositif Raffarin, qui l'aggrave en abaissant à 300 m2 le seuil des autorisations administratives nécessaires pour ouvrir ou agrandir un magasin. Elle prétendait répondre au prétexte de la protection du petit commerce et de l'artisanat.
On considérait, à la fin des années 1960 que le développement des hypermarchés, grands magasins en libre-service, à dominante alimentaire, de plus de 2 500 m2 de vente, disposant de parcs de stationnement conséquents, risquait d'éliminer les boutiques traditionnelles du centre des villes.
Et les pouvoirs publics redoutaient alors de voir réapparaître électoralement le phénomène poujadiste (1954-1959). Recueillant 2,6 millions suffrages aux élections législatives de 1956 ce mouvement avait contribué à déstabiliser la IVe république.
Or en 1969 était apparu le Cidunati de Gérard Nicoud. Il se révélera, certes, un feu de paille selon l'habitude commune à tous les mouvements protestataires des classes moyennes en France depuis les années 1920. Auparavant, les poujadistes étaient ainsi devenus élus consulaires dans les chambres de commerce et de métiers ; leurs successeurs deviendront, en partie grâce à cette loi, administrateurs des caisses sociales monopolistes. Et ils le sont demeurés.
Les textes de 1973 et de 1996 se fixaient comme but explicite la limitation de l'implantation dans l'Hexagone des hypermarchés apparus dans les années 1960.
Ce phénomène commercial s'était en fait développé dans l'Hexagone du fait de l'évolution urbaine. La réalité s'était alourdie au gré de la carence de l'offre de distribution concurrentielle de supermarchés, et de la difficulté d'implanter et de développer un appareil de commerces indépendants dans les zones d'urbanisation planifiée.
La logique de l'aménagement du territoire repose, dans ces domaines, sur un concept pernicieux : celui d'un niveau "d'équipement suffisant", à ne pas outrepasser. Cette idée se trouve à l'origine même de la législation malthusienne française. La préhistoire de celle-ci comprend la circulaire du 27 août 1970, signée par MM. Giscard d’Estaing et Albin Chalandon. Celle-ci prévoyait qu'un comité consultatif de 15 membres, présidé par le préfet du département, serait habilité à se prononcer sur l’ouverture de toutes les surfaces de vente supérieures à 1 000 m2, et même des plus petites "si celles-ci constituent une menace pour les structures commerciales existantes."
On ne pouvait se prononcer plus clairement contre la libre concurrence. Les textes ultérieurs confieront aux chambres de commerce le soin d'établir, dans le même esprit, mais sous une apparence "scientifique" l'utilité des projets soumis aux commissions d'urbanisme commercial.
Les conséquences de ce système peuvent être analysées de plusieurs points de vue, après 40 ans de fonctionnement.
1° Par rapport à l'objectif affiché : échec total. Dans la décennie précédente, il s'ouvrait en France, en moyenne, environs 28 hypermarchés par an. De 1975 à 2013, le rythme annuel est passé au-dessus de 40 en moyenne. Le nombre de grandes surfaces s'est multiplié par 7 en 40 années.
2° Quelques enseignes de la grande distribution se sont ainsi trouvées à la tête de petits quasi-monopoles locaux. Quadrillant l'Hexagone elles agissent en tant que centrales d'achats toutes-puissantes auprès des petits fournisseurs qu'elles écrasent en imposant leurs conditions.
3° En transférant au Département et à l'État, le pouvoir de vie et de mort sur les projets commerciaux, le système de la loi Royer a puissamment fait reculer les libertés et responsabilités des municipalités théoriquement compétentes en matière de permis de construire, et intéressées à l'encaissement d'impôts locaux.
4° De leur côté, loin d'être sauvegardés, les travailleurs indépendants, de toutes catégories, ont été incorporés de force, par la loi de 1973, aux régimes sociaux dits "alignés". La dernière mouture s'appelle le RSI, régime social monopoliste des indépendants imposé en 2003 par la réforme Fillon, qui les fusionne tous. Or cet "alignement" constitue, par les charges qu'il impose aux petites entreprises, la cause essentielle de leurs difficultés et de leur mortalité.
5° Les conséquences perverses ne se sont pas seulement manifestées pour le commerce de détail, mais aussi pour l’administration et pour la classe politique.
Dans les années 1990, on s'est préoccupé de corriger les actes de corruption constatés pendant 20 ans, dans la mesure où la grande distribution assurait une partie du financement occulte de la vie politique. Le gel des implantations annoncé par le Premier ministre Édouard Balladur fin 1993 et la loi Raffarin en juillet 1996 étaient censés stopper ce phénomène.
En fait cette dernière réglementation, baissant le seuil d'intervention de la puissance publique et renforçant encore l'intervention de l'État central est surtout parvenue à aggraver la situation, toujours sous prétexte de protéger les petits et d'obtenir les votes de classes moyennes.
On a pu définir la politique comme l'art d'obtenir les suffrages des pauvres et l'argent des riches sous prétexte de les protéger les uns des autres. L'adage ne s'est jamais trouvé aussi proche de la réalité, résultant depuis 40 ans de la malencontreuse loi Royer, pavée, comme l'enfer, de bonnes intentions.
JG Malliarakis http://www.insolent.fr/