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Immigration : la collusion des grands partis (arch 1998)

L'aveu de Patrick Weil
Incohérentes en apparence mais fruit de la collusion des quatre grands partis, les politiques d'immigration qui jouent la valse hésitation depuis trente ans répondent en fait à un objectif précis : permettre à la classe politique de durer.
Pour la troisième fois en cinq ans et la vingt-sixième fois depuis 1945, le Parlement a voté cet automne une nouvelle loi régissant l'entrée et le séjour des étrangers en France. Cette loi, dite loi Chevènement, censée corriger les "abus" des récentes lois Pasqua et Debré, a été initiée par le politologue Patrick Weil, auquel le Premier ministre avait confié la tâche de « définir une politique d'immigration ferme et digne » dans laquelle la France pourrait s'engager « sans renier ses valeurs, et sans compromis pour son équilibre social ». Plus franc quant aux motifs, Chevènement parlait d'« en finir avec ce débat pourri qui fait le lit de l'extrême droite ».
Jospin a donc présenté Patrick Weil comme un libéral modéré. Son portrait brossé dans nos pages (NH N°682) par Gabriel Lindon nous a appris que, bien au contraire, il était de longue date un dangereux immigrationniste. Rappelons pour mémoire qu'il atterrit dans le premier gouvernement de la gauche comme chef de Cabinet du secrétaire d’État à la Solidarité nationale, puis aux immigrés (il avait alors 25 ans). À ce titre, il fut donc - notamment - directement impliqué dans la régularisation des 130 000 clandestins et la multiplication, pour les immigrés, d'avantages réservés jusque là aux seuls Français. Aussi bien est-on fondé à se demander ce qui fait marcher ce monsieur. Patrick Weil est-il un humaniste ? Est-ce un idéologue ? Ou bien est-ce seulement un politique ?
Un article signé de sa main et paru dans le mensuel de la Documentation Française. Regards sur l'actualité, en février 1990, permet de mieux comprendre les mobiles du conseiller de Lionel Jospin, mobiles identiques - si on l'en croit - à ceux des politiques et politologues qui, avant lui, se sont penchés sur la question de l'immigration, Ces mobiles sont : d'abord, le maintien envers et contre tout (au besoin contre la nation) de la cohésion de l"'établissement" politique : deuxièmement, et conséquence du premier point, le motif énoncé par Jean-Pierre Chevènement, à savoir le positionnement des « quatre grands partis » en fonction de la percée du Front national dans l'électorat.
Paru en février 1990 sous le titre « La politique française d'immigration : au-delà du désordre ». l'article de Patrick Weil se présente comme une analyse historique de la politique d'immigration menée en France depuis 1930, En simple politologue et ne faisant jamais état des fonctions qui furent les siennes, donc de son implication voire sa responsabilité dans les mesures qui furent prises entre 1981 et 1985, Patrick Weil dénonce les errements, les tâtonnements et les virages à 180° qui, depuis près de 70 ans, ont tenu lieu de politique et « la régularité des crises » que celle-ci a provoquée, « la récession et la montée du chômage transformant en "problème" la solution que constituait jusqu'alors l'immigration », dans les années 1930 comme à partir de 1974. Mieux, il explique que les décisions furent bien moins le fruit, comme on l'a toujours prétendu, d'enjeux économiques, que d'enjeux purement politiciens, « parce que cette politique (d'immigration) peut être perçue comme symbolique d'un danger pour l'ordre, l'unité, voire l'existence de cette communauté politique ». La phrase mérite qu'on s'y arrête : ce qui motive la politique n'est pas le danger que l'immigration fait peser sur l'ordre, l'unité, voire l'existence  de la nation mais bien de la classe politique. Naïfs que nous sommes !
Ainsi, nous explique M, Weil, c'est parce que le courant national était alors porteur que sont décidés :
• en 1931, la fermeture des frontières à l'entrée de nouveaux travailleurs étrangers.
• par la loi du 10 août 1932 : priorité du travail à l'ouvrier français avec instaurations de quotas d'ouvriers étrangers dans les entreprises.
• avril 1933 : la loi Armburuster limite l'exercice de la médecine aux titulaires français d'un doctorat de médecine.
• en juin 1934, les avocats font voter une loi interdisant aux Français naturalisés l'inscription au barreau pendant une durée de dix ans.
• 1934, encore : création d'une aide au rapatriement des ouvriers volontaires.
• 1935 : organisation de retours forcés.
Les années fécondes
Ce sont les années 1974-1988 qui ont été les plus fécondes, dit Patrick Weil. Elles nous ont en effet valu sept politiques en quatorze ans, « toutes sensibles dans leur variation à la dimension idéologique, partisane, voire électorale du problème », lesdites variations n'intervenant pas pour des questions touchant à la survie de la nation, mais « quand changent les majorités présidentielles ou parlementaires (en 1981 et 1986) ou après des élections municipales perdues par les majorités politiques en place (1977 et 1983) », De toute évidence, la dernière loi Chevènement, concoctée par M. Weil, n'échappe pas à la règle, ce nouveau prurit législatif trouvant sa source dans l'émotion orchestrée, en août 1996, autour de l'expulsion des clandestins - devenus "sans-papiers" - de l'église Saint-Bernard, puis le projet de loi Debré sur l'immigration qui s'ensuivit. La gauche en fit son fonds de commerce et le tremplin de sa campagne des législatives 1997.
Tout cela n'est pas surprenant, ce qui l'est plus, c'est de voir dénoncée, par l'instigateur de cette nouvelle loi, et cela avec un naturel qui confine au cynisme, l'hypocrisie du débat et la collusion des grands partis sur la question. Car l'incohérence des décisions, perpétuel ballet d'avancées et de reculs, ne vise en fait qu'à une chose, dit Patrick Weil à préserver la classe politique en l’État. Cela se traduit par le "consensus" de 1984, lorsqu'« un vote unanime du Parlement rassemble les partis traditionnels de la « droite et de la gauche », formalisant ainsi l'existence d'« une règle du jeu ». Après dix ans d'hésitations, explique P. Weil, « une communauté d'intérêts est apparue entre entrepreneurs politiques de droite et de gauche ». Les adversaires d'hier, que Patrick Weil nomme « acteurs rivaux »,« ont alors décidé d'exclure de l'arène politique certains aspects de la politique d'immigration qu'ils avaient auparavant utilisés les uns contre les autres parce que leur utilisation avait été trop coûteuse ». Plus clair encore quant à l'idéal qui préside à tout cela, Weil poursuit : « Sans doute l'ont-ils fait parce qu'ils pensaient risquer de "chavirer" ensemble, ce risque pouvant les toucher directement, en tant qu'équipe, ou concerner le système politique ou la communauté politique dans son ensemble. Sans doute ont-ils agi dans l'intérêt de cette communauté politique parce qu'ils étaient probablement attachés à la fois aux valeurs qui la structurent, à sa cohésion, mais aussi à la place qu'ils occupent en son sein ». Néanmoins, ce contrat demeurant indicible pour les naïfs que nous sommes et n'étant évidemment « pas exprimable pour des raisons politiques », il oblige les partis politiques « à mettre en scène des batailles politiques sur des aspects mineurs (modalité de reconduite à la frontière, par exemple) et à taire le consensus qui existe entre eux ».
Mais la mascarade n'est pas sans danger, et Weil le souligne : « le sentiment d'affrontement et de désordre qu'ils (les grands partis) sont contraints de faire perdurer à l'avant-scène peut faire exploser cette situation ». Dès lors, on l'a compris, tout est possible, Ce qui s'est passé et se passe aujourd'hui l'illustre parfaitement, et Patrick Weil est mieux placé que quiconque pour en parler. D'où sa conclusion : « que la stabilité de la communauté politique vienne à être perçue comme plus menacée qu'elle ne l'est déjà par la partie du public qui, par exemple, vote pour le Front national, et le coût interne ou international du changement de règle du jeu sur les flux diminuerait. Alors, des politiques, illégales ou illégitimes aujourd'hui, pourraient devenir demain légitimes, puis, plus tard, légales ».
La seule conclusion que, nous, en puissions tirer est que, face à cette clique politique dont la seule vision d'avenir consiste à durer pour elle-même, il nous faut peser de tout notre poids.
Marie-Claire ROY  National Hebdo du 12 au 18 février 1998

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