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17 octobre 1961 : les responsabilités du F.L.N.

Le 17 octobre 2012, la « France » par la voix du président de la République reconnaissait officiellement la « répression sanglante » de la manifestation organisée, cinquante-et-un ans auparavant, par le Front de libération nationale algérien (F.L.N.) sur le pavé parisien. Cette décision a reçu un accueil mitigé de l’opinion publique, renforçant même, peut-être, les clivages politiques et communautaires. Si la connaissance historique a indéniablement progressé, en particulier concernant les mécanismes administratifs ayant conduit une dure répression du nationalisme algérien en France, et à Paris en particulier. Les buts réels de la fédération de France du F.L.N. dans le déclenchement des manifestations d’octobre 1961 apparaît moins clairement.
Pour comprendre, récapitulons brièvement les faits. 1961 était une année cruciale; la guerre d’Algérie approchait de son dénouement et les protagonistes civils et militaires espéraient encore une victoire militaire et politique. Au printemps, le terrorisme algérien s’était déchaîné contre les forces de l’ordre parisiennes. Après la rupture du cessez-le-feu par des éléments incontrôlés du F.L.N. (août 1961), le préfet de police, Maurice Papon, décrète un nouveau couvre-feu (5 octobre 1961) pour faciliter l’action des unités antiterroristes et paralyser les actions clandestines nocturnes du F.L.N. Rapidement, les groupes paramilitaires du F.L.N. seront rapidement désorganisés et les principaux décideurs de la direction parisienne de la fédération de France arrêtés par la Direction de la sûreté du territoire (les 4 – 10 novembre 1961). Face au resserrement d’un tel étau, le F.L.N. prend l’initiative d’anticiper la traditionnelle manifestation du 1er novembre et, même, de lui donner une ampleur sans précédent. Cette initiative spontanée, prise sans l’assentiment du Gouvernement provisoire de la République algérienne (G.P.R.A.), résulterait aussi des tensions internes et des intrigues pour le pouvoir qui déchire le F.L.N. pour la prise de contrôle politique après l’obtention de l’indépendance. Le comité fédéral aurait joué cette carte dans l’optique de rappeler au G.P.R.A. son poids politique et mettre en évidence le soutien (notamment financier) qu’il reçoit des immigrés algériens de Métropole. C’est pour ces raisons que Mohamed Zouaoui et ses trois adjoints, représentant du comité fédéral en France, décident, le 7 octobre 1961, d’organiser une manifestation de masse dans Paris pour protester contre le couvre-feu et de lancer plus de vingt mille manifestants vers des lieux symboliques de la capitale. Pour parvenir à ces fins, la fédération de France a pris soin de « médiatiser » l’événement pour mettre en évidence son orientation politique, d’une part, et sensibiliser les membres de l’O.N.U. sur le conflit en cours en montrant les violences de la police, d’autre part. Le soir du 17 octobre, outre les hommes de main du Front présents dans les cortèges pour contraindre à la participation et encadrer les manifestants, se trouvait également le photographe Élie Kagan, officieusement chargé de couvrir la manifestation. Ses vues seront insérées dans une plaquette qui sera très rapidement éditée par le G.P.R.A. Il est inutile ici de revenir sur la polémique concernant ses événements (et sur le nombre des victimes).
Une question se pose cependant, celle de la responsabilité de la fédération de France. Si la manifestation du 17 octobre 1961 était pacifique sur la forme, elle ne l’était pas sur le fond. Il s’agissait d’une action de guerre subversive et, peut-être, criminelle visant à provoquer la mort d’innocents sous les coups de la police. L’historienne Linda Amiri cite des rapports internes du F.L.N. (différents de ceux conservés aux archives de la Préfecture de police – note 1 -), antérieurs à la manifestation, qui soulignent la connaissance par les hauts responsables nationalistes de l’État d’exaspération des forces de l’ordre. Sur le pont de Neuilly, principal point de contact entre policiers et manifestants, l’historien Jean-Paul Brunet, a constaté que les hommes du cortège ont délibérément évités d’atteindre les forces de l’ordre pour les provoquer et les pousser à la faute par un tir de riposte sur les manifestants sans armes (2). Il ne peut faire aucun doute sur la volonté du F.L.N. de confronter la population algérienne (qu’elle contrôle et théoriquement protège) aux unités de police : des cortèges visant des lieux symboliques, une organisation nocturne, une mobilisation massive et inédite, autant de facteurs favorables pour un résultat, peut-être, espéré par les organisateurs. La fédération de France du F.L.N., sur les renseignements fournis par le comité fédéral parisien, ne pouvait ignorer l’état d’exaspération des policiers et de sa base militante à l’automne 1961, et d’ailleurs « pressentait » la virulence de la répression. Penser le contraire serait pure « naïveté (3) ». L’absence même de preuves archivistiques, renforcerait cette hypothèse. La clandestinité impose précisément l’usage de consignes orales, sans consignation écrite, des décisions secrètes d’une portée stratégique (et surtout, dans ce cas précis peut-être de décisions cyniques dont les conséquences seraient en contradiction flagrante avec la mission historique de la fédération de France). En outre, Me de Felice m’a déclaré au cours d’un entretien (juillet 2007), que le choix des méthodes non violentes été défendu par le collectif des avocats du F.L.N., et le modèle indépendantiste indien montré en exemple : or, même dans ce cas, la tactique de Gandhi était claire : pousser le gouvernement britannique à la répression pour le discréditer aux yeux de l’opinion internationale. Cette décision, si elle a été prise, se situerait dans la continuité des violences de la guerre civile, conduite et gagnée par le F.L.N. (4).
Si l’occultation d’un fait historique par les gouvernements français est déontologiquement inacceptable (bien que politiquement légitime), nous en sommes actuellement au point de nous interroger sur les responsabilités du F.L.N. L’histoire a démontré que lorsqu’une structure clandestine et autoritaire prend le pouvoir sur un terreau politique vierge de toute expérience de la démocratie (l’exemple soviétique, mais pas seulement), elle se mue en un appareil étatique dictatorial. On a souvent argué des responsabilités de Maurice Papon, mais nous nous posons la question de celle d’une personnalité, fréquemment citée dans les publications sur l’Algérie contemporaine, à savoir M. Ali Haroun, membre de l’exécutif de la fédération de France du F.L.N. et, selon l’historien Gilbert Meynier, décisionnaire du lancement de la guerre civile algérienne en métropole (5). Rappelons également que de l’autre côté de la Méditerranée, la « guerre de libération » reste probablement l’unique source de légitimité du gouvernement dictatorial algérien à bout de souffle (peut-être ?). En 1991, année cruciale en Algérie, le mouvement de grève initié par le Front islamique du salut (F.I.S.) est sévèrement réprimé par le gouvernement et bon nombre des manifestants sont envoyés dans des centres d’internement dans le désert saharien. La concomitance entre la parution de l’ouvrage de Jean-Luc Einaudi (qui reprend d’ailleurs l’ossature et les photographies produites par le F.L.N. en novembre 1961), et la répression de juin 1991 à Alger est pour le moins troublante… Il convient par ailleurs de signaler que le responsable de l’application du respect des « droits de l’homme » (en Algérie, le sens est malheureusement différent du nôtre) au bénéfice des manifestants détenus dans les camps a été confiée à un ministre chargé spécifiquement de ces questions : toujours Ali Haroun. L’indéniable collusion entre l’avocat et la dictature militaire en Algérie a été développée dans l’ouvrage de Lounis Aggoun et Jean-Baptiste Rivoire, Francalgérie. Crimes et mensonges d’État (6). Enfin, membre de la fédération de France du F.L.N. à son sommet, il a été très probablement partie prenante dans la décision du lancement des manifestations d’octobre 1961, avec pour désir d’aboutir à une répression féroce…
Rémy Valat http://www.europemaxima.com/?p=3304
Notes
1 : Linda Amiri, Les fantômes du 17 octobre 1961, Éditions Mémoire-Génériques, 2001, pp. 22 – 28.
2 :  Jean-Paul Brunet, Police contre F.L.N. Le drame d’octobre 1961, Flammarion, 1999, p. 191.
3 : Jean-Marc Berlière a émis quelques réserves sur les fondements de cette décision. « Une organisation – quelle que puisse être la légitimité de ses revendications – qui alterne terrorisme (au nom de la cause qu’elle défend) et manifestation au nom des principes démocratiques, joue un jeu ambigu dont il faut, la encore, une singulière naïveté pour oublier les risques et les conséquences calculés et voulus dans la logique d’une guerre révolutionnaire. » Cf. Jean-Marc Berlière, « Archives de police / historiens policés ? » sur http://www.cairn.info/revue-d-histoire-moderne-et-contemporaine-2001-5-page-57.htm
4 : Au total, la guerre civile algérienne aurait entraîné entre le 1er janvier 1956 et le 23 janvier 1962, trois mille neuf cent cinquante-sept décès et sept mille sept cent quarante-cinq blessés, pour un total de dix mille deux cent vingt-trois agressions contre des Algériens. En région parisienne, entre le 23 octobre 1958 et le 31 décembre 1961, la guerre fît six cent quatre-vingt trois tués (dont cinq cent quatre-vingt dix-huit Algériens) et huit cent vingt blessés (dont cinq cent quarante sept Algériens). Les formes de cette guerre civile sont marquées par son degré élevé de violence et sa cruauté pour le châtiment des « traîtres ». Cette guerre est un conflit de basse intensité. Et le panel des procédés terroristes vont des menaces à l’exécution sommaire, souvent précédée de tortures, en passant par les attaques à mains armées contre les lieux de réunion du camp adverse.
5 : Gilbert Meynier, Histoire intérieure du F.L.N. (1954 – 1962), Fayard, 2002, p. 265.
6 : Cf. Lounis Aggoun et Jean-Baptiste Rivoire, Francalgérie. Crimes et mensonges d’État, La Découverte, 2004.

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