Les livres de Michel Déon, ce sont dabord des souvenirs de lecture : Les Poneys sauvages dévorés à Chamonix au lendemain du baccalauréat, Le Jeune homme vert lu dans un café du port de Sanary, Mes Arches de Noé dévorées à une table du Petit Flore, Les Trompeuses espérances relues sur une plage de Saint-Malo entre deux verres pris avec leur auteur… Autrement dit, ses romans auront rythmé notre jeunesse comme ils auront souvent meublé nos vacances et nos nuits.
Après soixante années de vie littéraire, Michel Déon a eu la bonne idée de rassembler ses romans essentiels et deux récents livres de souvenirs (La Chambre de ton père et Cavalier passe ton chemin). Il a souhaité y ajouter certains de ses textes écrits pour des livres d’art, et sa fille Alice y a adjoint une Vie et œuvres chronologique et abondamment illustrée.
De Monaco à l’Irlande
Michel Déon est né en août 1919 à Paris. Il grandit à Monaco où son père, royaliste maurrassien, est directeur de la Sûreté. Ce dernier meurt alors que Déon n’a que treize ans. Il retourne vivre à Paris avec sa mère et adhère à l’Action française au lendemain du 6 février 1934. C’est son condisciple François Perier, le futur acteur, qui lui a vendu la carte. Son bac en poche, Déon s’inscrit à la faculté de droit et commence à travailler en parallèle à l’imprimerie de l’AF.
Mobilisé en 1940 il se bat dans les Ardennes et échappe de justesse à la captivité. En novembre 1942, il intègre comme secrétaire de rédaction l’équipe de l’A.F. repliée à Lyon. Il y restera jusqu’en août 1944 aux côtés de Maurras, « vieillard de fer et de feu » qu’il considérera toujours comme son maître en politique. Dans la capitale des Gaules, il sympathise avec Kléber Haedens qui assure la chronique sportive du quotidien royaliste. L’arrêt forcé du journal coïncide avec la sortie du premier roman de Déon, Adieux à Sheila, chez Robert Laffont.
Le succès viendra plus tard et Déon, revenu à Paris trouve un emploi dans un magazine d’actualité radiophonique. Il collabore également à divers autres journaux dont Aspects de la France. Entre deux voyages aux États-Unis ou dans les pays méditerranéens, Michel Déon, promeneur stendhalien, se lie au romancier André Fraigneau, auteur trop oublié de L’Amour vagabond et des Étonnements de Guillaume Francœur.
Ce sont les années Saint-Germain-des-Prés, passées en compagnie de Fraigneau, Antoine Blondin et quelques autres, qu’il immortalisera dans Les Gens de la nuit : « Cette soirée-là finit dans un restaurant des Halles devant des pieds de cochon grillés et une bouteille de Brouilly, en compagnie de deux filles épuisées de fatigue auxquelles nous ne disions plus un mot. » En 1963, jeune marié, Déon sinstalle avec sa femme, Chantal, dans une île grecque, Spetsai, qui sera jusqu’en 1968 sa résidence principale. Jacques Chardonne viendra l’y visiter.
Cet attrait pour la Grèce et sa lumière, Déon le doit largement à la lecture de Lawrence Durell et Henry Miller. En 1970 il reçoit le prix Interallié pour Les Poneys sauvages, son premier véritable succès littéraire et en 1973 le Grand Prix du roman de l’Académie française pour Un Taxi mauve. Ce dernier récit se déroule en Irlande où il s’installe définitivement l’année suivante et où il réside encore aujourd’hui, à Tynagh, dans le comté de Galway. Ultime consécration littéraire, l’Académie française l’élit en son sein en 1978.
Trois livres essentiels
Pour comprendre Michel Déon (mais aussi Jacques Laurent ou Michel Mohrt), il faut se rappeler le traumatisme qu’a été la défaite française de juin 1940, qui plus est pour de jeunes nationalistes de vingt ans. Ce ne sont pas les horreurs de l’Occupation puis celle de l’épuration qui devaient le rendre plus optimiste sur l’état de son pays. Comme l’a bien résumé le critique Pol Vandromme : « Déon n’a pas d’autre sujet que la décadence » (1). L’œuvre de Déon c’est, au fond, des instants de bonheur arrachés à la chute de la civilisation.
Dans ce volume Quarto on trouvera notamment les trois romans les plus importants pour la compréhension des lignes de force de l’œuvre de Déon : Les Poneys sauvages, pour la politique, Un déjeuner de soleil pour le romanesque et La Montée du soir pour l’ouverture métaphysique. À travers les aventures de trois camarades de collège, de Georges Saval, de Barry Roots et de Horace Mc-Kay, Les Poneys sauvage nous content la confrontation tragique (2) entre l’Histoire et l’amitié dans le fracas du XXe siècle, de 1938 et 1968. Horace sera agent secret, Barry, militant communiste, et Georges, grand reporter courant « le monde pour empêcher la bassesse d’ensevelir les vérités séditieuses » (Vandromme).
Un Déjeuner de soleil, est pour sa part le roman d’un romancier, la vie imaginaire de l’écrivain Stanislas Beren. S’y entremêlent subtilement la vie de Beren, ses œuvres imaginés et le rythme du siècle, puisque chez Michel Déon on n’est jamais très loin de l’actualité. Réalité et imaginaire, par leur proximité, font ici plonger le lecteur au cœur de la création romanesque.
« Livre quasi-mystique » dira Renaud Matignon de La Montée du soir qui consiste en une approche métaphysique de la vieillesse. Un homme d’âge mûr voit, en effet, dans ce livre publié en 1987, séloigner malgré lui les êtres et les objets qu’il a aimés. Pol Vandromme a fort justement rapproché ce texte aux accents panthéistes des Quatre nuits de Provence de Maurras. Mais on peut tout autant trouver des accents pascaliens à cette méditation sur les effets du temps.
Grâce et intégrité
Michel Déon a-t-il une postérité littéraire, nous demandera-t-on à juste titre ? Assurément, et dans cette veine nous avouons préférer sans hésitation les romans de Christian Authier à Eric Neuhoff (3). Saluons également à ce propos les travaux de la revue L’Atelier du roman, dirigée par Lakis Prodigis, qui doit beaucoup à l’auteur de Je ne veux jamais l’oublier.
Michel Déon, conciliant grâce et intégrité, est bien de la race de ceux qui depuis deux siècles conservent envers et contre tout une attitude salutaire, parfaitement résumée par Montherlant dans Le Maître de Santiago : « Je ne suis pas de ceux qui aiment leur pays en raison de son indignité. »
Pierre Lafarge L’Action Française 2000 du 19 octobre au 1er novembre 2006
* Michel Déon, œuvres, Quarto Gallimard, 1372 p., 30 euros.
(1) : Dans son remarquable essai Michel Déon. Le nomade sédentaire, La Table Ronde, 1990.
(2) : Au sens que lui donnait Thierry Maulnier dans son Racine : « La tragédie ne peint pas des êtres : elle révèle des êtres au contact d’une certaine fatalité. »
(3) : Auteur de Michel Déon, Éd. du Rocher, 1994.