C) Bombardement et bobardement publicitaire
C.1. Il y a des bobards publicitaires tout comme il y a des bobards médiatiques. D’une certaine façon la publicité n’est d’ailleurs qu’un bobard continuel, alors qu’il arrive parfois au système médiatique de délivrer une véritable information.
Exemples de bobards publicitaires :
- la valorisation de qualités imaginaires (ex. le cas célèbre des épinards… en boîte qui seraient bons pour la santé car ils contiendraient… du fer !, les produits bio, les jus de fruits en boîte qui contiendraient des vitamines…, les boissons énergisantes, etc.) ; le syndrome de Findus (« On est très à cheval sur la qualité de nos produits »). Voir aujourd’hui l’accent mis sur les produits « sans », en particulier dans l’agro-alimentaire (sans colorant, sans additif, sans sel ajouté, etc., y compris sur des produits qui n’en avaient pas de toute façon comme les soupes « sans conservateur » Liebig ; voir aussi le « zéro bla-bla » de MMA Assurances – Enjeux Les Echos de septembre 2013) ;
- les techniques de reconstruction du corps humain dans les photos publicitaires (cf. J.-P. Goude à propos de l’image de Grace Jones : « J’ai modifié une figure de la danse classique, l’arabesque, en lui ajoutant le pied flexe, qui est utilisé dans la danse africaine », « Je ne retouche pas, je n’aime pas ce mot … je déconstruis pour mieux reconstruire », Le Monde du 11/2/2012) ;
- les faux experts qui servent à donner une coloration pseudo-scientifique aux effets supposés des produits ou des faux témoignages (en fait, des photos issues des banques d’images – notamment Getty Images ou iStockphoto – où l’on voit que les mêmes personnes sont utilisées sous des identités différentes [« chercheur », « éleveur », « client »] pour des publicités différentes) ;
- faux avis de consommateurs sur Internet (ces avis influenceraient 70% des internautes, selon l’étude de l’agence Easy Panel/Testntrust d’août 2012 [LeMonde.fr du 3 juillet 2013]) ;
- la publicité rédactionnelle clandestine (ex. les magazines auto, les fausses consommations de carburant affichées par les constructeurs automobiles : des résultats obtenus en réalité dans des conditions limites) ;
- l’espace des appartements témoins artificiellement augmenté avec du mobilier qui n’est pas aux normes, etc.
Ces tromperies sont néanmoins dangereuses pour les agences publicitaires quand elles sont découvertes (notamment par les mouvements consuméristes) car elles peuvent tomber sous le coup de la loi et finalement nuire à l’annonceur, c’est-à-dire lui faire une mauvaise publicité (exemple : condamnation récente de la Caisse d’Epargne Loire-Drôme-Ardèche pour publicité mensongère concernant six de ses placements – LeMonde.fr du 19 septembre 2013). Mais le public, soumis au bombardement publicitaire, a heureusement la mémoire courte !
C.2. La publicité comme les médias agit prioritairement sur la sensibilité du récepteur et non sur son sens critique.
Le développement de la logique de marques – qui est une tendance publicitaire contemporaine forte – vise justement à créer une relation émotionnelle avec le consommateur/cible afin de réduire son sens critique.
Cette évolution a notamment été mise en lumière par Naomi Klein dans son essai célèbre No Logo paru en 2000 au Canada.
C.2.1. De nombreuses études montrent la réalité de l’influence de la reconnaissance des marques sur la perception des consommateurs.
Au début des années 1980 une étude montrait que des personnes souffrant de maux de tête se sentaient plus soulagées en prenant un cachet d’aspirine d’un groupe pharmaceutique connu, plutôt que d’un autre moins connu mais de même composition.
Les travaux de McLure publiés en 2004 montrent de même l’influence de la marque sur l’appréciation explicite du produit par les consommateurs. Ils confirment les analyses plus anciennes, déjà citées par V. Packard en 1957, notamment sur les consommateurs de cigarettes (« Lors des tests ils ne sont pas capables de distinguer leur marque de cigarettes des autres. Ils fument donc vraiment une image », op.cit., page 48).
Les travaux des neuro-psychologues sur IRMF (Imagerie par résonnance magnétique fonctionnelle) le confirment : en l’absence de marque reconnue, les zones du cerveau sont plus activées que dans le cas contraire, comme si le sujet devait faire un effort supplémentaire pour apprécier la qualité du produit ; l’anticipation du résultat « grande marque » a notamment influencé le traitement de l’information gustative dans le cas d’expérience portant sur les boissons (Etude PLos One citée par Pierre Barthélémy, 18/6/2013).
C.2.2. Le « branding » – la promotion des marques plutôt que des produits –traduit une inversion du rapport au produit. C’est le produit qui est un outil du marketing et non l’inverse. Le vrai produit c’est désormais la marque. Comme l’écrit le publicitaire américain Peter Schweitzer, « un produit c’est ce qui se fabrique en usine, une marque c’est ce qu’achète le consommateur » (cité par N. Klein, op. cit., page 304).
La publicité met de moins en moins l’accent sur la valorisation de la qualité intrinsèque du produit et du service qu’il est censé rendre, comme dans les années 1950 (ex. la machine à laver Machin libère la femme des tâches ménagères), que sur le « style de vie » censé découler de la possession de ce produit (ex. « des voitures à vivre » de Renault, « mon smartphone ma vie » selon Samsung ; Nike se présentait comme « une société de sport », qui ne vend pas des chaussures mais « améliore la vie des gens par le sport et la forme physique », d’après Phil Knight, son président (N. Klein, op. cit., page 57). Le bourgeois gentilhomme disait la même chose quand il affirmait que son père n’était pas marchand mais qu’il était fort obligeant en donnant des étoffes en échange d’argent !
Joule et Beauvois soulignent d’ailleurs l’importance de l’étiquetage comme moyen de manipulation : l’étiquetage consiste à doter la personne que l’on veut manipuler d’une qualité fictive (ex. la générosité, le souci des pauvres, la clairvoyance, etc.) pour l’inciter à se comporter dans le sens voulu par le manipulateur ; cela conduit la personne à tisser un lien entre ce qu’elle est (en fait ce que le manipulateur dit qu’elle est censée être) et son comportement (ce que le manipulateur attend d’elle).
L’orientation de la publicité vers le « style de vie » plutôt que le produit lui-même s’inscrit dans cette mécanique d’étiquetage : elle consiste à faire croire que l’achat de tel ou tel produit recèlerait en lui-même de grandes valeurs de vie. Ainsi, dans les années 1990 il y a eu la mode de ce qu’on désignait ironiquement comme des « produits de bonté » (en achetant cette bouteille d’eau on versait quelques centimes à une noble cause humanitaire) ou, de nos jours, les produits « verts » (en achetant ceci… je sauve la planète) ou de « commerce équitable ».
Avec les « marques » on achète non plus un produit mais tout un environnement émotionnel fictif et un style de vie (lifestyle) associé à ce produit (« Ma crème, c’est tout moi », « Shopi : Tout un état d’esprit pour vous guider vers les produits qui vous ressemblent » ; publicité Buick : « Elle vous donne le sentiment d’être l’homme que vous êtes », etc.).
Le branding/style de vie aimerait enfin que le consommateur vive dans une marque, c’est-à-dire en étant soumis à une marque. Cela conduit à ce qu’on nomme la « voûte de marque », c’est-à-dire la vente d’une pluralité de produits n’ayant rien en commun, sinon de relever d’une même marque. Disney est le prototype de cette évolution : que la marque devienne la vie même. Walt Disney avait compris en effet que les gens qui regardaient ses films avaient envie de passer de l’autre côté de l’écran : d’où le premier Disneyland.
Les marques s’efforcent ainsi de se glisser dans le quotidien des gens pour qu’ils consomment, c’est-à-dire qu’elles cherchent à accompagner le consommateur partout et tout le temps. Ainsi Nike se positionne comme coach virtuel des consommateurs avec le slogan « On va vous aider à vivre votre passion » : le running et le fitness (passions créées par la publicité en réalité).
Scott Bedbury, vice-président marketing de Starbucks, déclarait ainsi que « Les consommateurs ne voient pas de différences énormes entre les produits » ; c’est pourquoi les marques doivent « établir des liens émotionnels » avec leurs clients : au moyen de « l’expérience Starbucks » (cité par N. Klein, op. cit., page 53). Voir aussi ce que déclarait l’auteur de la publicité de la Légende de Shalimar pour Guerlain, Brunon Aveillan : « J’aime faire rêver les gens avec des univers qui ne sont pas simplement centrés sur un produit » (Le Monde du 5 octobre 2013).
Le branding est donc un moyen de conquête de l’imaginaire personnel et de la culture (on parle alors d’halogo), notamment grâce au sponsoring d’institutions publiques et de manifestations culturelles ou sportives.
Michel Geoffroy, 6e Journée de la réinformation, 26/10/2013
http://www.polemia.com/polemia-6e-journee-de-la-reinformation-la-publicite-element-cle-de-lideologie-dominante-35/