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Leonarda : vers la dictature du sentiment

À l'heure où nous écrivons, depuis le Kosovo, Leonarda et sa famille crient à l'injustice, à propos de leur expulsion du territoire français, pendant que chaque homme politique hexagonal y va de son appréciation sur la question. Psychodrame ? Crise du régime ? Crise des certitudes de gauche ? Un peu tout cela sans doute...
Manuel Valls a donné des consignes pour faire appliquer les lois concernant l'expulsion des étrangers sans papier. Il a désigné les Roms parmi les personnes « incapables de s'intégrer » (cela au mépris d'une Tradition millénaire d'accueil des Romanichels). Voilà une famille qui ne peut prouver aucune recherche d'emplois, voilà un père qui bat régulièrement ses filles et vit de menus larcins, voilà une famille kosovare ou italienne (ou les deux...), qui est entrée sans papier ou en brûlant ses papiers italiens, comme ils le prétendent aujourd'hui... Il faut dire que le système social italien, pratiquement inexistant, n'offre pas les mêmes prestations que le système français ! L'expulsion de la famille de Leonarda apparaît d'une part comme parfaitement légale (elle a été décidée par un tribunal français) et elle est parfaitement cohérente, dans la perspective du discours que le ministre tient actuellement. Une enquête administrative est diligentée, histoire de faire porter le chapeau, au choix, au ministre ou au préfet. Les choses auraient pu et auraient dû en rester là.
J'accuse ?
En réalité, il n'en est rien. Leonarda pourrait être comme un nouveau Dreyfus. Ce qui est en cause, ce sont les circonstances de son expulsion. Il a suffi que la police débarque pendant une sortie scolaire, pour emmener la susdite, sans la moindre violence. Aussitôt, le paysage audiovisuel est en émoi. C'est une rafle, dit Esther Benbassa, comme aux jours les plus sombres, etc. Vincent Peillon déclare qu'il faut « sanctuariser l'école ». On ajoutera pour lui : et les sorties scolaires ! Mais surtout les lycéens se déchaînent à la veille des vacances de Toussaint : « Avec ou sans papiers, ils sont comme nous, ce sont des élèves. » On aurait pu dire : « Ce sont des hommes. » On comprend que la logique qui gouverne ces jeunes esprits est celle du cosmopolitisme intégral et de l'ouverture totale des frontières. Rien n'est plus irrationnel, rien n'est plus contraire à l'Etat de droit quand on y réfléchit deux minutes. Mais on ne réfléchit pas. On est sous l'emprise du sentiment, du compassionnel. Prime aux larmes ! Honte à qui ne pleurerait pas ! On peut dire qu'entre la compassion, qui est un sentiment typiquement chrétien, sentiment dont on peut dire qu'il est né au pied de la Croix et le compassionnel que l'on voit à l'œuvre aujourd'hui, il y a une immense différence : le compassionnel n'est ni actif ni efficace, il n'a pas besoin d'être réaliste, comme doit l'être la charité. Il se contente d'affirmer une bonne conscience sans limite - celle du citoyen de gauche.
Peut-on préciser ? Quelle bonne conscience ? Je la trouve parfaitement exprimée par Claude Bartolone, président de l'Assemblée nationale. Voici ce qu'il vient de twitter : « Il y a la loi. Mais il y a aussi des valeurs avec lesquelles la Gauche ne saurait transiger. Sous peine de perdre son âme. » Le vocabulaire religieux peut surprendre chez ce laïc pur jus, chez ce franc-maçon assumé. Il est pourtant de circonstance. Claude Bartolone est juriste. Il sait parfaitement qu'« il y a la loi », il le dit. Mais il existe quelque chose qui est plus grand que la loi et qui mérite que l'on fasse scandale, même si l'on doit mettre la loi en cause. Ce quelque chose, c'est ce que Bartolone désigne comme « des valeurs avec lesquelles la gauche ne peut transiger ».
Le cœur contre la loi
Il y a deux questions qui se posent à travers cette affaire : la première, faut-il appliquer la loi ? Et la deuxième : la Gauche, parce qu'elle est de gauche, a-t-elle le droit imprescriptible de ne pas appliquer la loi ? A-t-elle, à travers le monopole revendiqué du cœur le pouvoir de déclarer une loi ringarde ?
Nous verrons ce qu'il adviendra de « l'affaire Leonarda ». Mais je crois que la Gauche défendra avec la dernière énergie ce pouvoir qu'elle a d'agir et de faire agir au-dessus du droit, au nom du « Bien ». Claude Bartolone nous fait croire que son intérêt pour cette famille relève de l'humanisme. En réalité, il relève certainement du calcul électoral. La Gauche synonyme aujourd'hui pour l'électeur moyen de hausse incontrôlée de l'impôt et de précarité économique. Elle a donc perdu la France moyenne. Si, à travers des expulsions médiatisées, elle en vient à perdre aussi l'électorat issu de la Diversité, celui qui a fait gagner François Hollande, alors littéralement, elle n'a plus rien en main. Le calcul politique « sarkozyste » de Manuel Valls aurait pu fonctionner. Seulement voilà : le modèle de la Social démocratie est à bout de souffle (comme le montre l'ampleur de la dette et la terrible question pendante des retraites). Il ne reste donc plus à la gauche que l'idéologie. Laquelle ? Non pas le socialisme, cela fait longtemps qu’on l'a oublié celui-là, mais le mondialisme et le cosmopolitisme, l'idéologie mise en place dans années 1980 par François Mitterrand pour assoir sa légitimité, qui se trouve après tout en accord avec la Non-pensée officielle des instances bruxelloises. La surenchère idéologique des lycéens est aujourd'hui, au nom du compassionnel, la seule chance de la Gauche, comme très bien compris Jean-Luc Mélenchon, qui là-dessus a comme souvent un métro d'avance, gageons que malgré Pépère, cette Gauche va jouer son jeu à plein. On n'est pas à l'abri d'une montée à l'extrême.
Puisqu'elle ne peut pas se targuer de ses résultats (qui sont calamiteux), elle va pratiquer la fuite en avant : tout faire pour exclure et marquer du sceau de l'infamie civique ses adversaires quels qu'ils soient.
Au nom du compassionnel, le cosmopolitisme antinational devient plus que jamais l’idéologie « moralement » obligatoire, comme était obligatoire le marxisme sous Staline.
Jean-Michel Hardy monde & vie 22 octobre 2013

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