Les maires français revendiquent d'user d'une clause de conscience, sujet politique délicat depuis toujours, face au Mariage pour tous.
L'objection de conscience, en politique, a toujours posé des dilemmes aux élus. Tout d'abord celui de la démission. Jusqu'où cautionner une politique ou des lois que l'on n'approuve pas ? Comment articuler responsabilité politique et conscience morale ? On se souvient de la phrase restée célèbre prononcée par Jean-Pierre Chevènement en 1983 : « Un ministre, ça ferme sa gueule. Et si ça veut l'ouvrir, ça démissionne. » Au final, Jean-Pierre Chevènement démissionnera deux fois... Le dernier ministre à avoir démissionné est la socialiste Delphine Batho, ancien membre de l'actuel gouvernement. La chose n'est pas nouvelle : les légitimistes français se barricadèrent dans leurs châteaux entre 1830 et 1870, comme l'évoquait volontiers Jean de La Varende dans ses œuvres. Ils ne voulaient collaborer ni avec Louis-Philippe, ni avec Napoléon III. De même en 1905, la crise des inventaires, la persécution des catholiques par la République(1) poussa nombre d'officiers, de fonctionnaires ou d'élus à démissionner de leurs fonctions (une attitude là encore évoquée par La Varende dans Le non de M. Rudel). La question fut encore d'actualité durant l'Occupation où les maires et les fonctionnaires durent souvent faire face à des cas de conscience extrêmement grave.
Maires pour l'enfance
Les maires sont évidemment concernés par l'objection de conscience quand la loi heurte leurs convictions en matière d'état-civil. Si le divorce ou le PACS sont des actes juridiques (le divorce étant néanmoins mentionné à l’État-civil), le mariage ouvert aux couples de même sexe, autorisé par la loi Taubira, place les élus opposés pour des raisons morales à cette évolution plus que contestable de la législation, devant un choix cornélien : légitimer cette aberration anthropologique ou se mettre hors la loi puisque le pouvoir ! et le Conseil constitutionnel refusent l'objection de conscience pour les élus locaux après qu'il ait été saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Seule reste ouverte la saisine de la cour européenne des droits de l'homme. Comme l'a laissé entendre le maire UMP d'Arcangues (Pyrénées-Atlantiques), Jean-Michel Colo : « Nous allons faire dire à l'Europe ce que le Conseil constitutionnel n'a pas dit. Nous allons saisir la Cour européenne des droits de l'homme. » À la tête de ce combat, on trouve Frank Meyer, responsable du collectif des Maires pour l'enfance, évangéliste protestant et maire UDI de Sotteville-sous-le-Val (Seine-Maritime). Lors de l'audience du Conseil constitutionnel, il a notamment déclaré : « La question est de savoir si la loi Taubira sur le mariage pour tous n'enfreint pas l'une des libertés fondamentales, à savoir la liberté de conscience, et si elle n 'est pas contraire aux droits de l'homme, qui garantissent que nul ne peut être inquiété pour ses opinions, mêmes religieuses si elles ne troublent pas l'ordre public. » À ses côtés, on trouvait le maire CNIP du Chesnay, Philippe Brillault, porte-parole de la Manif pour tous et donc très en pointe sur le sujet. Il a déclaré à la télévision France 24 : « La vraie question c'est : la décision du Conseil constitutionnel est-elle juridique ou politique ? À mon avis, elle est politique. »
Agents de l’État ?
Que peut faire un maire face à un mariage entre personnes de même sexe, alors qu'il en réprouve le principe ? Déléguer la chose à l'un de ses adjoints, comme pour n'importe quel autre mariage, ou sinon à un élu de l'opposition. Que souhaiteraient-ils ? Que le préfet règle la question au nom de l’État. Comme officier d’État-civil, comme officier de police judiciaire, le maire n'est pas seulement un représentant du peuple, il est aussi un agent de l’État. Pour autant, il n'est pas un fonctionnaire, il n'a pas d'obligation morale de servir l’État. Il y aurait une grave contradiction interne à la démocratie de priver un élu de sa liberté d'opinion ou de conscience au prétexte qu'il serait un agent de l’État. Autant alors que ce dernier nomme les maires, comme ce fut le cas au XIXe siècle.
Pour les élus qui se battent en faveur de la liberté de conscience, il s'agit là de défendre le caractère propre du politique face à l'empiétement étatiste. Le mariage homosexuel a créé un clivage profond dans la société française. Là où l'on ne peut contraindre un médecin à pratiquer un avortement, là où un citoyen pouvait refuser de faire son service militaire, au profit d'un service civil, on pourrait contraindre un élu local à faire fi de ses convictions profondes, de sa conception anthropologique ? Voilà la question que soulèvent de courageux élus malgré la pression médiatique et les menaces des préfets aux ordres du système (on l'a vu notamment dans le Vaucluse, face à la volonté de résistance des époux Bompard). Les catholiques se heurtent aujourd'hui à un totalitarisme rampant qui souhaite changer l'homme. L'objection de conscience va devenir un enjeu majeur de notre société. Il faut souhaiter que de nombreux élus prolongent leur réflexion sur le sujet, aidés en cela par des philosophes et des juristes. Nous sommes là au cœur des enjeux et des ambiguïtés de la laïcité, qu'on ne saurait réduire comme certains sont tentés de le faire à la seule question de l'islam.
Jacques Cognerais monde & vie 12 novembre 2013
1 Jean Sévillia, Quand les catholiques étaient hors-la-loi, Perrin, 2005.