La conversion de tous au crétinisme culturel est bien plus qu'une obligation. C'est une nécessité. C'est une nécessité, tout simplement :
- parce que c'est un ordre du marché et que dans une société capitaliste la nécessité se confond avec les ordres du marché,
- et parce que l'essentiel des profits du procès capitaliste dans les pays civilisés est désormais lié à la consommation culturelle à cours forcé, c'est à dire à la vie irresponsable, ahurie et hébétée téléguidée à temps plein par la marchandise culturelle.
Cependant certaines populations (peut être parce que l'intelligence leur sied particulièrement, peut être parce qu'elles appréciaient de disposer de l'ensemble de leurs moyens mentaux, peut être pour d'autres raisons que je ne connais pas) vont se trouver rétives et récalcitrantes face à cette injonction qui leur est faite d'avoir à déposer leur cerveau.
Mais l'ordre vient de haut : du marché ! Et le marché, c'est le vrai Dieu du monde moderne, celui qui a réellement tous les pouvoirs, disait à peu près un économiste connu.
Le marché va donc commanditer une politique incitative auprès de ces populations regrettablement peu disposées à la vie zombifiée. Le marché en a les moyens : il peut recruter et payer des exécutants pour n'importe laquelle de ses basses œuvres. En passant il peut aussi donner à ces hommes de main des tas de titres et de pouvoirs qui dans le monde d'avant avaient un certain sens, dans l'ordre politique, juridique, scientifique par exemple. C'est ainsi que l'on trouve des tas de gangsters hystériques déguisés par le marché, qui a aussi les moyens de payer tous ces frais de maquillage, en présidents de ceci ou de cela, en conseillers en ceci ou en cela. en experts de ceci ou de cela.
Politique incitative non avouée comme telle, à vrai dire, mais en un certain sens extrêmement cohérente lorsqu'on parvient à en surplomber les différentes éléments et les différentes étapes (soumission obligatoire et permanente à la musique néo-primitive, mythologie du salaud civilisé et du gentil primitif, et ainsi de suite).
Pour les populations véritablement réfractaires (les rares personnes qui persistent à n'oublier pas ce qu'était le monde anté-culturel, et la vie sensible) le marché, malgré toute sa mansuétude et son goût prononcé pour le viol psychique discret et insensible par la culture et notamment la musique devra employer des méthodes plus nettement incitatives.
Parmi ces méthodes, il faut citer l'envoi, auprès de ces populations de pédagogues, c'est à dire de crétins solidement formés, volontaristes et prosélytes, qui savent bien, eux, qu'on n'est pas au monde tant qu'on est pas un énervé agité en permanence par les dernières pacotilles culturelles. On va donc organiser des opérations de crétinisation de grande ampleur, par confrontation amicale entre les populations indigènes ringardes et bornées et des populations importées ayant fait de l'abrutissement culturelle leur nature, si l'on ose dire ainsi.
Mais il ne faudrait surtout pas croire que le métier de crétin-pédagogue soit toujours facile. Les populations à crétiniser se défendent, se rebiffent. Elles argumentent, parfois haussent le ton et se fâchent.
Heureusement le marché, qui voit les choses de haut et de loin, a tout prévu. Non seulement il a embauché une foultitude de crétins praticiens, mais aussi des crétins théoriciens, c'est à dire des convertis à la culture culturelle mais dans sa version pédante et bavarde (des cinéphiles, des chrétiens de gauche ou des choses comme çà), qui ont compilé, sous ses ordres et sous son étroite surveillance ("que les juristes sont donc petits et interchangeables !" hulule alors le marché, qui a toujours raison) une législation ad hoc permettant de repérer, d'isoler et de punir instantanément tout récalcitrant à la crétinisation refusant une intervention pédagogique des crétins de terrain chargés de le convertir pleinement aux bienfaits de la culture.
Lorsqu'on ose y penser, tout ceci est très logique : en capitalisme culturel, l'offense à crétin culturel est bien le crime majeur. Pour comprendre ce fait un peu étonnant pour les non initiés, il suffit de comprendre que l'offense à crétin culturel est une atteinte presque directe à la possibilité de faire des profits, une atteinte quasi directe au marché lui même.
Les populations incitées à la conversion sont indissolublement définies par leur appartenance raciale, ethnique, religieuse, historique et j'en passe et des meilleures. Ces distinctions sont bien complexes à établir, évidemment pleines d'enjeux terrifiants et ce n'est pas ce moment de nécessaire crétinisation qui va nous aider beaucoup à clarifier calmement et rationnellement ces choses. Il est donc bien difficile de déterminer si la politique de crétinisation obligatoire poursuivie est d'ordre raciale, ethnique, ou autre. Cette question est peut être insoluble et çà tombe bien puisqu'elle est finalement sans importance aucune pour la suite. Il suffit de remarquer qu'il y avait jusqu'à présent des populations (définies donc de manière biologique ou culturelle, ou les deux, cela reste en suspens et c'est sans importance aucune pour la suite) qui appréciaient particulièrement d'user de leur cerveau et qui sont privées, à juste raison mais contre leur gré, de cet usage par les nécessités du marché.
Ce qui n'est pas niable par contre, c'est que l'on a une politique populationnelle, une politique menée à l'égard d'une population identifiable et menée contre son gré puisqu'elle refuse obstinément et avec pertinacité de se convertir au nouveau mode de fonctionnement humain, celui qui est nécessaire au marché : le crétinisme culturel. En effet, il est indiscutable que les demandes explicites de crétinisation culturelle sont restées longtemps extrêmement rares dans la population française. Je dis bien et je maintiens : extrêmement rares. Ce n'est que très récemment que la politique d'incitation à la crétinisation généralisée a commencé à porter ses fruits et que l'on peut observer un mouvement spontané de certaines catégories de la population vers la crétinisation intégrale, chez les jeunes filles droguées à la musique néo-primitive par exemple.
On constate donc qu'une politique populationnelle a été mise en place :
- d'abord pour trier les "convertissables" à la crétinisation culturelle et les "non convertissables" à la crétinisation culturelle, ces derniers étant relègués ou éliminés discrètement,
- ensuite pour mettre en oeuvre une heureuse politique systématique de crétinisation proprement dite.
Il n'est pas du tout certain d’ailleurs que cette politique de conversion-extermination d'un peuple soit consciente même chez les plus tordus et les plus cruels de ses exécutants. Elle est tout simplement nécessaire au marché, qui paye ceux qui l'appliquent, et qui ne paye pas ceux qui ne l'appliquent pas. Il est comme çà le marché : intègre et entier, il ne faut surtout pas essayer de lui raconter des histoires.
J'ai écrit un peu plus haut "convertissables" ou "non-convertissables" à la crétinisation culturelle dans un moment d'optimisme. En fait il faudrait dire "réifiables" ou "non réifiables", c'est à dire "achetables par le marché" ou "non achetables" par le marché. Cela devient un peu plus compliqué mais cela permet de donner un coup de massue supplémentaire : en effet les "crétins-pédagogues" identifiés plus haut ne sont actuellement guère que des choses achetées par le marché et lancées contre un peuple qui n'en demande pas tant ; mais ce triste rôle historique induit par le capitalisme aux abois n'est pas une fatalité et c'est aussi de leur prise de conscience et de leur révolte contre l'argent fou que pourrait émerger un monde à nouveau vivable.
Récapitulons et synthétisons. Nous avons, grosso-modo :
- les gens de gros argent,
- les crétins-pédagogues chargés de la crétinisation, fêtés et gâtés par les précédents,
- les consommateurs acéphales mécanisés tendance bobos,
- les populations à convertir ou en cours de dressage, c'est à dire l'ancien peuple français,
- enfin les irrécupérables refusant les bienfaits de la culture culturelle, poussés discrètement au désespoir, à la ruine, à la mort sociale ou physique.
Il y a eu et il y aura d'autres politiques populationnelles (raciales, ethniques) par exemple de conversion à une nouvelle éthique, ou d'extermination, ou de relégation, ou autres, non pleinement avouées, ni même conscientes, dans l'histoire. Certaines sont bien connues et ont fait l'objet d'études nombreuses. Celle qui est appliquée en France contre les populations refusant une crétinisation culturelle généralisée apparaît cependant originale et nouvelle et gagne à être connue de tous, petits et grands.
Jacques-Yves Rossignol