Dès les premières informations en provenance d’Ukraine orientale, les chancelleries occidentales ont manifesté les unes leur stupeur, les autres leur réprobation face au refus, par Moscou, du fait accompli. Mais qui pouvait raisonnablement penser que la Russie resterait insensible à la situation ? Comment s’étonner des événements de Crimée, cette république autonome, majoritairement « russe », artificiellement séparée de la Russie au profit de l’Ukraine en 1954 ? Sait-on au moins au Quai d’Orsay que la pointe extrême de la Crimée abrite Sébastopol, le grand port militaire russe fondé par Catherine II en 1783 ? La détestation de M. Poutine ne saurait aveugler au point de tenir lieu de politique étrangère.
Pourtant, les médias français pensaient que l’Union européenne, bien incapable d’agir par elle-même, avait remporté une grande victoire en dépêchant à Kiev les ministres des Affaires étrangères d’Allemagne, de France et de Pologne – avec le résultat que l’on sait. Analyse contestable car ce sont bien les représentants de trois Etats qui se sont manifestés, avec des fortunes diverses - l’Allemagne, pragmatique, confortant sa place d’interlocuteur européen privilégié de la Russie ; la Pologne, « irrédentiste », réaffirmant ses liens et affinités avec l’Ukraine occidentale ; la France indécrottablement idéologique, devant se contenter d’avoir donné satisfaction aux bons apôtres des prétendus droits de l’homme.
Déjà, en 2004, l’« Occident » avait salué la « Révolution orange » de Kiev - dont on sut vite qu’elle avait été suscitée et financée par la ploutocratie locale et des organisations étatsuniennes dirigées par M. Soros. Nul doute que, dans leur stratégie anti-russe, l’Ukraine ne représente pour les Etats-Unis d’Amérique un pion essentiel. Il ne faut pas oublier que naguère encore la Maison Blanche envisageait sérieusement l’installation de missiles sur le territoire polonais. Mais que jadis elle avait exigé et obtenu le démantèlement des missiles soviétiques à Cuba…
Force est de constater que personne, en Europe, n’a de vision stratégique de la situation. On nous répète qu’il n'a jamais été sérieusement question d’intégrer l’Ukraine dans l’U.E. – que l’« Europe » ne le peut ni ne le veut. L’objectif serait donc simplement de lui permettre de devenir un pays européen « comme les autres ». Cela n’a aucun sens mais aura forcément un prix. Sans parler de la possibilité d’un conflit militaire, ni même d’une partition annoncée, l’Ukraine risque en effet de sombrer dans le chaos géopolitique et dans un naufrage économique – avec, pour le reste du continent, des conséquences gravissimes.
Avis de tempête, et donc prudence et circonspection de rigueur. Tout le contraire de l’emballement médiatique et idéologique de ces dernières semaines.
Louis-Joseph Delanglade