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L’archipel Humain (3/3) : ce qui est en haut est comme ce qui est en bas

"Personne n'est tombé tant qu'un seul est debout.
Le vieux sang des aïeux qui s'indigne et qui bout,
La vertu, la fierté, la justice, l'histoire,
Toute une nation avec toute sa gloire
Vit dans le dernier front qui ne veut pas plier.
Pour soutenir le temple, il suffit d'un pilier ;
Un Français, c'est la France ; un Romain contient Rome,
Et ce qui brise un peuple avorte aux pieds d'un homme. "
           Victor Hugo, Les châtiments, 1853.

Nous avons vu qu’augmenter la résilience de l’espèce humaine, c’est maximiser sa diversité, ce qui est favorisé par l’autonomie et la décentralisation. Cependant, ceci améliore la résilience de l’Humanité, non pas une Nation en elle. Les deux ne vont plus ensemble, dès lors que ces dernières veulent rester compétitives. Ici, nous proposons quelques directions théoriques, des approches politiques tendant vers une révolution écologique. A situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles : il est temps de redéfinir radicalement notre mode de vie en faisant de la nature un socle de la politique, et de donner une assise spirituelle aux préoccupations environnementales, enjeu de notre époque. Et l’écologie propose des lois dont nous pouvons nous inspirer.

7. Refondre la Nation : autarcie versus progrès ?

La frontière comme peau : entre échange et protection. Cette dégradation de la diversité pourrait n’être après tout qu’un problème d’énergie, la révolution industrielle ayant accéléré la rencontre entre des sociétés, initialement séparées en un archipel humain. Mais nous pouvons opposer à ce phénomène une discipline, canalisant le progrès permis par l’énergie, conservant ainsi les styles de chaque culture. Alors que la mondialisation tend à ne créer qu’une seule société rendue fragile du fait de son interdépendance, un système pluri-civilisationnel, diversifié et communicatif, maximise le nombre de solutions adaptatives. La rencontre entre deux entités sociales n’est donc souhaitable que dans un cadre bien précis, lorsque les deux partis y sont préparés et que chacun a à apprendre de l’autre. Ainsi il y a progrès mutuel et progrès du système les englobant. En revanche, si ces conditions ne sont pas réunies, la rencontre devient destructrice, c’est à dire affaiblissante en attirant vers le bas. On ne devient créatif dans un domaine que lorsque l’on en maîtrise les bases. Seule une civilisation sûre de sa culture peut apprendre d’une autre.

Une éthique de la séparation. Il s’agit de se rendre suffisamment perméable pour favoriser le progrès humain, tout en protégeant ce qui fait la spécificité, l’originalité d’une culture.  Nous pensons que l’ « archipel humain » est davantage favorisé lorsque la partie productive d’une civilisation est relativement isolée de l’extérieur par une forme de protectionnisme. Il nous faut donc développer, comme le propose Régis Debray, une nouvelle éthique de la séparation 1. Ce qui en pratique, signifie réinstaurer un système de taxes aux frontières, ainsi que contrôler l’immigration.  Les communautés, lorsqu’elles sont minoritaires, s’adaptent à la structure d’accueil. Mais lorsqu’elles deviennent importantes, elles cherchent à imposer leur culture, donc à féoder la structure d’accueil, changeant du même coup la substance spirituelle du peuple, lui faisant perdre sa cohésion. A l’intérieur même du pays, une relocalisation de la production ainsi qu’une autonomie plus complète  des zones à l’échelle des communautés est nécessaire.

Membrane perméable et jeux de représentations. Deux traits facilitant l’innovation semblent s’opposer : d’une part l’ouverture à l’expérience, de l’autre, la pensée divergente. Sont-ils inconciliables ? La pensée janusienne, la conception simultanée d’oppositions, est un trait créatif indispensable. Mais pour concevoir une opposition, il faut déjà bien connaître sa propre culture et rechercher chez l’autre des solutions. L’exercice est très révélateur et montre à la fois l’importance des représentations et celle de la diversité des incarnations où celle-ci se cristallise. Un des principes de la programmation-neuro-linguistique stipule que la flexibilité de la structure doit évoluer avec le niveau de complexité du système pilote. C’est la loi de la variété requise : la partie la plus adaptable doit être le système pilote, qui doit maintenir un niveau de complexité supérieur à ce qui est piloté. La partie pensante d’une société doit donc être particulièrement ouverte et flexible, quand la masse est préservée. Ceci, quel que soit le domaine considéré, nécessite une richesse culturelle suffisante pour se rendre capable de jeux de représentations avec bénéfice. Car c’est par leur friction que l’on est le plus susceptible d’être créatif, en variant les angles d’approche, favorisant une restructuration cognitive d’un problème (l’insight).

8. Du milieu au substrat, l’esprit des lois.

Tout est dans tout. L’un des buts premiers de l’Etat doit être de veiller à faire de ses citoyens des individus complets et non de repérer les futurs talents par une méritocratie impitoyable et en faire des « animaux productifs » spécialisés et consommateurs. Le taylorisme augmente peut être la productivité, mais il rend les ouvriers fragiles, donc l’entreprise de la même manière. Ce que nous pourrions appeler « tout est dans tout », nous semble le résumé d’une doctrine visant à rendre un pays, et l’humanité en général, plus résilient. Chacun, individu ou nation, doit être assez généraliste pour se rendre autonome au maximum et avoir une spécialité pour se rendre utile, donc attractif, pour la communauté. Ce qui correspond en fait, dans la Spirale de Don-Beck, au niveau jaune de l’état d’avancement d’une société, succédant au vert des actuels pays développés.

Flux physiques... Il nous faudra redéfinir notre stratégie d’exploitation de la matière première. De la même manière, si « tout est dans tout », le type d’énergie à développer doit dépendre de l’échelle et être géré par toutes les parties concernées sur l’ensemble de la chaîne, de la communauté à la tête de l’Etat 2-4. Mais il faudra aussi réduire l’empreinte énergétique, en minimisant les flux physiques: financiers, marchandises, humains. L’écologie industrielle est, dans cette voie, un domaine en pleine expansion. L’un de ses grands principes est le rebouclage : relier le cycle économique d’un produit aux cycles biogéochimiques de ses composants.  A l’intérieur même du pays, il faut favoriser la localisation et l’autonomie 5,6. Par le blindage d’abord, c’est à dire en introduisant une taxation en bordure du système, par le compartimentage ensuite, en poussant à l’autonomie des sous-systèmes et par le recuit constant enfin, en cassant les habitudes et en favorisant la fluidification aux interstices.

... et flux d’informations. Les dernières décennies ont, surtout par le développement des technologies des télécommunications, mis en contact les civilisations. Mais nous observons également une recrudescence de la tribu. Les gens se rassemblent selon leurs centres d’intérêts, plutôt que de surfer en solitaire dans cet océan de données. Discipliner notre usage de l’information n’a rien à voir avec de la censure, mais pourra plutôt être désigné comme « l’augmentation du rapport signal/bruit ». Alors que le flux d’information, par internet en particulier, pourrait permettre de faire l’économie de déplacements, en ne transportant que la donnée utile, en la sélectionnant, en la travaillant, avec un coût minime, nous observons au contraire une vulgarisation de son utilisation. Comme la télévision à ses débuts, on imaginait pouvoir faire de la toile un outil d’éducation, permettant à chacun d’évoluer. En réalité le web favorise toutes les pulsions. En faisant reculer le sur-moi intimidant et en flattant l’animalité des utilisateurs, on pourrait dire qu’internet  est aujourd’hui une anti-religion. Et de dans ce concerto de couleurs, les populations sont induites chaque jour différemment, comme de la limaille de fer dans un champ magnétique. On l’observe bien dans la communication au sujet du changement climatique : les médias polarisent, les positions se crispent et cristallisent. Les populations attendent une « solution », alors que l’adaptation nécessaire à ce phénomène serait plutôt une façon de nous redéfinir nous-mêmes 7.

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