La persécution subie par les Chrétiens syriens depuis le début de la guerre civile va crescendo : décapitations, enlèvements, viols, les conduisent à partir se réfugier à l'étranger. Ceux qui restent doivent se soumettre au statut infamant des dhimmi (« protégés »).
Les chrétiens de Syrie, qui représentaient avant le début de la guerre civile environ 8 à 10 % de la population du pays (soit environ 2 millions pour 20-22 millions d'habitants), ont fait en sorte de se tenir à l'écart des affrontements entre des rebelles souvent sunnites d'un côté et, de l'autre, Bachar al Assad, qui appartient à la communauté alaouite, et ses alliés chiites. Efforts vains. Ils sont rattrapés par le fanatisme islamiste.
Le groupe djihadistes « État islamique en Irak et au Levant » (EIIL) a annoncé imposer une série de règles draconiennes aux habitants chrétiens de la ville syrienne de Raqqa qu'il contrôle depuis quelques mois. Raqqa, ville située à 385 kilomètres au nord-est de Damas sur le cours de l'Euphrate, est le seul chef-lieu de province à être, en mars 2013, tombé entièrement entre les mains des opposants au régime de Bachar al Assad. Quelque 300 000 personnes y habitaient avant le début des violences en Syrie, et moins de 1 % étaient chrétiens. Nombre d'entre eux ont quitté la ville quand l'EIIL a commencé à attaquer et à brûler des églises. Une poignée, les plus démunis, sont restés chez eux.
Interdictions, vexations et impôts
Le groupe a annoncé lui-même cet « accord » contenant douze règles censées garantir la « protection » des chrétiens. Le texte, publié sur des forums djihadistes et portant le cachet de l'EIIL, stipule que les chrétiens doivent verser la taxe, qui était imposée aux premiers temps de l'islam aux non-musulmans. Les chrétiens « fortunés » devront payer jusqu'à l'équivalent de treize grammes d'or pur, ceux de la classe moyenne devront verser la moitié de cette somme et les défavorisés le quart.
L' « accord » exige également que les chrétiens s'abstiennent d'exhiber une croix « ou toute chose de leur Livre » dans les marchés ou les endroits où il y a des musulmans et d' « utiliser des haut-parleurs pour faire entendre leurs prières ». Les chrétiens doivent également s'abstenir de « célébrer leurs rituels (...) hors de l'église » et également de montrer une croix ou un livre religieux... Une série d'interdictions à impérativement respecter sous peine d'être « traités comme des ennemis ». Selon cet « accord », ils doivent également obéir aux « règles imposées par l'EIIL, comme celles liées à la discrétion dans la manière de s'habiller ».
Le groupe djiahdiste a également indiqué que les chrétiens « ne devaient pas restaurer les monastères ou les églises (...) dans leur ville ou les environs ». Bien entendu, les chrétiens ne doivent pas porter d'armes, a précisé l’EIIL, en avertissant que ceux qui ne respecteraient pas ces règles feront face au même « destin » que celui subi par les ennemis de la rébellion.
Un choix vexatoire
À présent, les derniers chrétiens de Raqqa vivant sous la coupe de l'EIIL ont un choix à faire : soit accepter leur statut de sous-citoyen devant payer et se faire le plus discret possible pour rester en vie, soit partir pour un long et dangereux voyage d'exil en espérant trouver un pays d'accueil. Il y a une autre possibilité : que les chrétiens se convertissent à l'islam pour gagner un peu de dignité. Et c'est probablement le but des islamistes.
Le statut juridique des dhimmi, ou protégés, repose sur le vingt-neuvième verset de la neuvième sourate du Coran : « Combattez : ceux qui ne croient pas en Dieu et au Jour dernier; ceux qui ne déclarent pas illicites ce que Dieu et son Prophète ont déclaré illicite, ceux qui parmi les gens du livre ne pratiquent pas la vraie Religion. Combattez-les jusqu'à ce qu'ils paient directement le tribut après s'être humilié. » La soumission des dhimmi, c'est-à-dire l'acceptation de l'autorité et de la supériorité des musulmans, leur vaut, en principe, la liberté de culte et d'être protégés des violences et des déprédations.
À Raqqa, en dépit du fait que les chrétiens sont très peu nombreux, les islamistes veulent que, comme dans le bon vieux temps, les chrétiens s'humilient. Et ne nous leurrons pas, beaucoup de bons musulmans de cette petite cité n'y voient rien à redire. Dans les faits, le groupe est soutenu par une bonne partie de la communauté sunnite qui croit dur comme fer à la supériorité de l'homme sur la femme et à celle du musulman sur le non musulman. Raqqa, première ville « libérée » par les islamistes vit les heures les plus sombres de son histoire et cela ne présage rien de bon pour l'avenir de la Syrie.
Henri Malfilatre monde & vie 18 mars 2014