Au lendemain des élections européennes ayant vu la victoire du Front National, se pose la question de savoir quelle attitude doivent adopter les militants de la droite dite « classique ». La position de tête du parti lepéniste combiné à sa dédiabolisation progressive doit amener chacun à anticiper l’avenir, notamment en cessant de s’arrêter à des obstacles qui n’en sont pas.
Le faux problème du libéralisme
L’affirmation selon laquelle le Front national serait devenu un parti de gauche en raison de son programme économique fait partie des lieux communs les plus courants. Il est de bon ton dans certains milieux de droite de déclarer en se haussant du col qu’autant il aurait été possible de s’entendre avec le FN libéral du père, autant il n’est pas possible de s’entendre avec celui populeux de la fille. Assénée à grands renforts de niaiseries conceptuelles dont les plus en vogue sont la dénonciation du « #PSFN » et l’opposition manichéenne socialisme VS libéralisme, cette théorie relève de l’escroquerie intellectuelle.
« S’opposer à la bureaucratie ou au fiscalisme et demander que l’État se limite aux fonctions dites régaliennes n’équivaut pas à une adhésion au libéralisme. Celui-ci consiste dans une doctrine selon laquelle il n’existe pas de valeurs en soi mais uniquement la rencontre de volontés », rappelle le politologue Guillaume Bernard. Sans nécessairement adhérer à la doctrine sociale de l’Église catholique énoncée par le pape Léon XIII dans son encyclique Rerum Novarum, il n’est pas possible d’être de droite et libéral stricto sensu, à moins d’être motivé par l’égoïsme matériel ou la coquetterie mondaine. Par ailleurs, affirmer que le Front National serait une résurgence du Parti Communiste en raison du fait qu’ils sont tous deux électoralement assis sur les classes ouvrières et précaires est une erreur qui consiste à confondre politique et sociologie. « Entre les communistes et les gaullistes, il n’y a rien » disait André Malraux, rappelant qu’entre les catholiques sociaux et les communistes sociaux il n’y a que les libéraux individualistes. La principale conséquence politique de la crise est justement le repassage à droite des catégories populaires, mis en lumière notamment par le politologue Patrick Buisson pointant « l’homogénéité croissante des électorats cibles » entre le FN et l’UMP. L’accusation de socialisme est enfin réfutée par Jean-Marie Le Pen lui-même, affirmant que sa fille « défend un État stratège, non un État fiscaliste ».
Une rapide observation de l’histoire de France permet de mesurer le peu de succès de ceux qui, de Guizot à Giscard et dans une certaine mesure Sarkozy, ont eu la réussite personnelle comme porte étendard. À ceux qui se plaignent que la France n’est pas un pays libéral, répondons que non seulement c’est vrai, mais qu’elle n’a pas vocation à le devenir.
La primauté du régalien sur l’économie
La question qui se pose aujourd’hui est de savoir quelle est la priorité politique entre le domaine économique et le domaine régalien. À cette question, le politologue Patrick Buisson répond que « il n’y a pas d’économique pur, l’économie est toujours le reflet d’une métaphysique ». Nul besoin d’être un grand démographe pour savoir que d’ici quelques décennies, les mesures prônées par nos laudateurs du libéralisme serviront essentiellement à faciliter l’ouverture de kebabs et de marchands de hijabs. On comprend mal, ou plutôt on ne comprend que trop bien, pourquoi cette évidence n’est jamais évoquée par ceux qui n’évaluent une politique qu’à l’aune de sa capacité à maximiser la quantité de grain dans la mangeoire économique. Ces indiscutables réussites entrepreneuriales que sont les Quick halal et le site de rencontres adultérines Gleeden sont l’angle mort de la pensée politique de ceux pour qui l’entrepreneuriat constitue l’Alpha et l’Omega.
De plus, le choix stratégique de Marine le Pen de gauchir son programme économique n’est pas seulement mû par une cohérence électorale visant à capter les voix des masses ouvrières précarisées, mais également par une cohérence militante. Dans nombre de milieux professionnels favorisés, le fait de dénoncer l’immigration et le multiculturalisme amène presque automatiquement à l’ostracisme social. Ainsi, entre conserver son prestige social et son confort matériel, ou y renoncer pour dénoncer une immigration dont celle qu’il côtoie a souvent Bac+5, l’électeur « libéral-conservateur » choisira la première option dans la grande majorité des cas. Ceci explique l’échec de partis tels que le Mouvement Pour la France de Philippe de Villiers, composé pour l’essentiel d’une sociologie catholique bourgeoise pour laquelle l’entrée dans le monde de l’entreprise aura souvent été une rentrée dans le rang.
Le cas symptomatique de l’UNI
Le cas de l’Union Nationale Interuniversitaire, mouvement universitaire de droite fondé en 1968, est caractéristique. Défini comme « Politique mais apartisan » par son président-fondateur Jacques Rougeot dans son livre l’École du courage, force est de constater que le mouvement s’éloigne de plus en plus de cette ligne depuis la démission de Rougeot en 2010. Un fait notable aura été le départ au lendemain de l’élection présidentielle de 2012 des responsables nationaux ne cautionnant pas la ligne ouvertement pro-UMP et pro-Copé prise par le mouvement. Plus récemment, le dernier épisode en date aura été le lynchage public sur les réseaux sociaux de certains militants faisant campagne pour le candidat frontiste Aymeric Chauprade en Île-de-France. Or, comme pour leurs aînés du Mouvement Initiative et Liberté, le fait que les militants de l’UNI ne votent majoritairement pas UMP est un secret de polichinelle. De même, personne n’ignore que nombre des sous-Fouquier-Tinville qui se sont livrés à cette chasse aux sorcières ne sont pas les derniers à s’afficher en treillis dans les soirées ni à chanter des chants qui pourraient leur valoir une convocation devant la 17e chambre correctionnelle. Il est néanmoins compréhensible que ceux qui ont massivement mal voté sans l’assumer soient tentés de se refaire une virginité partisane à peu de frais sur le dos de ceux dont le courage leur renvoie le reflet de leur propre lâcheté.
La dénonciation du manque de discipline militante et les leçons de stratégie partisane administrées à cette occasion par certains responsables relèveraient d’ailleurs du comique en des circonstances moins écœurantes. Que les pitreries de soirée étudiante soient efficaces pour faire des voix aux élections universitaires en vendant du rêve aux étudiants de première année est une chose. Mais personne ne peut croire qu’un mélange d’ébriété chronique et de servilité partisane puissent constituer le début du commencement d’une pensée politique. S’ils souhaitent éviter de se retrouver à la tête d’une armée mexicaine, les Gentils Organisateurs de colonies électorales doivent commencer par renoncer au fétichisme partisan qui leur tient lieu de cache-sexe idéologique.
Conclusion : notre heure arrive
Comme pointé par le think-tank socialiste Terra Nova, une convergence idéologique se met progressivement en place entre l’UMP et le FN au niveau des sympathisants et des militants, les dénégations des dirigeants étant l’arbre qui cache la forêt. Le précédent créé dimanche dernier ayant permis de faire sauter une digue psychologique, les responsables de l’UMP et de ses mouvements satellites faisant preuve de pusillanimité doivent s’attendre à voir s’amplifier l’hémorragie de militants et d’électeurs actuellement en cours.