Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Europe : pourquoi Angela Merkel n'acceptera pas de modifier le calcul des déficits

Le vice-chancelier allemand (SPD) Sigmar Gabriel a défendu l'idée d'un changement de calcul des déficits publics en Europe. Une proposition qui devrait rester lettre morte. 
Pour certains, c'était le message que toute l'Europe attendait. Le vice-chancelier allemand, ministre de l'Economie, Sigmar Gabriel s'est ouvertement, lundi, déclaré favorable à un changement de mode de calcul des déficits publics dans le cadre du pacte de stabilité, en excluant « le coût des réformes structurelles » afin d'accorder plus de temps aux pays qui, précisément, mettent en œuvre ces réformes. Le numéro deux du gouvernement allemand vient donc à l'aide de la France et promeut des règles qui permettraient à l'Europe d'échapper au phénomène de japonisation dans laquelle elle s'enfonce inexorablement. Mais il faut se garder de tirer trop hâtivement des conclusions et y voir une inflexion à venir de la politique allemande.
Les Sociaux-démocrates très discrets jusqu'ici sur l'Europe
Jusqu'ici, les Sociaux-démocrates allemands s'étaient montrés particulièrement discrets sur la politique européenne de l'Allemagne. Depuis la constitution du nouveau gouvernement de « grande coalition », ils s'étaient concentrés principalement sur les questions de politique intérieure, particulièrement sur le salaire minimum. Dans le « contrat de coalition » signé avec la CDU et la CSU, la SPD avait, du reste, abandonné ouvertement la plupart de ses positions européennes défendues durant la campagne électorale. C'était le prix des concessions obtenus par ailleurs. Pourquoi alors cette proposition qui, comme le rappelle l'éditorial passablement agacé de la Frankfurter Allgemeine Zeitung de ce mardi, « ruinerait ce que la chancelière avait péniblement bâti durant la crise de la zone euro, autrement dit un durcissement du pacte de stabilité » ?
Une SPD qui se sent plus fort
La réponse est encore sans doute à chercher dans la politique intérieure allemande. La SPD a plutôt le vent en poupe ces temps-ci, même si c'est une brise modérée. Certes, les sondages fédéraux sont peu favorables (23 % des intentions de vote pour le dernier d'entre eux), mais plusieurs faits sont plus positifs. Le résultat de la SPD aux européennes (27,5 %), sans doute dopé par la présence de Martin Schulz comme candidat à la présidence de la commission et par l'abstention, a été ressenti comme une victoire, car même s'il est loin des scores historiques du parti, c'est une progression par rapport aux dernières européennes (où les 20 % obtenus représentaient un niveau historiquement faible) et par rapport aux élections fédérales de septembre (25 %). Surtout, les Sociaux-démocrates ont transformé l'essai ce dimanche en remportant quelques succès notables lors des élections municipales en Rhénanie du Nord Westphalie. La mairie de Düsseldorf, notamment, un bastion CDU, est tombée dans leur escarcelle. La SPD se sent donc en position de force.
L'abandon partiel et progressif du « schrödérisme »
Sigmar Gabriel considère que ce qui permet à la SPD de progresser, c'est précisément l'abandon progressif du « schrödérisme. » Sous son impulsion, le parti a clairement rompu avec certaines « réformes » de l'ancien chancelier. Le salaire minimum est une réponse à la précarisation et à la modération salariale introduite par l'agenda 2010. De même, la SPD a défendu une réforme du système des retraites qui permet à certains salariés de toucher leur pension dès 63 ans, ce qui est un accroc direct dans la réforme de 2007 mise en place par la SPD et qui repoussait l'âge de départ à la retraite jusqu'à 67 ans à partir de 2030. Et tout ceci n'a pas nuit, loin de là, aux scores de la SPD : c'est un élément important pour Sigmar Gabriel qui a toujours défendu cette politique de distanciation vis-à-vis de Gerhard Schröder, mais qui devait compter avec des résistances internes. Mais le vice-chancelier sait que les mauvais scores de la SPD depuis 2002 s'expliquent d'abord par un rejet par une partie de sa base des réformes de l'ancien chancelier.
Le « nein » de la chancelière
On comprend alors mieux la volonté de Sigmar Gabriel de pousser davantage son avantage en lançant ce débat sur les déficits. Mais la SPD peut-elle pour autant infléchir la politique européenne du gouvernement allemand ? Pour le moment, Angela Merkel et son très orthodoxe ministre fédéral des Finances Wolfgang Schäuble ont toujours rejeté toute modification des règles de calcul du déficit. Il est peu probable qu'ils évoluent sur ce point.
La pression d'AfD
Car la chancelière est soumise à la pression importante qu'exerce le parti eurosceptique Alternative für Deutschland sur la CDU. Avec ses 7 % aux européennes, ce parti est devenu l'obsession de l'aile droite du parti d'Angela Merkel. La très influente députée CDU Erika Steinbach s'est prononcée pour une coopération avec AfD et un responsable local du Brandebourg a annoncé avoir passé un accord avec les Eurosceptiques. L'idée qui se cache derrière cette coopération est simple : la disparition du parti libéral FDP de la scène politique allemande condamne la CDU à gouverner avec la SPD ou les Verts, autrement dit avec la gauche. Il faut donc trouver un nouvel allié à droite. Et AfD est la seule possibilité.
Angela Merkel ne peut assouplir sa position européenne
Angela Merkel ne veut évidemment pas de cette alliance qui devrait l'amener à compromettre toute sa politique européenne fondée sur la sauvegarde de la zone euro. Elle doit donc apaiser cette grogne et briser toute tentative de débat sur ce point au sein de la CDU. Pour cette raison, il ne lui est pas possible de donner l'impression de baisser la garde sur la question des déficits en zone euro. Accepter la proposition de Sigmar Gabriel reviendrait à créer un appel d'air en faveur d'AfD non seulement au sein des cadres de la CDU, mais aussi au sein d'une certaine partie de l'électorat CDU. L'éditorial assez violent de la FAZ de ce lundi accusant la SPD de ne connaître que « les dettes comme moyen de créer la croissance » montre que l'heure n'est pas encore à l'apaisement sur ce front outre-Rhin.
Or, AfD, malgré ses difficultés internes, dispose désormais, grâce à son alliance au niveau européen avec les Tories, d'une image beaucoup moins sulfureuse. Il n'est plus possible de jeter l'anathème sur ce parti en le qualifiant « d'extrême-droite. » Il devient donc une option pour l'électorat conservateur allemand. Et dans les sondages, il est désormais donné au-delà des 5 % dans les sondages sur une future élection fédérale. Le dernier, réalisé le 11 juin par l'institut Forsa, lui attribue même 8 % des intentions de vote, ce qui poserait un vrai problème à la CDU.
La polémique autour de la question du droit de vote de la Bundesbank au sein du conseil des gouverneurs de la BCE qui enflamme la presse allemande montre combien la question européenne est encore sensible outre-Rhin. Angela Merkel, qui ne veut pas ouvrir la boîte de Pandore d'une renégociation du statut de la BCE, ne peut encore se permettre de jeter de l'huile sur le feu en acceptant un assouplissement des règles de déficit en Europe, alors même qu'elle a fondé tout son discours depuis 2011 sur leur renforcement comme garantie de la « stabilité » de l'euro et de « l'argent des contribuables allemands. » Elle aurait alors bien du mal à justifier sa position devant son électorat conservateur.
Wolfgang Schäuble, plus puissant que Sigmar Gabriel
Aussi ne doit-on pas oublier que face à Sigmar Gabriel se trouve Wolfgang Schäuble qui, lui, ne cesse de pester contre la politique de la BCE et réclame même une rapide remontée de ses taux. Or, ce dernier est le vrai numéro deux du gouvernement. Dans la constitution fédérale, le ministre des Finances dispose d'une puissance inédite ailleurs : lui seul peut ainsi autoriser des dépenses exceptionnelles, même contre l'accord du chancelier (article 108). Plus concrètement, c'est lui qui dirige l'essentiel de la politique européenne par sa participation à l'Eurogroupe. Sans l'accord de Wolfgang Schäuble, le plus fidèle soutien à la politique européenne d'Angela Merkel, la proposition de Sigmar Gabriel restera lettre morte. Or, on voit mal Wolfgang Schäuble, qui est obsédé par la question de « l'aléa moral » autrement dit de cette idée selon laquelle tout adoucissement des règles provoque des excès chez les « mauvais élèves », accepter l'idée de son collègue.
Faire sentir la pression de la SPD à Angela Merkel
Sigmar Gabriel joue donc son jeu politique. Sa position n'est pas aisée. En charge d'un dossier brûlant et difficile (la transition énergétique), il sait aussi que la SPD n'est pas en position de force au sein du gouvernement et n'est que le partenaire « junior » d'Angela Merkel. Il doit donc utiliser tous les moyens possibles pour maintenir la pression sur la chancelière et lui montrer que, lui aussi, dispose d'un « pouvoir de nuisance. » Mais son influence sur la politique européenne demeure très limitée. Angela Merkel ne peut se permettre politiquement de donner à la SPD trop de gages sur ce dossier. François Hollande ne doit donc pas trop compter sur un assouplissement des règles de déficits.

Romaric Godin La Tribune :: lien

http://www.voxnr.com/cc/etranger/EupFpEkpplfFDUnUGL.shtml

Les commentaires sont fermés.