Polémia présente sous un titre commun deux articles émanant d’auteurs de sensibilité différente pour ne pas dire opposée. L’un et l’autre traitent du dernier ouvrage de Christophe Guilluy, La France périphérique. Le premier, ci-après sous la signature de Franck Ferrand, est prélevé sur le site de lefigaro.fr/vox/histoire, le second sur celui de libération.fr. Il nous apparaît intéressant de jumeler ces deux présentations du livre de Christophe Guilly, en raison notamment de leurs convergences.
Polémia
Enfin, on parle de « la France périphérique » !
Chronique de Franck Ferrand
FIGAROVOX/CHRONIQUE – Franck Ferrand éclaire l’actualité par l’histoire. Cette semaine, il salue le nouveau livre du géographe Christophe Guilluy, « La France périphérique » /Comment on a sacrifié les classes populaires (Flammarion).
Voilà donc le livre que j’attendais depuis vingt ans. Autant l’admettre d’emblée: en 2010, j’étais passé à côté de Guilluy et de ses Fractures françaises (*), alors parues chez François Bourin. Cette fois-ci, Flammarion a pris la mesure des enjeux ; et ce nouveau titre: La France périphérique /Comment on a sacrifié les classes populaires, a réussi son rendez-vous avec la presse et, partant, avec le public. Est-ce parce qu’il explique en grande partie la récente montée du Front national? Impossible ou presque, en tout cas, d’échapper ces jours-ci au point de vue décapant du géographe ; les médias en font leur miel ; ici même, le 12 septembre, Christophe Guilluy accordait à Guillaume Perrault un bel entretien.
On y apprenait que les catégories populaires, fuyant les zones sensibles où se concentre une population d’origine étrangère, ne vivent plus «là où se crée la richesse» et se trouvent écartées d’un «projet économique tourné vers la mondialisation». De là à conclure que notre époque aurait sacrifié ces gens-là – autant dire: une bonne part du peuple français – il n’y a qu’un pas, et l’auteur le franchit sans ambages.
« Il n’est rien de plus fort qu’une analyse attendue par la majorité silencieuse. »
«Il n’est rien au monde d’aussi puissant qu’une idée dont l’heure est venue»… Paraphrasant la formule attribuée à Victor Hugo, je dirais qu’il n’est rien de plus fort qu’une analyse attendue par la majorité silencieuse. Enfin! Enfin quelqu’un aura osé montrer, chiffres et cartes à l’appui, ce que la technocratie aux commandes s’acharne, depuis près d’un demi-siècle, à nier et à cacher. Enfin! Enfin une étude poussée, objective, argumentée, aura mis en évidence ce que savaient, intuitivement, ce que sentaient, naturellement, les rares intellectuels dans mon genre – c’est-à-dire issus du petit peuple : à savoir, que les classes dites populaires ne se résument pas aux banlieues et à leurs populations difficiles, visées par les «politiques de la ville». Oui, il existe, partout en France, un tissu nourri de bourgs, de villages et de lotissements, tous ponts coupés, ou presque, avec les métropoles. Non, la catégorie des classes moyennes ne saurait englober tous ces gens modestes et précarisés – employés, ouvriers, paysans, artisans, petits commerçants, chômeurs, retraités -, souvent d’origine française ou européenne, presque toujours défavorisés par les règles économiques en vigueur sur notre planète libérale à l’anglo-saxonne. Ce sont ces petites gens qui, après tant d’années d’impuissance et de résignation, commencent à s’organiser. Je le sais depuis longtemps, je voyais le phénomène s’accuser – mais contrairement à Guilluy, je n’ai pas su le dire. A présent, c’est chose faite: merci!
« Quand on a comme moi, toute sa jeunesse durant, subi l’éviction du petit commerce par la grande distribution, on peine à supporter l’aveuglement acharné de responsables obnubilés par les secteurs de pointe et les créneaux porteurs. »
Quand on a comme moi, toute sa jeunesse durant, subi l’éviction du petit commerce par la grande distribution, vécu le déclassement de la fameuse classe moyenne engendrée par les Trente Glorieuses, observé le décalage croissant entre la pensée dominante et le point de vue du plus grand nombre, on peine à supporter l’aveuglement acharné de responsables obsédés par les modèles d’intégration et les logiques d’échange, obnubilés par les secteurs de pointe et les créneaux porteurs. Le monde du terroir existe, avec ses pesanteurs séculaires, certes, mais également son bon sens. C’est un univers complexe mais foisonnant, une formidable réserve d’initiatives, qui ne se résume pas à Jean-Pierre Pernaut et à L’amour est dans le pré… Plus on prétend ignorer ce monde-là, plus on ferme les yeux sur ses souffrances, parfois terribles, plus il aura tendance à crier pour se faire entendre.
Franck Ferrand, 19/09/2014
Christophe Guilluy, La France périphérique, Flammarion, septembre 2014, 192 pages.
Source : lefigaro.fr/vox/histoire
(*) Voir : Des « fractures françaises » à la guerre civile ? – Polémia
Voir « La France périphérique / Comment on a sacrifié les classes populaires » de Christophe Guilluy (2/2)