La commission européenne pourrait retoquer le projet de loi de finance présenté par Manuel Valls. L'analyse d'Eric Verhaeghe.
En lisant le projet de loi de finances pour 2015, les commissaires européens ont éprouvé une fois de plus la capacité de Manuel Valls à communiquer efficacement - un talent qui manquait cruellement à Jean-Marc Ayrault. Le Premier Ministre parvient en effet à faire croire qu'il baisse les dépenses et les impôts dans des proportions considérables, quand le budget qu'il soumet aux instances bruxelloises incarne tout le contraire. Il est amusant de le prendre point par point pour mesurer l'écart entre la posture et la réalité.
Premier mensonge: l'Etat n'est pour rien dans l'incapacité de la France à réduire ses déficits. L'un des arts consommés des fonctionnaires, fièrement représentés par Bercy, consiste à soutenir que la gabegie publique n'existe pas. Si les déficits ne se réduisent pas, c'est évidemment la faute aux autres!
«Les principales révisions proviennent d'un environnement international moins porteur que prévu, de la situation particulièrement dégradée de l'investissement des ménages en matière de logement et de l'atonie prolongée de l'investissement des entreprises», lit-on dans le PLF 2015. Les coupabes ils sont là : les étrangers, les promoteurs immobiliers et les patrons.
Bien entendu, pas un mot par exemple sur les 50 milliards de l'Education Nationale consommés dans des procédures bureaucratiques à n'en plus finir, pendant que d'autres pays obtiennent de bien meilleurs résultats avec beaucoup moins de moyens.
● Deuxième mensonge: les impôts vont baisser. Cette phrase qu'on entend depuis des années est démentie noir sur blanc par le projet de loi de finances. «Le taux de prélèvements obligatoires atteindrait 44,7 % du PIB en 2014, stable par rapport à 2013, puis diminuerait à 44,6 % en 2015», est-il écrit dans le texte. Avec 0,1% de baisse du taux de prélèvements obligatoires, et 0,4% de croissance du PIB, les prélèvements obligatoires augmentent de 0,3% en volume, et reculent de façon marginale dans l'ensemble du PIB. On est loin des déclarations triomphales du Premier Ministre.
Le même projet de loi ajoute d'ailleurs: «Au total, le taux de prélèvements obligatoires baissera continument sur la période de programmation, passant de 44,7 % du PIB en 2014 à 44,4 % en 2017.» En trois ans, la perspective de baisse des impôts se limitera à 0,3% du PIB (soit, grosso modo, deux milliards d'euros par an). Impressionnant, non?
● Troisième mensonge: les dépenses baissent. On cite ici dans le texte le passage savoureux du PLF 2015: «Dès 2015, un premier quantum de 21 Md€ d'économies sera réalisé, soit un niveau inédit qui permettra de ramener le taux de croissance de la dépense publique à 1,1 % (en valeur, hors crédits d'impôt désormais considérés comptablement comme des dépenses).» Bercy est le seul ministère au monde où 21 milliards d'économies permettent une croissance de 1,1% des dépenses.
On pourrait détailler par le menu sur de nombreuses pages la façon dont Bercy présente des hausses de dépenses comme des baisses. On retiendra cette phrase qui dit tout: «En arrêtant un programme de réforme qui produira 7,7 Md€ d'économie en 2015 et près de 19 Md€ d'économies en 2017 pour l'État et ses agences, le Gouvernement agit avec détermination pour réduire le rythme de progression de la dépense publique.» Encore et toujours, cette logique qui veut que les milliards d'économies servent à «réduire le rythme de progression». Décidément, la haute administration française n'a rien à envier aux mandarins décadents du dix-huitième siècle.
● Quatrième mensonge: l'Etat ne crée plus d'emplois de fonctionnaires. Là encore, le PLF se livre à un exercice rhétorique de tout premier ordre. Officiellement, les effectifs sont stables, malgré les créations pléthoriques et absurdes d'emplois d'enseignants. Quand on soulève le tapis, on retrouve toutefois la poussière: les opérateurs de l'Etat (comme les universités et une série d'établissements plus ou moins connus) vont quant à eux créer plus de 5.000 emplois.
Autrement dit, Manuel Valls s'inscrit dans la longue lignée des Premiers Ministres qui présentent leur budget à l'inverse de ce qu'il est réellement. Un artifice qui ne devrait pas abuser la Commission Européenne, et qui expose la France au risque maximal de devoir reprendre sa copie en urgence.
Notes :
Eric Verhaeghe a été président de l'Apec (Association pour l'emploi des cadres) entre 2004 et 2009. Il est également l'auteur de plusieurs ouvrages publiés chez Jacob-Duvernet: «Jusqu'ici tout va bien», «Au cœur du MEDEF: chronique d'une fin annoncée», et «Faut-il quitter la France?». Retrouvez ses chroniques sur son site : http://www.eric-verhaeghe.fr/
source :
Le Figaro :: lien