A l'occasion de la sortie du dernier numéro de Causeur intitulé «Gauche : mourir dans la dignité ?», Elisabeth Lévy a accordé un long entretien à FigaroVox. Extraits :
"Certes, il existe toujours un camp politique qui s'appelle «la gauche», quoi qu'il ne soit pas très en forme. Mais il est intellectuellement et idéologiquement moribond: quel référent peut bien désigner un signifiant revendiqué par Najat Vallaud-Belkacem et Jean-Pierre Chevènement, Bernard-Henri Lévy et Emmanuel Todd, Jean-Luc Mélenchon et Michel Sapin ? Le mot «gauche» est devenu une sorte de mantra, un totem qu'on s'arrache en jouant à «plus à gauche que moi tu meurs», d'où la traque permanente des imposteurs et hérétiques qui trahissent la «vraie gauche». Mais le mot «chien» ne mord pas et le mot «gauche» ne crée pas de justice. [...]
Si je m'intéresse à ce que vous appelez la «gauche morale», c'est parce que son pouvoir culturel, et plus encore médiatique, est sans commune mesure avec son poids réel. Le peuple de gauche ou ce qu'il en reste n'aime pas plus que celui de droite les fanfreluches sociétales qui enchantent le bobo de gauche et de droite - qui est conforté par les protestations des ploucs.Hégémonique et minoritaire : la gauche morale a accouché de la gauche rebelle, mot remis au goût du par cesRendez-vous de l'Histoire de Blois. La rébellion, c'est précisément ce qui reste de la révolution à l'âge de l'individu et de Canal +. Ce qui donne le sentiment de vivre dans un asile de fous, c'est qu'aujourd'hui, le rebelle est au pouvoir. Plus il est minoritaire, plus il se sent légitime pour décider ce qu'il convient de penser, plus il est hargneux avec ceux qui ne pensent pas comme lui. Ce rebelle dominant, oxymore qui rappelle les «anarchistes couronnés» d'Antonin Artaud ou les délicieux «mutins de Panurge» de Philippe Muray (upgradés ensuite en «matons de Panurge) - résume le mensonge dans lequel la gauche est engluée : elle cumule les gratifications de la subversion et le confort de l'institution. Ainsi parvient-elle, en dépit de son discrédit croissant, à rester l'arbitre des élégances morales, décider de quels sujets on peut parler et qui peut en parler. Hégémonique et minoritaire, cela finit par poser un problème démocratique, non ? [...]
En réalité,la gauche d'aujourd'hui n'aime pas les pauvres, elle aime l'Autre, et elle l'aime d'autant mieux qu'elle le croise peu.Résultat: abandon de la nation, abandon du peuple. [...]
[J]e ne me détermine certainement pas sur les programmes économiques que séparent surtout des différences rhétoriques- même si la rhétorique de gauche («mon ennemi c'est la finance», «qu'ils s'en aillent tous») m'exaspère particulièrement. Mais je ne me sens pas particulièrement «de droite». Tout d'abord, on ne peut pas dire que la santé doctrinale, intellectuelle et politique de la droite soit plus brillante que celle de la gauche. Et elle est, comme elle, un foutoir idéologique. Cependant, il y a une différence fondamentale. Dans le fond, être de gauche, c'est avoir raison. Pour des raisons essentiellement historiques, la droite ne prétend pas incarner le Bien, au contraire, elle a en quelque sorte intégré son infériorité morale. Aussi, quelles que soient ses tares et ses turpitudes, la droite est-elle - spontanément plus pluraliste, moins sectaire, moins fanatique que la gauche."