Le monde actuel est compliqué ? Plutôt que de reconnaître sa singularité, certains essaient de faire de notre époque un pur décalque des années 30. Et qu’importe les simplismes et les anachronismes. Pour ceux-là, la crise économique de 2008 c’est 1929, l’annexion de la Crimée c’est Munich, l’affaire Bygmalion c’est l’affaire Stavisky, "Valeurs actuelles" c’est "Gringoire", les JO de Sotchi en 2014 ceux de 1936 à Berlin
Place de la Concorde, le 6 février 1934 - Wikimedia commons - cc
A force d’être des réflexes, puis des rengaines, cela devient des livres. Le « retour des années 30 » est un refrain de librairie avec les ouvrages de Claude Askolovitch, Pascal Blanchard, Renaud Dély, Yvan Gastaut, Les années 30 sont de retour. Petite leçon d’histoire pour comprendre les crises du présent (Flammarion) et de Philippe Corcuff, Les années 30 reviennent et la gauche est dans le brouillard, (Textuel). Les couplets ? La crise économique de 2008 c’est 1929, l’annexion de la Crimée c’est Munich, l’affaire Bygmalion c’est l’affaire Stavisky, Valeurs actuelles c’est Gringoire, les Jeux olympiques de Sotchi de 2014 ont réédité ceux de 1936 à Berlin, le « populisme » est une réincarnation du fascisme, etc.
Cette vulgate journalistique, peinturlurée sur des kilomètres d’éditoriaux politiques est connue. Peut-être même devient-elle trop banale, alors les assimilateurs augmentent la dose d’anachronisme comme Monsieur Plus la dose de chocolat dans les confiseries Bahlsen. Le Printemps français qui a fait défiler curés et enfants en poussette ? A rapprocher des cadavres de l’émeute liguarde du 6 février 1934. L’« islamophobie » dont Elisabeth Badinter est présentée comme une pionnière ? Assimilé à l’anti-communisme qui a conduit à l’engagement nazi dans la Légion des volontaires français. A ce rythme, Corcuff se retrouve vite à faire un « parallèle » entre Maurras et Finkielkraut : « Charles Maurras, père de l’Action française, pole d’extrême droite et d’antisémitisme dans les années 30, est élu à l’Académie française en 1938 dans un contexte antisémite. En 2014, Alain Finkielkraut est élu à l’Académie française dans un contexte islamophobe alors qu’il joue avec le feu sur des thèmes islamophobes ». De son œil exercé, Laurent Joffrin a d’ailleurs diagnostiqué dans l’indignation du philosophe une confirmation de la qualité du livre le dénonçant : « Ce livre énerve Alain Finkielkraut : il ne peut pas être entièrement mauvais ». La dialectique se renforce comme on disait plus récemment que dans les années 30…
Une fuite... en arrière !
Cette nouvelle mode intellectuelle trahit en fait une panique morale face au monde nouveau et à ses dilemmes. La réalité actuelle n’a rien de commun avec l’Europe des années 30. Face à la mondialisation financière, technologique (internet), culturelle, face au retour des nations à l’Est après la glaciation communiste, face aux convulsions musulmanes qui se réveillent après la parenthèse coloniale, face aux enjeux écologiques vertigineux, les catéchistes ont de quoi être désarmés. L’Histoire longue se remet en marche. D’où cette nostalgie pour le théâtre européen des années 30 : tout y est simple comme les slogans gauchistes qui ont baigné la jeunesse de nos auteurs. Perdus, ils préfèrent se plonger dans ce passée révolu pour s’y donner rétrospectivement le beau rôle plutôt que d’affronter ce monde qui bouge. [....]
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