Jusqu'alors donc aucun groupe organisé n'a mordu de manière efficiente sur l'esprit de sérieux cynique et glacé induit par l'art contemporain. Il y a eu, et il y a encore des résistances naïves et donc dérisoires à l'art contemporain (le refus du n'importe quoi par de petites municipalités, par exemple) ; mais on n'a pas vu de résistance organisée et argumentée permettant de vaincre l'art glacé par des stratégies, notamment rhétoriques, ironiques, efficientes, (la rhétorique : la vérité rendue forte ; l'ironie : la dérision sur les spécialistes de la dérision) ; « L'art, c'est ce que je décide d'exposer » affirme à juste titre ce commissaire d'exposition qui omet d'ajouter « dans les limites de l'acceptable institutionnel », C'est-à-dire que l'artiste ou le commissaire doit finalement jouer serré entre ce qui s'est déjà fait, et qui est donc dépassé, et ce qui serait socialement irrecevable. L'art contemporain est donc totalement à l'opposé du n'importe quoi ou du nonchalant : il s'agit toujours au contraire de stratégies de placement extrêmement calculées. Seulement, ce que l'on place, c'est de la provocation bientôt exténuée. L'art contemporain ne constitue en aucun cas une « imposture », bien au contraire : c'est l’art du néo-capitalisme en situation hégémonique, qui ne peut produire que cela comme art mais qui le produit avec sérieux et méthode parce qu'il a une fonction idéologique fondamentale.
Dans les limites de l'acceptabilité institutionnelle, l'art contemporain est bien alors un art de décision pure : l'art, c'est effectivement la provocation recevable par l'institution que tel agent reconnu du monde de l'art décide de porter au statut d'œuvre. En ce sens, la décision assistée par l'institution fait l'œuvre. Et il y a évidemment un consensus néo-bourgeois autour de la définition de l'acceptabilité des provocations qui explique l'inexistence d'un art signifiant.
On ne peut alors vaincre un art réduit à la décision autorisée que par un surcroît provisoire et maîtrisé de provocation dans la définition de l'acceptabilité de la décision artistique. L'art décisionnel est jusqu'alors le terrain de jeu réservé de la néobourgeoisie urbaine. Mais il suffit que le peuple s'approprie avec assurance les règles du jeu, simplistes, de cet art « magique » garanti institutionnellement pour que tout change.
Jacques-Yves Rossignol