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La tyrannie technologique appauvrit le monde

Le monde s’enrichirait d’année en année, les taux de croissance, indices sacrés, ne cesseraient de grimper et la moindre inflexion de leur progression suscite les plus vives craintes des dirigeants, qui appellent les consommateurs à se mobiliser. « Développement » est le maître mot de toutes les politiques. L’accélération des déplacements de marchandises, de capitaux, d’informations et d’humains à une échelle mondiale entraînerait des améliorations du niveau de vie dans tous les pays qui ont accepté le modèle industriel. La science et les évolutions technologiques multiplieraient chaque jour les connaissances humaines. Ce tableau idyllique que les forces dominantes nous brossent occulte le fait que seule une minorité bénéficie de la mondialisation et que partout, la société industrielle et technicienne appauvrit et uniformise le monde. 
Uniformisation des modes de pensée 
Les monothéismes ont été des rouleaux compresseurs qui ont aplani les diverses manières de voir le monde. Ce processus d’uniformisation des croyances et des modes de pensée a été accéléré par l’occidentalisation de la planète au cours des deux derniers siècles. La vision d’un être humain coupé de la nature dont le but est de la dominer totalement s’est imposée. La séparation de l’esprit et du corps accompagne le culte d’un individu tout-puissant arraché à sa communauté. Les approches rationnelles et utilitaristes, l’action, l’urgence et la performance prévalent. Le but et la fin importent plus que le chemin. Cette universalisation de la pensée occidentale a entraîné une déculturation et une économicisation de la vie ; l’accumulation illimitée de biens a remplacé la recherche de l’épanouissement individuel et collectif. 
Disparition des langues 
L’appauvrissement du monde est aussi produit par ce que certains nomment un linguicide. On estime que, tous les ans, environ vingt-cinq langues s’éteignent, et, avec elles, les communautés et cultures qui les faisaient vivre. Au cours du XXe siècle, la moitié des langues ont disparu. Aujourd’hui, il en reste environ cinq mille, et on pense déjà que la moitié d’entre elles s’éteindront au cours du XXIe siècle. Or, le phénomène s’accélère avec le développement d’Internet. Huit langues ont une présence significative sur la toile : ce sont elles qui domineront et affaibliront les autres. L’hégémonie de l’anglais sur le plan international accompagne le développement de la culture de masse et la standardisation des modes de vie. 
Standardisation des modes de vie 
Un certain style de vie s’est imposé d’un bout à l’autre de la planète. La quête du bonheur individuel dans un environnement urbain est devenue le modèle universel. Les formes de travail antérieures à l’industrialisation sont détruites (artisanat, agriculture rurale, etc.) et entraînent la disparition des rythmes de vie, des structures familiales, et communautaires et des mythes qui leur étaient associés. L’American Way of Life s’est répandu. Les mêmes désirs de possession se diffusent : la maison individuelle, la voiture, la télévision, les téléphones portables, les ordinateurs, les « fringues » à la mode, etc. La culture matérielle et superficielle nourrit les imaginaires. Les mêmes enseignes de magasin, la même architecture, les mêmes villes, les mêmes ghettos, la même omniprésence des médias se retrouvent d’un pays à l’autre. Tout le monde rêve des mêmes choses au même moment. Les aspirations s’homogénéisent à mesure que le déracinement et la déculturation se développent, entraînant une uniformisation des comportements et des modes d’être sans précédent et très certainement irréversible. 
Homogénéisation des goûts et des formes 
La standardisation des modes de vie passe par l’homogénéisation des goûts, notamment sur le plan culinaire. La cuisine relève d’une histoire et d’un environnement culturel fort que l’industrialisation de la production alimentaire et les transformations de sa distribution ont uniformisé. Il s’agit désormais de produire en série à un moindre coût et de consommer une alimentation à préparation rapide (surgelés, conserves, etc.). Au niveau mondial, la cuisine consommée est pour un tiers asiatique et pour un tiers italienne. Ces chiffres s’appliquent par le triomphe de la pizza, qui est devenu le plat mondial par excellence. Beaucoup de fruits et légumes « marginaux » – du fait de leur goût particulier et surtout de leur inadéquation avec les modes de transport et de commercialisation – disparaissent. Tout le monde mange les mêmes produits incolores, inodores et calibrés (pour les yeux, le nez, la bouche, et même les mains). Cette production uniforme banalise certaines saveurs (notamment par l’usage excessif de sucre) et en fait disparaître beaucoup d’autres. Comme nos goûts sont conditionnés, nous nous habituons à ces produits standardisés et à cette médiocrité jusqu’à ne plus rechercher la qualité ni l’originalité. 
Nous retrouvons ce phénomène dans tous les domaines (même si des nuances demeurent et qu’un folklore local se maintient parfois). Ainsi, en architecture : standardisation des matériaux, des styles d’habitat (maison individuelle ou loft), etc. ; en urbanisme : mêmes modèles de développement urbain, villes identiques, mêmes autoroutes qui défigurent les paysages ; dans la création d’objets : le design est le même d’un bout à l’autre de la planète, il devient même difficile de représenter les objets tellement ils se ressemblent (qu’est-ce qu’un boîtier blanc ou noir avec un écran : un téléphone, un ordinateur, une télévision ?) ; dans le mobilier : production de meubles en série, règne du modèle Ikéa ; pour la mode vestimentaire : domination de la basket, du sportwear, etc. ; dans les représentations picturales : écrasante emprise des écrans et de l’audiovisuel, monoforme, etc. 
Cédric BiaginiLa tyrannie technologique

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