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L’Union européenne à l’heure des choix (article paru dans L’Action Française 2000, 5 février 2015)

L’euro « est sauvé, l’Europe continue ». Ces mots, prononcés il y a à peine un an, sont d’Herman Van Rompuy. En ce début d’année (période des vœux ?), Angela Merkel jugeait « quasiment inévitable » que la Grèce sorte de la zone euro, elle qui, en 2012, prônait le maintien à tout prix de son « intégrité » – non pas tant par amitié pour la Grèce que pour sauver ses banques, fortement investies en Grèce.

La Grèce rebat les cartes

L’histoire s’accélère. La victoire du parti Syriza, et plus encore son alliance avec le parti de la droite souverainiste grecque, signe le retour de la question de la souveraineté, par-delà les clivages habituels, et le possible défaut volontaire de la Grèce vis-à-vis de certaines dettes. Aussi l’UE a-t-elle prévenu : elle est ouverte à un ré-étalement de la dette, pas à une annulation. Ce contexte particulier n’est pas anodin dans la décision de rachat massif de dettes par la BCE, annoncé par Mario Draghi tout juste quarante-huit heures avant les législatives grecques, ce qui n’est certainement pas un hasard. Ce “quantitative easing” (QE) prévoit une enveloppe de 1 100 milliards d’euros au total, à raison de 60 milliards par mois jusqu’en septembre 2016, soit 50 de plus que dans le plan déjà en œuvre. Objectif : éviter la déflation qui empêcherait le retour tant attendu de la croissance. Par quel miracle ? Racheter des dettes auprès des institutions financières revient à injecter des liquidités sur le marché ; la faiblesse des taux d’intérêt étant censée être suffisamment dissuasive pour inciter les banques à injecter cet argent dans le circuit économique réel (prêts aux entreprises et aux particuliers) au lieu de le placer sans risque, et donc relancer la croissance. Ce faisant, la BCE admet que le critère de stabilité des prix, pourtant l’un des critères de convergence, est un facteur négatif pour la croissance. Mais au-delà de cette contradiction, des réserves plus importantes sont à émettre. D’abord, le marché interbancaire, contrairement à 2008, ne manque pas de liquidités. Cette réinjection risque donc d’être superfétatoire (en termes d’investissements dans l’économie réelle). Ensuite, et c’est un corollaire, nul ne peut aujourd’hui présumer de l’utilisation qui sera faite de ces liquidités, qui dépend aussi des anticipations des agents économiques et de leur propension à solliciter du crédit. La présence massive de liquidités, si elle est un préliminaire à la relance économique attendue, n’en est donc pas un facteur mécanique. D’ailleurs, si les banques sont très critiquées lorsqu’elles ne prêtent pas, elles sont aussi critiquées quand elles prêtent, car elles prennent des risques. Il faut donc admettre que leur marge de manœuvre est limitée. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle une grande partie de ces liquidités risquent de se retrouver investies sur les marchés financiers ou dans l’immobilier, ce qui aura un effet beaucoup moins important pour la croissance. Seule certitude, cela va faire plaisir au “marché” (malgré l’élection grecque, la bourse se maintient à son plus haut niveau depuis plus de six ans…), mais aussi assainir le bilan des banques qui portent aujourd’hui ces créances, au détriment, si l’on peut dire, de la BCE, qui va porter le risque à leur place. Mais est-ce vraiment le cas ? En réalité, loin s’en faut. Le programme de rachat de la BCE se fait dans des conditions très particulières, qui répondent peu ou prou aux réticences allemandes quant à la mutualisation des dettes. Même si la BCE semble être allée contre les positions de l’Allemagne, techniquement, ses exigences sont quasiment respectées. Le risque de défaut sur les dettes rachetées par la BCE sera, en effet, supporté par l’institution européenne pour 20 % seulement, et pour 80 % par les banques centrales des États membres (il faut ici préciser que les dettes des pays à risque comme Chypre ou la Grèce sont exclues du mécanisme). Le risque mutualisé par la BCE sera donc limité, d’autant que parmi les 20 % pris en charge par la BCE, 60 % sont des dettes déjà mutualisées. Le reste du risque est donc d’ores et déjà couvert par le fonds de réserve de la BCE.

Une inflexion majeure

Il n’empêche, cela revient, en principe du moins, à confier la politique monétaire aux banques centrales nationales. La Cour de justice européenne validera-t-elle le mécanisme ? Si oui, cela constituerait une inflexion majeure dans la stratégie de construction européenne, ce que l’économiste Jacques Sapir analyse comme une « action désespérée » de la BCE (elle achète du temps, pourrait-on traduire), ce qui démontrerait la gravité de la situation financière de la zone euro. Sapir y voit ainsi une reconnaissance de l’impossibilité d’une Europe fédérale et un premier pas, qu’il juge involontaire, vers une renationalisation des politiques monétaires. On peut l’espérer. En attendant, l’emploi de la planche à billets se traduira par une baisse du cours de la monnaie unique, ce qui bénéficiera aux pays qui exportent hors zone euro. Un bol d’air appréciable pour nombre d’entreprises françaises qui, combiné au cours actuel des prix du pétrole, devrait se traduire par des résultats très positifs. On peut voir enfin dans ce mécanisme un moyen de prévenir les futures velléités de pays comme l’Irlande ou le Portugal face au risque jurisprudentiel du cas grec, le QE devant les préserver de la tentation du défaut volontaire. En tout cas, elle n’empêchera pas la propagation de l’opposition des peuples à l’UE et le réveil souverainiste des nations. L’histoire accélère, et les institutions et élites européennes ont peur. Le programme de rachat de dettes lancé par Mario Draghi pourrait bien être ce que l’on appelle le “sursaut du condamné” ; en attendant l’heure des vrais choix.

Pierre Marchand Action Française 2000

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