C’est le Premier ministre Manuel Valls en personne qui a appelé hier le candidat socialiste Frédéric Barbier pour lui annoncer qu’il emportait d’une courte tête ce second tour de la législative partielle dans la quatrième circonscription du Doubs, face à la frontiste Sophie Montel. Fort de cette propagande anti-FN qui a été martelée jusqu’au plus haut sommet de l’Etat, le candidat du PS a donc été élu avec seulement 863 voix d’avance -51,43% contre 48,57% des suffrages pour la candidate FN. L’extrême gauche et plusieurs dirigeants de « droite » -Alain Juppé, le président du sénat Gérard Larcher, la sarkozyste Nathalie Kosciusko-Morizet, le président du MoDem François Bayrou…- avaient appelé à voter explicitement socialiste. La candidate FN améliore pourtant son score du premier tour de 16 points et d’environ 6.300 voix. Sophie a multiplié par deux ce dimanche le résultat qui était le sien lors du second tour de la triangulaire de 2012. L’abstention est cependant restée très élevée mais a enregistré un reflux d’environ dix points, passant de 60 à 50%.
Cette victoire à l’arrachée du PS est analysée par beaucoup comme une conséquence de l’«effet 11 janvier », la matérialisation du rebond en faveur de l’exécutif enregistré dans les enquêtes d’opinion, généré par le climat anxiogène qui règne depuis les attentats de début janvier. C’est en effet depuis l’accession de François Hollande à l’Elysée, la première fois en treize scrutins que le PS l’emporte dans une élection législative partielle.
Sur le site de RTL Jean-Yves Camus, spécialiste es FN, dirigeant de l‘Observatoire des radicalités politiques à la Fondation Jean Jaurès souligne pour sa part que « la médiatisation du scrutin et la forte mobilisation côté gouvernemental n’ont pas impacté le résultat autant qu’on aurait pu le penser en faveur du PS. Le différentiel de participation n’a pas donné à Frédéric Barbier un avantage aussi important qu’on l’aurait supposé. Pour lui, le candidat PS a récupéré dans les parties urbaines des voix là où la candidate FN s’est imposée dans le périurbain et le rural ».
Il s’agit en effet de constater que cette circonscription, dans laquelle députés de droite et de gauche alternent assez régulièrement depuis cinquante ans, était acquise au PS depuis des années puisque Pierre Moscovici , qui a rallié la Commission européenne à Bruxelles, en était le député sortant. Son suppléant Frédéric Barbier, y est bien implanté et comme l’a noté Sophie Montel ce dernier a d’ailleurs « réussi à sauver sa peau (hier, NDLR) avec les réseaux associatifs et clientélistes d’Audincourt tenue par un sénateur maire socialiste.»
Frédéric Barbier, qui a pu compter sur le soutien affiché, militant de François Hollande, de Manuel Valls et de Bernard Cazeneuve sur le terrain -les ministres se sont-ils rendus sur place au frais du contribuable ?- s’est gardé cependant de tout triomphalisme. A l’unisson des dirigeants du PS il a affirmé hier soir qu’ «année après année, élection après élection, le FN progresse. À ce rythme, son ascension vers le pouvoir doit être prise très au sérieux». Constat sur un triste succès socialiste qui fait écho aux jugements de Marine Le Pen («le PS a gagné d’un cheveu, mais c’est le FN qui est le grand vainqueur de l’élection »), de Steeve Briois (« une victoire à la Pyrrhus pour le système »), de Florian Philippot (« Ils ont mis des moyens considérables, c’est très inquiétant pour le système, qui ne pourra pas se multiplier aux prochaines élections »). Bref, comme l’a résumé Marion Maréchal-Le Pen, « Le front républicain a eu chaud aux urnes » !
Pourtant rien n’a été épargné à Sophie Montel a rapporté le Huffington Post « taxée de parachutée parce qu’elle ne vote pas dans la circonscription (elle y a néanmoins grandi), accusée de racisme après la résurgence d’une déclaration datant de 1996 dans laquelle elle soutenait Jean-Marie Le Pen (…), cornérisée par le front républicain martelé par le premier ministre et le ministre de l’Intérieur venus soutenir son adversaire socialiste »
Quant à l’UMP, dont le candidat malheureux du premier tour, Charles Demouge, avait exprimé son inclinaison en faveur du vote socialiste pour faire barrage à l’opposition nationale, son Bureau Politique avait recommandé officiellement à ses électeurs le « ni, ni », ni vote FN, ni vote PS.
Force est de constater que les consignes d’abstention ou de vote blanc n’ont pas été suivies par les électeurs de droite. Non seulement la participation a progressé, mais surtout très peu de votes blancs ont été recensés. L’étude des résultats des bureaux de vote de la circonscription traditionnellement acquis à l’UMP –notamment dans les zones où le vote pour M. Demouge fut important au premier tour- montre à l’évidence que beaucoup de sympathisants UMP ont voté pour Sophie Montel.
Sur le site de L’Express, le chercheur en sciences politiques Joël Gombin résume bien la situation en tirant lui aussi comme « principal enseignement » de cette partielle « que, dans l’une des circonscriptions les plus ancrées à gauche, le FN parvient presque à faire 50% des voix. Cela témoigne d’un rapport de force dégradé pour le PS (…). A l’évidence, la forte mobilisation a profité au PS. C’est elle, bien plus que la capacité à créer un Front républicain avec la droite, qui explique le sursaut du PS. Mais la forte participation a aussi profité au FN qui, sur le papier, n’avait aucune réserve de voix. Or, il gagne 16 points. On assiste à une surmobilisation de l’électorat FN que l’on observe désormais à chaque fois qu’une victoire du FN est perçue comme possible. A cela, il faut ajouter vraisemblablement un nombre important de voix qui viennent de l’UMP »
Bref, si le FN a manqué de peu hier l’élection d’un troisième député, ce scrutin confirme la progression du rejet symétrique du PS et de l’UMP. Cette volonté des Français de reprendre leurs libertés est de bon augure pour la suite note Bruno Gollnisch qui se désole cependant de cette grève du vote toujours si présente chez nos compatriotes, et notamment hélas, dans l’électorat populaire.
Pour le reste, nous pensons avec Marine que le camouflet infligé par les électeurs à l’UMP obère mal de l’avenir de ce parti divisé, notamment dans le cadre des prochaines élections départementales et régionales.