Les députés socialistes ne sont pas sortis rassurés, mardi, de leur entrevue avec un Premier ministre sans répondant et résolu à ne rien changer malgré la défaite de son parti aux élections départementales.
La formule date d’il y a un an. Juste après sa nomination à Matignon, Manuel Valls déplorait que la parole publique soit devenue une «langue morte». En creux, les socialistes comprenaient que le tout nouveau Premier ministre se fixait pour mission d’y remédier. Repolitiser, redonner foi dans l’action publique, réformer le pays, remobiliser la gauche et les Français, c’était son objectif.
Mais, mardi, les mots pour y croire encore ont manqué au chef du gouvernement face à des députés déprimés, venus lui parler d’un pays malade qu’ils ont ausculté au plus près pendant la campagne des départementales. «Il y a une forme d’épuisement général, explique un parlementaire à l’issue de cette séance de psychanalyse de groupe qui a duré deux bonnes heures à l’Assemblée. En l’état, personne ne croit aujourd’hui à une victoire en 2017… Il y a un sentiment terrible qu’on est dans une impasse.»
A la tribune, avant le discours du chef du gouvernement, une vingtaine de députés ont pris la parole. D’ordinaire abonnés au micro dans et hors de la salle, les frondeurs se sont faits discrets et le désarroi face à une politique qui ne porte toujours pas ses fruits s’est exprimé jusque dans la voix de députés classés parmi les «lignards», voire les hollandais. Ce «marais» socialiste jusqu’alors docile et taiseux.
Bouffées. Beaucoup reviennent d’une épouvantable campagne, nombreux ont été battus. Personne ne demande de tout changer - le cap, la réduction des déficits, la politique de l’offre, le pacte de responsabilité - mais tout le monde réclame, au minimum, des signaux avant de repartir sur le terrain. «Je voudrais qu’on me dise ce qu’on fait les deux prochaines années», a résumé Sylviane Bulteau, députée de Vendée, dont le binôme a été le seul de gauche élu dans son département dimanche. «Nous sommes des fantômes, il y a une grave crise de la représentation», a renchéri le député de Gironde Gilles Savary, pourtant élu «d’un territoire gâté». Pour lui, la fracture territoriale n’explique pas le vote Front national qui repose sur trois piliers : l’exode urbain d’une population paupérisée qui ne peut plus vivre en ville, la dévalorisation du travail - «c’est le peuple qui travaille qui nous a lâchés» - et la peur irrationnelle de l’islamisation, même dans des campagnes qui n’ont jamais croisé un visage «coloré». Même avec des équipements flambant neufs, la ruralité vote FN en masse, s’est alarmé Savary. Des bouffées racistes racontées par tous, comme Erwann Binet, qui l’a emporté au deuxième tour dans l’Isère face au Front national, désemparé face à une islamophobie de plus en plus décomplexée.
En faisant campagne, «je n’ai pas su convaincre que la gauche, c’est mieux que la droite face au sentiment d’abandon», a balancé Michel Vergnier, député de la Creuse, l’un des bastions historiques de la gauche qui a basculé à droite dimanche. Face aux électeurs, ce proche d’Henri Emmanuelli s’est dit «incapable d’expliquer les zigzags sur la réforme territoriale et la valeur ajoutée de notre politique». «On n’a pas fait la réforme fiscale et on a raté la réforme territoriale», a renchéri la députée de Loire-Atlantique Monique Rabin qui ne se «fiche de ne pas être réélue» mais veut «dire la vérité»
Relais. Catalogué parmi les frondeurs, Michel Pouzol a raconté sa campagne dans un canton ayant votant à gauche toute lors de la présidentielle - «et là, on a été balayés, pas battus : balayés !» - et relayé la détresse des retraités «qui n’ont jamais été autant maltraités». «Si on ne change rien je ne sais pas comment on va s’en sortir, a prévenu le député de l’Essonne. Nous n’avons plus nos relais dans les mairies et les départements pour relayer notre politique nationale».
Si beaucoup reviennent sur cette «gauche fragmentée», selon l’expression de Manuel Valls, qui leur a fait perdre plusieurs départements, Karine Berger estime que la division de la gauche n’est «pas le sujet de ces élections». «Le vrai sujet c’est que les Français donnent l’impression de se dépolitiser totalement, analyse la députée des Hautes-Alpes, battue dans son canton dimanche. Dans les porte-à-porte, personne ne nous parle de Manuel Valls, mais d’un François Hollande qui concentre toutes les critiques». L’esprit, et l’effet, du 11 janvier n’est plus qu’un lointain souvenir. A la tête de l’Etat, face à la déroute, «on atteint un degré assez élevé d’improvisation, se désole un ancien ministre. Tout le monde subit, tout le monde suit, personne ne donne le la.»
Coincé entre sa promesse de ne pas changer de ligne et la nécessité de donner à ses troupes des raisons de repartir au combat, Manuel Valls a tenté les formules équilibristes et la méthode calme, loin des passages de savon et des éclats de voix dont il a le secret devant les députés depuis un an. Dans son allocution, il prend soin de citer tous les ténors de la majorité pour ne froisser personne et embarquer tout le monde dans le rassemblement des socialistes. Le choix de la compétitivité, «on ne reviendra pas dessus» et «nous respecterons nos engagements sur le déficit», a-t-il expliqué mais «nous ne ferons rien qui mette à mal la croissance».
Le ministre de l’Economie, Emmanuel Macron, promet une nouvelle loi sur l’investissement, inquiétant la majorité ? «C’est moi qui fait les annonces. Nous verrons», a éludé le Premier ministre. Sur la réforme du marché du travail, il a promis tout et son contraire. Ne pas remettre en cause le CDI. «Nous ferons très attention que tout assouplissement ne se fasse pas au détriment du droit du travail», a-t-il dit, avant d’ajouter qu’il faut «simplifier, accompagner, renforcer» les possibilités d’embauche dans les PME. «Il faut lever les freins à la peur de l’embauche», avait-il même osé un peu plus tôt sur RMC. Mais c’était avant de retrouver les socialistes.
Laure Bretton Libération :: lien
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