La France, par le biais de son Secrétaire d’État en charge du Commerce extérieur, a remis à la Commission européenne ses propositions de modifications du Traité transatlantique. Elle propose notamment la création d’une Cour permanente indépendante et souveraine qui aurait comme objectif de régler de façon transparente et éthique les litiges.
Atlantico : Le gouvernement français a proposé son contre-projet aux tribunaux d’arbitrage tels qu’ils sont proposés dans le TTIP. La France propose notamment la création d’une Cour permanente indépendante et souveraine composée de personnalités avec comme objectif de régler de façon transparente et éthique les litiges. Le projet prévoit notamment de nombreux garde-fous pour éviter les conflits d’intérêts. Qu’y a-t-il de novateur et d’intéressant dans le projet français ?
Sébastien Jean : Le premier élément vraiment novateur est de proposer de passer de ce qui est actuellement une instance d’arbitrage de nature privée à une institution publique, composée de magistrats qui seraient désignés par les États.
Donc un système qui aurait un ancrage, un socle institutionnel plus fort que celui existant actuellement. Étant donné l’augmentation des enjeux liés à l’investissement international, le système actuel est problématique parce que l’on peut s’inquiéter des éventualités de conflits d’intérêts qui semblent difficiles à exclure d’emblée au vu des sommes en jeu.
C’est d’autant plus intéressant que ça peut initier une évolution des institutions relatives au règlement des contentieux liés à l’investissement internationaux. L’Europe est un acteur de premier plan, les pays européens sont les premiers à avoir signé des traités bilatéraux d’investissement, ce sont eux qui ont le plus de traités en vigueur actuellement.
Ils en ont également entre eux. Ils peuvent montrer l’exemple et faire évoluer le système. Il semble qu’une initiative de ce type soit de nature à poser des jalons pour progresser et évoluer en direction d’institutions qui pourraient avoir un champ d’application assez large, bien au-delà de l’UE.
Le Secrétaire d’État au Commerce extérieur Mathias Fekl, a même affirmé :”Si la France n’est pas entendue sur le règlement des conflits ou sur d’autres ponts très importants comme l’ouverture des marchés publics aux États-Unis, où la protection des indications géographiques, elle ne signera pas le traité transatlantique”. C’est une affirmation lourde de conséquences, pourquoi la France tient-elle à ce point à ce volet-là ?
On voit actuellement et depuis quelques mois déjà, que c’est un sujet particulièrement brûlant dans les débats politiques qui entourent la négociation transatlantique. Pas seulement en France, il est encore plus débattu et polémique en Allemagne et en Autriche. Même aux États-Unis, il y a des débats assez houleux avec des critiques virulentes émises contre ces règlements. Il y a une forte sensibilité politique, c’est clair pour tout le monde actuellement.
Donc ce n’est pas une lubie française, c’est un sujet qui est de premier ordre dans cette négociation. C’est une première raison de la motivation française, la deuxième se fondant sur une certaine convergence avec les Allemands sur ce sujet.
Est-ce une menace crédible? Quels sont les leviers d’action dont dispose la France pour se faire entendre ?
Les déclarations de Mathias Fekl ne me semblent pas être une menace mais une façon de souligner l’importance du sujet pour la France. Dans une négociation comme celle-là, il y a beaucoup de sujet sur la table, et il faut arriver à un accord entre toutes les parties prenantes.
S’il y a vraiment un pays important opposé à la conclusion du traité, il sera alors vraiment difficile d’aller au bout. Pour le moment, on ne sait pas si le traité nécessitera une ratification par les parlements nationaux, c’est la cour de justice européenne qui statuera sur ce point, mais il est probable que ce sera nécessaire. Le processus de négociations va chercher un terrain d’entente.
C’est une négociation politique, quels en seront les leviers? Ils seront liés au poids de la France dans la discussion, on peut peser sur un point, mais il y aura des contreparties dans d’autres dossiers.
C’est un revirement de position de la part de la France, auparavant plus favorable au TTIP. Comment l’expliquer ?
Cela fait longtemps qu’il y a pas mal de réserves émises au sujet de ce dossier. Je pense que l’évolution des sensibilités est liée à la prise de conscience de l’importance potentielle de ce sujet et du fait que la solution qui est sur la table n’est ni satisfaisante,ni viable politiquement.
Cela peut paraître un peu tardif, dans la mesure où les traités d’investissement bilatéraux sont une création européenne. Les européens sont partie prenante de la moitié environ des traités existants dans le monde. Ce sont les Allemands qui ont signé le premier traité avec le Pakistan à la fin des années 50.
Le fait qu’il y ait ce changement de position s’explique par deux points. D’abord, la nature même des accords a évolué depuis la fin des années 80, sous l’impulsion des Américains. L’ALENA inclut notamment un chapitre qui porte sur la protection de l’investissement qui est beaucoup plus stricte avec des dispositions bien plus fortes que ce n’était le cas dans les accords précédents, et qui a fait école.
Deuxième point, pendant longtemps, les règlements des différends investisseur-État ont été relativement peu utilisés. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, où les différends sont plus nombreux, et les montants en jeu nettement plus élevés. Le dossier, auparavant très technique, est de ce fait devenu politique.
Soutenue par l’Allemagne mais seule face à la Grande-Bretagne et la plupart des états européens, la France a-t-elle une chance de voir ses propositions retenues ? Comment peut-on penser que vont réagir les États-Unis et le Canada à cet ultimatum français ?
Dans un premier temps, la discussion doit se dérouler entre européens. La défiance par rapport à ce système est partagée par différents partenaires, on peut mentionner l’Autriche par exemple. Un certain nombre d’autres pays européens également. La France n’est pas aussi isolée que ça.
A partir du moment où elle est dans une position conjointe avec l’Allemagne, cela donne un poids politique important à ses positions. Ensuite vient la question de savoir ce que l’on peut proposer à la place de ce qui existe, et quelles concessions il faudra faire en échange, notamment vis-à-vis des États-Unis et du Canada.
De ce point de vue, et même dans le principe général, il est intéressant d’aller au delà du simple refus de ce qui est sur la table, et de faire des propositions constructives pour réinventer le système de règlement des contentieux liés à l’investissement étranger.