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Jean-Baptiste d'Albaret : « La République s'est imposée comme une religion de substitution »

Jean-Baptiste d'Albaret est rédacteur en chef de Politique Magazine.

Les notions de droite et de gauche vous semblent-elles avoir encore un sens aujourd'hui. Si tel est le cas, dans quelle mesure ?

Ces catégories restent utilisées par commodité de langage, mais nul ne sait plus à quoi elles renvoient Elles continuent cependant à nourrir le débat républicain et servent à masquer l'absence de légitimité des partis politiques : les hommes politiques sont déconsidérés, y compris par les journalistes, qui les font exister. Les notions de droite et de gauche entretiennent donc un faux débat, mais on ne voit pas de véritable différence entre les partis dits de droite et de gauche, PS et UMP, qui pratiquent la même politique : sur la question fondamentale de la souveraineté, par exemple, l'un et l'autre sont européistes. Comme le disait Philippe Muray, c'est un débat entre partisans du roller et défenseurs du patin à roulettes... On pourrait imaginer que la vraie droite et la vraie gauche, au sens historique du terme, se retrouvent aux extrêmes, mais c'est inexact, puisque l'extrême gauche et l'extrême droite ont plus de points communs que de divergences. Ces catégories sont aussi dépassées sur des thèmes comme l’identité et l’enracinement : le véritable clivage n'oppose plus la droite à la gauche, mais les tenants de la nation aux mondialistes, et les bioconservateurs aux transhumanistes. Sur ces sujets transversaux, qui touchent à l’anthropologie, l'on rencontre de part et d'autres des personnalités classées à « droite » ou à « gauche » ainsi, la philosophe Sylviane Agacinski, épouse de Lionel Jospin, ainsi que Michel Onfray et José Bové, ont récemment pris position contre la gestation pour autrui Onfray appartient sans doute à la gauche « historique », mais pas au sens que revêt ce mot quand on parle du parti socialiste. Je me sens davantage de points communs avec lui qu'avec Manuel Valls.

Dans quelle mesure des monarchistes peuvent-ils échapper à cette dichotomie politique ?

Jacques Julliard explique que le « ni gauche, ni droite » relève d'une vieille tendance française qui se manifeste par l'importance accordée au centre dans notre pays, ainsi que par le succès des partis dits populistes : bonapartisme, boulangisme, poujadisme, lepénisme... Cette propension traduit une nostalgie de l'unité perdue. Ainsi Napoléon, survenant après la Révolution, tente de réconcilier la France d'avant et la France d'après. Les monarchistes privilégient le temps long, la mémoire, l'identité et l'enracinement, en ce sens ils se classeraient plutôt à droite, par rapport à une gauche progressiste adepte des bouleversements sociétaux. Ils soulignent l'importance des corps intermédiaires, des identités locales, de l'environnement ; mais ce sont des idées que l'on retrouve aussi chez les premiers socialistes, comme Proudhon, qui était favorable à de petites communautés autogérées... Les monarchistes partagent avec les anarchistes le refus de se laisser asservir par l'Etat jacobin, qui se mêle de tout, et la volonté de défendre les libertés individuelles au sein d'une société de plus en plus « fliquée », comme vient encore de le montrer la loi liberticide sur le renseignement.

La gauche est-elle forcément du côté de la justice sociale et la droite forcément du côté du portefeuille et de l’égoïsme ?

Tout dépend, là encore, ce que l'on entend par « droite » et « gauche ». Il est erroné d'identifier la droite à Wall Street et à la City. Quant à la gauche, son mondialisme et son immigrationnisme servent les puissances d'argent. C'est la contradiction d'une certaine gauche sincère, qui croit servir la justice en cultivant un internationalisme béat et un antiracisme stupide, mais qui sert finalement d'idiote utile au grand capital et aux firmes mondialisées.

Comment expliquer la permanence de l'hostilité de la gauche française à l'égard du catholicisme, en dépit du ralliement non seulement à la République sous Léon XIII, mais aussi, depuis, à la gauche elle-même avec le développement du courant progressiste dans l'Eglise de France ? 

La France est, politiquement, un pays particulier, où la République s'est imposée comme une religion de substitution au catholicisme. C'est ce qui explique que la question de la laïcité y soit si peu apaisée : ses zélateurs ne sont pas laïcs, mais religieux : ils ont la religion de la République. Le courant progressiste, qui, aujourd'hui, se réduit comme peau de chagrin, est une conséquence du « ralliement », qui fut une erreur puisqu'il interdit de remettre en cause les institutions. En découlent certaines contradictions  si l'on s'oppose au mariage pour tous, alors que la République y est favorable, sommes-nous apostats et bons pour le bûcher ? Puisque la République s'est elle-même constituée en religion, s'interdire de remettre en cause ses dogmes revient à la placer au-dessus de la religion. La distinction entre le temporel et le spirituel cessent d'exister et la République apparaît comme une théocratie.

Peut-il exister une utopie de droite, ou l'homme de droite est-il fondamentalement réaliste ?

La gauche est héritière des révolutionnaires et la Révolution n'est jamais terminée puisqu'elle porte la promesse d'une société parfaite-jamais atteinte. S'il est une utopie à laquelle l'homme de droite peut succomber, elle consiste à regarder « en arrière », vers un âge d'or, en imaginant un passé plus beau qu'il ne l'a été en réalité. Ce qui fait de nous des réalistes, c'est que nous, chrétiens, savons que la perfection n'est pas de ce monde et que nous n'ambitionnons en politique que de rechercher le régime le moins mauvais.

 

Propos recueillis par Eric Letty Monde et Vie

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