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Pourquoi les jeunes sont passés à droite

Un sondage montre que les 18-24 ans sont les catégories d'âge qui se disent le plus à droite. Vincent Tournier analyse les raisons de ce basculement historique.

LE FIGARO. - Les 18-24 ans et les plus de 65 ans sont les catégories d'âge qui se disent le plus à droite, selon un sondage Elabe pour Atlantico publié mercredi. Que cela vous inspire-t-il ?

Vincent TOURNIER. - Pour les plus de 65 ans, ce n'est pas très surprenant. On sait depuis longtemps que la propension à se classer à droite augmente avec l'âge, ce qui s'explique notamment par l'importance du patrimoine et de la religion dans les anciennes générations.

Le résultat le plus étonnant concerne les jeunes puisque, en général, c'est chez eux que la gauche obtient ses meilleurs scores. Cela dit, il faut rester prudent. Les marges d'erreur sont plus élevées lorsqu'on isole une tranche d'âge que lorsqu'on travaille sur l'ensemble de l'échantillon, surtout avec un sondage qui ne porte que sur un millier de personnes. Si la tendance se confirme, ce qui n'est pas exclu, on pourra alors en déduire que l'on assiste bel et bien à une modification profonde du contexte sociopolitique.

On a longtemps dit que la jeunesse était de gauche. Était-ce le cas ?

Ce n'est pas faux mais il ne faut pas généraliser. La jeunesse ne recouvre pas une réalité unique. Même en 1981, période qui est censée incarner la domination de la gauche chez les jeunes, on peut voir que la situation est plus nuancée: certes, 24% des 18-24 ans ont voté George Marchais au premier tour (contre 16% pour le reste de la population) mais ils ne sont que 22% à avoir voté pour François Mitterrand (contre 26% en moyenne).

Il n'en reste pas moins que, globalement, les jeunes sont plus nombreux à se positionner à gauche. Cela s'explique par le fait que, depuis l'après-guerre, la société française a évolué dans un sens favorable à la gauche, avec le déclin du catholicisme, le discrédit du nationalisme, la remise en cause de l'autorité, la disparition du monde rural au profit d'une classe moyenne urbanisée et libérale sur le plan des mœurs. La France est d'ailleurs l'un des pays d'Europe où la part de la population qui se classe à gauche est l'une des plus élevées. Or, les jeunes ont tendance à amplifier les grandes dynamiques sociales. C'est logique: comme ils sont dans une phase de découverte et d'apprentissage, ils ont tendance à être davantage marqués par les thèmes qui dominent les débats publics.

De plus, il ne faut pas négliger l'attrait des jeunes pour la radicalité. Les mouvements contestataires sont souvent portés et animés par des jeunes. Est-ce lié à la chronobiologie? C'est possible, mais on peut y voir plus simplement un effet de position sociale: les jeunes découvrent le monde, avec ses contradictions et ses injustices. Ils sont d'autant plus réactifs qu'ils ne connaissent pas forcément le passé des choses et ont plus de mal à admettre la complexité du monde. De plus, les jeunes n'exercent pas de responsabilité, ce qui les rend disponibles pour les engagements risqués ou excitants, surtout lorsque la répression policière est quasiment inexistante. En général, les jeunes mettent leur goût de l'action au service des mouvements de gauche car celle-ci bénéficie d'une légitimité idéologique supérieure, mais ils peuvent aussi la mettre au service de la droite. Rappelons que, en 1973, le gouvernement a dissout simultanément la Ligue communiste et Ordre Nouveau après que ceux-ci se sont physiquement affrontés.

Comment expliquez-vous ce basculement. Cela traduit-il un mouvement général de droitisation de la société ou le phénomène est-il spécifique à la jeunesse ?

Il est effectivement devenu courant de parler d'une «droitisation» de la société, mais les évolutions semblent plus complexes. Si on prend par exemple le domaine des mœurs, notamment l'égalité hommes-femmes et l'homosexualité, il serait plus juste de parler d'une «gauchisation». En revanche, il est vrai que l'opinion s'est durcie ces dernières années sur l'immigration et la sécurité. On a même vu remonter le soutien à la peine de mort. 

Ces différentes évolutions ne sont pas forcément contradictoires. Les Français sont devenus très libéraux sur le plan des mœurs ; ils sont même parmi les plus libéraux d'Europe. Mais l'immigration de masse des années 60-70, ainsi que les ratés de l'intégration, provoquent aujourd'hui un choc culturel: les Français sont confrontés à une population qui s'avère très traditionnaliste, bien plus que les catholiques d'autrefois. Des questions que l'on croyait définitivement réglées, comme l'accès des femmes à l'espace public ou la liberté sexuelle et conjugale, reviennent en force. Du coup, les clivages se brouillent. La critique de l'islam et de l'immigration, qui était autrefois l'apanage des Français conservateurs, gagne les milieux libéraux. Le FN new style a su percevoir cette évolution et adapter son discours en conséquence. C'est pourquoi il est désormais rejoint par des militants de la cause homosexuelle, et gagne même une certaine sympathie dans les milieux juifs inquiets devant la hausse de l'antisémitisme.

L'attitude des migrants est d'autant plus troublante que ceux-ci semblent refuser l'intégration, et même manifester un certain mépris pour la population autochtone. Sur des sites musulmans, on voit des imams s'interroger sur le fait de savoir s'il est licite ou illicite de faire la bise ou de serrer la main à un non-musulman, et les plus radicaux traitent de porcs ceux qui mangent du cochon. L'idée d'un racisme anti-blanc se diffuse. Selon un sondage IFOP de 2014, 47% des Français pensent que le racisme anti-blanc est répandu en France contre 53% qui pensent qu'il est marginal. Cette proportion est quasiment la même chez les moins de 35 ans (45% approuvent l'idée d'un racisme anti-blanc) alors que les jeunes ont traditionnellement été les plus acquis à la cause antiraciste. C'est un point important qui est susceptible d'expliquer le retour de l'identité nationale, surtout dans l'électorat de droite, car les identités se construisent les unes par rapport aux autres, dans une logique d'action et de réaction. Le politologue Pierre Bréchon, qui a étudié l'évolution de l'identité nationale entre 2003 et 2013, constate ainsi une «droitisation de la droite». C'est une conséquence logique de la montée des affirmations identitaires de la part des minorités. C'est aussi le résultat de ce qu'Alain Finkielkraut appelle le «romantisme pour les autres»: à force de célébrer les identités des migrants ou des autres civilisations, on finit par provoquer un retour de balancier, ce qui débouche sur un besoin de reconnaissance de la part de la population autochtone.

30% des moins de 35 ans ont voté FN aux élections européennes. Comment expliquez-vous ce vote? Que dit-il de la jeunesse d'aujourd'hui ?

Ce chiffre de 35% est effectivement supérieur à la moyenne du vote FN, qui était de 25% aux dernières européennes de 2014. Cela semble confirmer une tendance que l'on a vu émerger depuis quelques années puisque, pour l'élection présidentielle de 2012, la SOFRES indiquait déjà que Marine Le Pen faisait 23% chez les 18-24 ans (contre 19% en moyenne nationale). Mais il faut aussi relever que, aux élections européennes, d'après le même sondage, 13% des moins de 35 ans ont voté pour la gauche radicale (extrême-gauche et Front de gauche), ce qui est plus que la moyenne nationale (8%).

Autrement dit, la radicalisation ne concerne pas que l'extrême-droite. L'actualité permet de le vérifier. La radicalité se retrouve à tous les niveaux, que ce soit à droite avec les Jeunes Identitaires ou à gauche avec les «zadistes», lesquels entendent défendre la nature contre une modernité jugée corruptrice (ce qui est plutôt un thème de droite), sans oublier évidemment le radicalisme islamiste. Il faut aussi tenir compte d'autres formes de radicalité, par exemple le phénomène de l'expatriation, lequel a manifestement pris de l'ampleur ces dernières années. Une enquête a ainsi montré que 43% des 18-24 ans se disent prêts à partir à l'étranger, contre 21% dans l'ensemble de la population. Certes, l'expatriation correspond à une radicalité moins inquiétante que le djihad, mais tous ces phénomènes sont vraisemblablement liés ; ils expriment les différentes facettes d'une époque dont la mondialisation et la crise économique constituent la toile de fond. 

Dans ce contexte, le FN s'en sort particulièrement bien. Il est vrai qu'il propose un discours sur l'immigration et l'islam qui paraît plus en phase avec la réalité. Il a aussi le mérite de s'inscrire désormais dans le prolongement des grandes valeurs républicaines comme la laïcité. Acontrario, les partis de gouvernement s'embourbent dans des contradictions majeures, comme l'a récemment révélé le Salon des musulmans à Pontoise, ville tenue par la droite, qui donne du crédit au soupçon de clientélisme électoral dénoncé par l'élue socialiste Céline Pina.

Le Printemps arabe a également permis à Marine Le Pen de gagner en crédibilité car elle peut se vanter d'avoir eu raison avant tout le monde lorsqu'elle annonçait une explosion des flux migratoires, alors que l'extrême-gauche se contentait d'une analyse angélique désormais peu crédible. La crise migratoire sert d'autant mieux le Front national que cette crise active une angoisse inconsciente qui travaille les sociétés occidentales engagées dans la mondialisation: celle de voir le monde livré au chaos d'un ensauvagement généralisé. Cette angoisse s'exprime clairement dans le cinéma, qui en dit parfois plus long que bien des enquêtes sociologiques. Les films de zombies comme World War Z décrivent ainsi la destruction du monde civilisé par des hordes ensauvagées que rien ne peut arrêter, comme jadis l'angoisse de la guerre froide était retranscrite dans les films de science-fiction où le monde libre se voyait anéanti par des êtres venus d'ailleurs mais disposant d'une haute technologie. La capacité des dirigeants européens actuels à conjurer les angoisses contemporaines sera un élément important des futures évolutions politiques.

Alexandre Devecchio

notes

Vincent Tournier est enseignant-chercheur en science politique à l'Institut d'études politiques de Grenoble. Il est spécialiste des questions liées à la jeunesse et à la politique.

source : Le Figaro :: lien

http://www.voxnr.com/cc/di_varia/EuuFEVFFEVPKnqIrkU.shtml

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