Envisagé en 2014, reculé en 2015, le référendum sur le retour de la monarchie pourrait avoir lieu finalement en 2016 alors que monarchistes et républicains s’affrontent plus que jamais autour de cette question. Alors qu’il a célébré le 25 octobre dernier ses 94 ans, le Roi Michel Ier de Roumanie, deux fois souverain de son pays (1927-1930 & 1940-1947), peut-il encore remonter sur son trône ?
C’est sous les canons des chars soviétiques de Staline, pointés vers les fenêtres du palais royal et le chantage de son Premier ministre Petru Groza, qui menaçait d’exécuter plus de 200 étudiants fidèles à la couronne, que le Roi Michel Ier doit renoncer au pouvoir le 30 décembre 1947. Commence alors un long exil entre Etats-Unis et Suisse tandis que le régime communiste s’installe progressivement dans le pays. La chute du régime de Nicolaï Ceaucescu (décembre 1989) permet à la démocratie de se ré-installer rapidement et difficilement dans le pays.
Les monarchistes se réorganisent (Parti National Paysan Démocrate-Chrétien (PNTCD) /Partidul Naţional Ţărănesc Creştin Democrat) sous la direction de Corneliu Coposu (1914-1995) et obtiennent 12 députés aux premières élections démocratiques d’avril 1990. On prépare le retour du Roi qui n’a pas été oublié. Les princesses Sophie et Margarita, filles de Michel, ont débarqué à Bucarest en janvier et ont été ovationnées par une population qui a ressorti les photos jaunies d’un souverain à la belle allure. Cette ferveur soudaine en faveur de la monarchie déplaît fortement à l’élite post-communiste, la plupart de ses membres étant issus de l’ancien régime. Le gouvernement d’Ion Iliescu tente de stopper Michel en annulant une première fois ses visas en avril puis en décembre de manière plus musclée. Alors qu’il est acclamé le long de la route qui doit le conduire vers la capitale, le cortège du Roi est cerné par des hommes armés. Il ne devra la vie qu’aux reporters français qui étaient présents ce jour-là. Le soir même, le gouvernement expulse manu militari le roi de son pays. Il lui faudra encore patienter deux ans pour enfin pouvoir revenir légitimement en Roumanie. 500 000 personnes se sont réunies à Bucarest et réclament d’une seule voix le retour de la monarchie, devant le Roi et son épouse Anne de Bourbon-Parme qui agitent leurs mains vers eux. Ce 19 avril 1992, c’est un pays tout entier qui communie avec sa dynastie.
Septembre suivant, nouvelles élections législatives. Un succès. 41 députés et 21 Sénateurs monarchistes entrent au Parlement. Au sein de la Convention Démocratique de Roumanie, les monarchistes sont alors le deuxième groupe d’opposition du pays. 4 ans plus tard, ils ont multiplié leur nombre d’élus au Parlement, obtenu la mairie de Bucarest et sont entrés dans un gouvernement de coalition. Le 21 Février 1997, le Parlement vote enfin la restitution de la citoyenneté roumaine au Roi ainsi que ses propriétés et lui octroie le titre d’Ambassadeur itinérant pour la Roumanie (4 Mars). Le Président Emil Constantinescu, connu pour ses positions monarchistes, parle déjà de préparer un référendum sur le retour de la monarchie. 1 roumain sur 10 est alors favorable à ce projet. Mais la corruption rampante, les dissensions internes au sein de la coalition provoquent la chute du gouvernement pro-monarchiste en 2000.
La Roumanie s’enfonce dans le chaos politique sur fond de constantes rumeurs de restauration de la monarchie. Le Palais Elizabeth devient un véritable contre-pouvoir où la princesse héritière Margarita reçoit ministres des gouvernements roumains successifs, ambassadeurs, diplomates étrangers, distribue médailles et préside différentes cérémonies officielles. Chaque année des milliers de roumains convergent vers le palais royal pour célébrer l’anniversaire du Roi. La République flirte allégrement avec la famille royale. De 2002 à 2008, l’époux de la princesse Margarita, le prince Radu Dadu est nommé représentant spécial du gouvernement de Roumanie. On pense même à lui pour une candidature à l’élection présidentielle de 2009, crédité de 14% d’intentions de vote en dépit de son parcours controversé. Michel en profite pour modifier les lois de successions au trône en 2007, gomme toute trace allemande de son nom de famille (les Hohenzollern-Sigmaringen, qui sont montés sur le trône roumain en 1866, deviennent simplement « De Roumanie ») et nomme en 2010 son petit-fils Nicolas Medforth-Mills prince héritier, alors âgé de 25 ans.
2012 est l’année du second souffle pour le renouveau monarchiste roumain. Le PNTCD, qui s’est scindé en deux mouvements, n’arrive plus à retrouver ses premiers scores politiques, dépassant désormais à peine les 2% des voix. Et c’est l’Alliance nationale pour la restauration de la monarchie (Alianța Națională pentru Restaurarea Monarhie-ANRM), créée en mars 2012, qui va devenir progressivement la voix des monarchistes, notamment parmi les étudiants. D’autant que ceux-ci sont le fer de lance de la contestation anti-gouvernementale. Entre janvier et mars 2012, des portraits du Roi Michel Ier sont placardés dans les universités de Bucarest, le Président Basescu y est conspué et lors de la manifestation du 8 mars, on n’hésite pas à crier dans les rues : " démission, Trăiască Regele ! (Vive le Roi !) ". La république se crispe, ses dirigeants aussi. Lors de son discours au parlement le 25 octobre 2011, Michel avait été largement applaudi par les députés présents mais boudé superbement par Basescu et son Premier ministre ; l’opinion roumaine le désignant comme personnage public le plus populaire dans le pays. Le leader de l’opposition, Crin Antoncescu, se prononcera lui-même pour le retour de la monarchie dans le pays.
Michel de Roumanie devient le personnage incontournable à l’aube des élections générales de novembre 2014 dont toute la classe politique s’empare. Du futur Président National-libéral Klaus Iohannis au Premier ministre social-démocrate Victor Ponta, tous vont inclure la question du référendum pour le retour de la monarchie dans leur programme politique. A peine élu, Klaus Iohannis se précipite pour serrer la main du Roi au Palais Elizabeth.
Avec la récente démission le 3 novembre 2015 du Premier ministre Ponta, accusé de malversations, les monarchistes roumains sont sortis massivement dans la rue. L’Alliance nationale pour la Restauration de la Monarchie, qui a multiplié les manifestations dans le pays ces deux dernières années, a rendu publique une lettre adressée au Président de la république, lui réclamant de changer la constitution rapidement afin de poser la fameuse question qui brûle aujourd’hui les lèvres de tous les politiques roumains. Elue Présidente de la Croix-Rouge, la princesse Margarita déclarait dans une interview : " la monarchie ne divise pas, c'est un symbole d’équilibre, d'unité et de continuité. Nous (la famille royale ndlr) sommes un symbole national, un rôle que nous avons gagné au cours des vingt dernières années" ajoutant que certains lui avaient fait remarquer avec ironie que sa famille jouait aujourd'hui dans la république, le rôle "d'une monarchie fonctionnelle". Tout semble donc prêt, voire acquis, pour la restauration de la monarchie.
Cependant les prochaines élections anticipées de 2016 vont être déterminantes pour les partisans de la monarchie roumaine, malmenés par la décision surprenante du Roi de priver de son titre, en août dernier, le prince Nicolas alors que celui-ci était largement populaire dans toutes les couches de la société civile notamment parmi les jeunes roumains. En effet, le dernier sondage Inscop de décembre 2014 montrait que 21 % des 18- 30 ans interrogés se démarquaient par leur vote en faveur du retour du Roi Michel. Un sondage qui montrait aussi la triste complexité de la politique roumaine. 58% des roumains interrogés se prononçaient en faveur du maintien de la République contre 30 % pour la monarchie tandis que 29% de ces mêmes sondés affirmaient que la Roumanie aurait malgré tout dû opter pour la monarchie dès 1989 contre 21% pour la République. Malgré un regain de popularité (de 26 % en 2011, il est monté à 61% d’opinion favorable en avril 2015), le retour du Roi Michel va d’abord surtout dépendre de la volonté des politiques roumains à faire campagne en ce sens (tant la corruption est un sport national) et des monarchistes à montrer leur capacité à se faire entendre sur le terrain politique au-delà de leurs divisions.
C’est le président du Sénat roumain, Calin Popescu-Tariceanu qui a donné le premier, le ton de cette campagne électorale. Le 7 octobre, il n’a pas hésité à déclarer publiquement, qu'il était temps que « la Roumanie retrouve sa monarchie constitutionnelle » ! Allons-nous bientôt assister au retour d’un souverain sur son trône en Europe ? Aujourd’hui tout est permis de le croire !
Frédéric de Natal