Au lendemain du second tour des régionales, une question émerge : pour quoi ont voté les Français ? La réponse est claire, et le gouvernement n’a pas tardé à le souligner : pour la gauche.
Pour le comprendre, il suffit d'écouter le premier ministre. Manuel Valls, oubliant sans doute qu'il est le chef d'un gouvernement et non d'un parti, a résumé la question en une équation très claire : morale = gauche.
L'explication de cette égalité a été assénée à plusieurs reprises par un premier ministre ravalé au rang de directeur de campagne. Les Français en ont eu un condensé révélateur le vendredi précédent le second tour, alors que Manuel Valls tentait de ne pas répondre aux questions que Léa Salamé lui posait sur France Inter.
Première affirmation, péremptoire, le refus de répondre à l'agression verbale par laquelle le candidat socialiste en Ile-de-France Claude Bartolone s'en est pris à son adversaire Valérie Pécresse en lui reprochant de défendre tout à la fois Versailles, Neuilly et la fameuse race blanche.
Manuel Valls refuse de répondre : Claude Bartolone est un homme d’État - excusez du peu ! -, et le premier ministre ne s'abaissera pas à entrer dans un jeu politicien qu'il prétend dénoncer.
Appel à la guerre civile
Deuxième propos, tout aussi radical : l'arrivée au pouvoir, ne fut-ce que dans une seule région, du Front national, déclencherait la « guerre civile ».
En deux phrases et autant de coups de menton, le premier ministre a résumé les règles et les valeurs de la République.
La première, et sans doute la plus importante, c'est que la gauche seule est habilitée à définir les règles. L'exemple de l’instrumentali-sation de la « race blanche » - qui, on l'a constaté depuis, n'a guère réussi à Claude Bartolone - est particulièrement typique. C'est le premier ministre qui, publiquement, clouait deux mois plus tôt Nadine Morano au pilori qui justifie la démarche du candidat socialiste. Le tort de l'ancien ministre de Nicolas Sarkozy : être de droite. La raison de Claude Bartolone : dénoncer la race blanche. C'est clair, et facile à comprendre...
La seconde découle de la première : seule la gauche peut faire une politique républicaine. Là encore, la démonstration est limpide. Elire des candidats Front national, ce serait déclencher la « guerre civile ». Et la droite est fautive qui court après l'extrême droite. Et tant pis si, ce disant, on dresse les Français contre les Français...
Au nom de la morale
Faut avouer, c'est simple. Le problème, c'est que le peuple français est extrêmement bête puisque, malgré les éructations vallsiennes, il porte le Front national en tête au premier tour ; et lui accorde près de sept millions de voix au second - soit presque autant que le PS, pardon ! l'union de la gauche, les cinq régions en moins, c'est toujours une consolation.
Aussi a-t-il fallu répéter, le soir des résultats, à l'attention de ceux qui n'avaient pas bien compris ; parce que, comme le dit l'inénarrable Manuel Valls, « il faut apporter la preuve que la politique ne reprend pas comme avant ».
Ce qui signifie très clairement que les idées de droite n'auront plus cours en France.
C'est ce que le ministre de l'Education nationale, Najat Vallaud-Belkacem, a dit au nom du gouvernement, à savoir que jamais les présidents de régions élus avec les voix de la gauche ne pourront parler ou agir comme le Front national.
Dans le Nord remporté face à Marine Le Pen, Xavier Bertrand a immédiatement obtempéré en affirmant, sous une (peu) énigmatique étiquette Le Rassemblement, que « l'Histoire retiendra que c'est ici que nous avons stoppé la progression du Front national ».
NKM a fait de même en dénonçant la stratégie de Nicolas Sarkozy, ce qui lui a valu - faut pas pousser ! - d'être débarquée de la direction des Républicains.
C'est cela le « sursaut citoyen » qui affirme à la face du monde que, en France, il n'y a qu'une politique morale, celle de gauche, et que les citoyens qui ne l'ont pas compris ne sont que des citoyens de seconde zone.
Un sursaut qui affirme en fait que le seul Front républicain, c'est la gauche !
Seulement, ainsi que l'a souligné François Fillon, ce sursaut « n'efface pas le 6 décembre qui reste le véritable baromètre de l'état du pays ».
Il n'efface pas surtout le discours de Nicolas Sarkozy affirmant qu'il n'est « pas immoral » de voter Front national. L'homme a sans doute le regard fixé sur 2017, mais il n'entend pas admettre que l'on dise qu'un électeur de gauche vaut davantage qu'un électeur de droite.
Il n'efface pas non plus l'affirmation, limpide, de Marion Maréchal-Le Pen : « Ne les écoutez pas, il n'y pas de plafond de verre ! »
Hugues Dalric monde&vie 14 décembre 2015