Yannik Chauvin, docteur en droit, écrivain, compositeur.
♦ Le gouvernement, impuissant à agir, radicalise sa position en maniant l’interdit et fait donner ses forces de l’ordre pour appuyer ses mauvaises actions.
Dans la période que nous vivons, riche en manifestations en tout genre, et où la sérénité n’est plus la qualité première des magistrats, l’article de Yannik Chauvin sur l’arrêt Benjamin donne largement matière à réflexion.
Polémia
Autrefois, nous étions protégés par l’arrêt Benjamin. L’affaire date de 1930. René Benjamin, homme de droite et violent critique de l’enseignement public, devait donner une conférence à Nevers sur le thème « Deux auteurs comiques : Courteline et Sacha Guitry ».
Une opposition musclée avait prévu une contre-manifestation. Devant le risque de désordre, le maire de la ville a interdit la conférence par arrêté municipal.
En 1933, le Conseil d’État, plus haute juridiction administrative, saisi par René Benjamin, a annulé l’arrêté du maire sur un argument explicite : « L’éventualité de troubles, alléguée par le maire de Nevers, ne présentait pas un degré de gravité tel qu’il n’ait pu, sans interdire la conférence, maintenir l’ordre en édictant les mesures de police qu’il lui appartenait de prendre. »
En d’autres termes, avant qu’un maire ou un préfet ou un ministre de l’Intérieur interdise une manifestation, il lui faut d’abord prendre les mesures de police adéquates. Le principe était clair : « La liberté est la règle, la restriction de police l’exception. » Nous avons vécu quatre-vingts ans sous ce régime de liberté. Aujourd’hui, c’est terminé.
Le premier coup de massue à avoir fracassé la jurisprudence Benjamin a été porté par Manuel Valls en janvier 2014 dans l’affaire Dieudonné. Depuis que la brèche est ouverte, le même Valls étant chef du gouvernement, on ne compte plus les décisions des préfets interdisant des manifestations. Les dernières en date frappent Saint-Brieuc et Calais, là où le général Piquemal a été arrêté.
Qu’on ne s’y trompe pas : l’état d’urgence n’a rien à voir dans l’affaire. Sinon, pourquoi autoriser les manifestations d’agriculteurs ou de taxis ? Non ! La vraie raison, la seule, c’est empêcher que s’exprime publiquement une opinion différente de la pensée officielle. Le gouvernement, impuissant à agir, radicalise sa position en maniant l’interdit et fait donner ses forces de l’ordre pour appuyer ses mauvaises actions. Le pouvoir ne se cache même plus ! Le préfet des Côtes-d’Armor a interdit la manifestation du 6 février avec l’argument suivant : « L’Europe n’est pas menacée par une islamisation rampante. Je ne suis pas en phase avec ces thèses racistes, provocatrices et xénophobes. » L’andouille ! On ne lui demande pas d’être ou de ne pas être en phase. On lui demande de prendre les moyens pour que la liberté soit assurée. C’est son boulot ! On se fiche de ses états d’âme.
Selon Larousse, la dictature, c’est un « régime politique dans lequel le pouvoir est détenu par une personne ou par un groupe de personnes qui l’exercent sans contrôle, de façon autoritaire ». Nous n’y sommes pas encore tout à fait, mais pas loin. Les excommunications laïques des intellectuels comme Camus, Zemmour, Finkielkraut, Verdier ou Ménard participent de cette opération d’orwellisation.
Oh ! toi, Paul Éluard, le surréaliste, le fou de liberté, le compagnon de Picasso dans le sang de Guernica, permets qu’une vingt-deuxième et dernière strophe vienne achever ton poème sublime, parachuté, pendant la guerre, pour que ceux qui se battaient alors pour la France ne perdent pas espoir.
On y lirait, aujourd’hui, une épitaphe :
Sur le marbre froid des stèles
Sur la grise pierre tombale
Sur les monuments aux morts
J’écris ton nom
Liberté
Yannik Chauvin, 8/02/2016
Source : Boulevard Voltaire.fr