Le 15 mai 2015, l’Institut de géopolitique des populations organisait un colloque sur le thème « Afrique : le cauchemar démographique ». Les actes en ont été publiés aux éditions L’Æncre dans un opuscule qui mérite de retenir l’attention.
A la question qui constituait le sous-titre de la manifestation : Les 4,2 milliards d’Africains pourront-ils submerger l’Europe ? les intervenants ont apporté une réponse qui n’est certes pas exempte de motifs d’espérance, mais qui n’est finalement pas très encourageante.
La plupart des orateurs sont connus pour leur expertise des questions relatives à l’Afrique et à la démographie. A tout seigneur tout honneur, Yves-Marie Laulan, en sa qualité de président de l’IGP, situe en introduction, avec son talent habituel, les certitudes mais aussi les incertitudes et les enjeux du problème de l’explosion démographique de l’Afrique Noire : baisse continue de la mortalité, poids croissant de la population jeune, montée de l’islamisme radical, rôle encore insuffisant des diasporas.
Philippe de Parseval, qui intervient sur les diagnostics et les remèdes au mal africain, partage avec Yves-Marie Laulan la conviction que la solution au problème de l’Afrique réside dans la mise en place d’un partenariat entre des fondations privées et les structures locales pour favoriser l’investissement sur place, plutôt que leur recours aux organisations internationales et aux Etats trop souvent corrompus. Tous les deux se réfèrent au « plan Marshall Borloo », qui reposait précisément sur cette orientation.
Mais on ne manquera pas de relever que Jean-Paul Gourévitch, grand spécialiste s’il en est des questions de migration, est loin de communier dans cet optimisme, puisqu’il va jusqu’à qualifier le plan Borloo de « rêve »… Avec Denis Garnier, président de Démographie responsable, c’est un tableau nettement moins engageant qui se dessine, données statistiques précises à l’appui.
Parmi les autres interventions, deux autres méritent d’être signalées, bien qu’elles ne soient pas directement des analyses démographiques, car elles apportent des compléments utiles et très documentés au thème central du colloque :
– la première est celle de Bernard Lugan, qui dans une intervention intitulée « Osons dire la vérité à l’Afrique », souligne que toute analyse de ce continent doit reposer sur une approche ethno-historique, et qui rejoint Laulan et Gourévitch sur l’importance des diasporas, même si tous sont convaincus qu’il reste beaucoup de chemin à parcourir ;
– la seconde émane d’Aristide Leucate, qui présente un tableau très documenté de la situation de « l’islam en Afrique ». On comprendra, bien sûr, que cette intervention n’est qu’en apparence hors sujet, tant le facteur de la montée de l’islam dans les pays d’Afrique subsaharienne contribue de toute évidence à l’exacerbation des tensions au sein même du continent et, bien entendu, à la pression croissante des flux migratoires vers l’Europe.
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Un autre ouvrage, Africanistan, de Serge Michaïlof, apporte un autre éclairage sur la question des rapports avec le continent africain.
Beaucoup plus développé et technique que le petit livre cité précédemment, et axé essentiellement sur les problèmes du Sahel, il se définit comme un cri d’alarme, et son sous-titre, L’Afrique en crise va-t-elle se retrouver dans nos banlieues ?, rejoint celui du précédent. Il pourrait tout aussi bien s’intituler : « Demain, un nouveau Camp des Saints ? »
Mais l’auteur, ancien expert de haut niveau auprès de l’Agence française de développement, n’a pas voulu écrire pour faire peur. Il analyse de façon très circonstanciée, mais sans approche technocratique, les atouts et les risques qui pèsent sur l’Afrique subsaharienne, et dresse la liste des conditions d’un possible redressement, en tirant notamment les leçons, a contrario, de l’échec des politiques menées par l’Occident en Afghanistan.
Il considère en effet, à l’instar des orateurs de l’Institut de géopolitique des populations, que les faiblesses inhérentes aux spécificités ethno-historiques du continent africain (corruption des régimes, désintérêt pour le secteur rural, cannibalisation des budgets par les besoins de financement du secteur militaire, pour faire face aux nombreux conflits interethniques, économiques et désormais politico-religieux, etc.) sont renforcées par la méconnaissance de ces spécificités par les pays occidentaux.
Quelques succès ayant été enregistrés dans certains pays, il est de bon ton, depuis quelques années, d’afficher un « afro-optimisme » après avoir pendant des décennies vécu dans l’idée reçue que « l’Afrique Noire est mal partie », pour reprendre le titre de l’emblématique ouvrage de René Dumont de 1962.
Serge Michaïlof montre bien que ces succès sont le plus souvent des trompe-l’œil : il en va ainsi de la Côte d’Ivoire, dont le boom économique appartient au passé, du Nigeria, ou d’autres Etats dont l’économie repose sur une ressource dominante, généralement le pétrole, et qui démontrent rapidement leur extrême fragilité. Au total, nous dit l’auteur, « les défis pour l’Afrique sont tout à fait spécifiques et proviennent de ce que la transformation structurelle de son économie est en retard par rapport aux autres régions du monde ».
Mais, là où on s’attend à un énième pensum sur la faute du colonialisme ou sur les méfaits de la « Françafrique » et des multinationales pétrolières – à cet égard, le bandeau annonçant qu’Eric Orsenna a vu dans le livre « un portrait qui fascine et dérange » n’incite guère à en entreprendre la lecture – on est au contraire frappé par le caractère objectif et équilibré de l’analyse.
En effet, à aucun moment l’auteur ne laisse entendre que la solution serait de mener une politique de « portes ouvertes » forcenée, telle que la préconisent les Merkel et les Juncker. S’il refuse les incantations simplistes du type « Ils repartiront » ou « Boutons-les hors de nos frontières », les conclusions de son chapitre XIV « Intégrer tous les migrants ? » sont claires : non, l’immigration venue d’Afrique (mais cela vaut tout autant pour celle du Moyen-Orient), compte tenu de l’écart économique, n’est pas une chance pour la France ; oui, la société multiculturelle, compte tenu précisément des écarts culturels, est un germe de désagrégation de nos sociétés. Cela rejoint l’idée qui nous est familière, parce que confirmée quotidiennement par la réalité, que les sociétés multiculturelles sont multiconflictuelles.
Serge Michaïlof conserve malgré tout l’espoir que les atouts incontestables dont dispose l’Afrique subsaharienne – abondance des ressources minières et agricoles, main-d’œuvre disponible, accès largement répandu aux nouvelles technologies, progrès technologiques, etc. – puissent être mis en valeur à la fois par des réformes internes, et surtout par une modification radicale de la posture des pays les plus favorisés : cela signifie, par exemple, la remise en valeur de l’économie agricole, la fin du pillage des ressources énergétiques, et l’augmentation de l’aide à des investissements réalisés sur place et utilisant la main-d’œuvre locale.
Il est inutile de préciser que de telles orientations supposent la mise en place de procédures et de contrôles qui ne plairont ni aux « élites » des pays concernés, ni aux entreprises transnationales dont la seule règle de conduite est la maximisation du profit, et dont les dirigeants – la superclasse mondiale – ne sont guère sensibilisés aux désagréments provoqués par l’irruption de migrants dans leur banlieue sécurisée.
Par ailleurs, Serge Michaïlof ne s’étend guère sur la dimension démographique de la situation, sinon pour constater son importance. Or, la prégnance dans la mentalité des peuples africains de l’idée qu’il n’est de richesse que d’hommes, qui leur vient du fond des âges, mais qui est renforcée tant par l’influence du christianisme (catholique ou « évangéliste ») que par celle de l’islam, freine considérablement toute possibilité de politique de maîtrise de la natalité. On rejoint ici les réflexions du colloque de l’Institut de géopolitique des populations.
Malgré ses limites, lisez Africanistan, car ce sont des ouvrages comme celui-là qui esquissent des pistes de réflexion et d’action dans un domaine où la bien-pensance et les idées reçues se donnent généralement libre cours.
Bernard Mazin
23/02/2016
Yves-Marie Laulan (Présenté par), Afrique : le cauchemar démographique, Ed. L’Æncre 2015, 135 p.
Serge Michaïlof, Africanistan, Ed. Fayard 10/2015, 365 p.