Un matin de novembre 1986, une amie d’université, Christine D., sympathisante royaliste qui avait participé l’été précédent au Camp Maxime Real del Sarte de l’Action Française, vint toquer à la porte pour nous annoncer que les blocages des amphis avaient commencé, comme nous le sentions venir depuis quelques jours et particulièrement depuis que le samedi passé les opposants étudiants au projet Devaquet (le ministre de l’enseignement supérieur du gouvernement Chirac) avaient appelé au soulèvement des jeunes contre le dit projet. Quelques minutes après, nous arrivions dans un amphi surchauffé et dans une ambiance survoltée par les harangues des orateurs des deux UNEF (l’une était contrôlée par les trotskistes, l’autre par les communistes) et de l’extrême-gauche locale. L’arrivée des « réactionnaires » que nous étions provoqua quelques remous, et un activiste de la Ligue Communiste Révolutionnaire tenta de nous dissuader (en vain) de rester plus longtemps. Un de nos amis, François Ay., était présent depuis le début des festivités et observait la mise en place du mécanisme qui devait mener à la prise de contrôle général de l’université de Rennes-2 par les « révolutionnaires » autoproclamés : en fait, les royalistes seront toujours présents dans les amphithéâtres, les couloirs et les salles de TD, mais aussi dans les jardins, les bibliothèques et le hall de la fac, du début à la fin de la grève…
Dès ce premier jour de blocage de l’université, nous prîmes la parole à l’assemblée générale qui mobilisait près de 2.000 étudiants, malgré les pressions (inamicales…) de certains militants « rouges » (l’un d’entre eux me menaçant d’un couteau…) : il ne s’agissait surtout pas d’abandonner la place aux syndicats et aux groupes de gauche mais, au contraire, de faire entendre un autre discours, une autre pensée, une autre stratégie, voire une alternative à la domination du moment. Les absents, en ces occasions, n’ont pas seulement tort, mais ils laissent entendre, par leur silence revendiqué, qu’ils n’ont ni raisons ni positions à défendre, en somme qu’ils sont « indifférents », c’est-à-dire « impolitiques ».
Mon discours était simple, dans un premier temps : la grève n’est pas un moyen efficace car elle pénalise, non le Pouvoir en place, mais les étudiants qui se retrouvent sans cours ni professeurs. Si ces derniers continuent évidemment à être payés, les premiers risquent bien, en fin de compte et à l’heure des examens, de faire les frais d’une situation compliquée (ce qui, d’ailleurs, se confirmera pour certains activistes qui disparaîtront -bien malgré eux et faute de résultats probants en juin ou septembre- de la scène à la rentrée suivante…). En même temps, il ne s’agissait pas d’approuver une loi incertaine qui, malgré quelques éléments intéressants sur l’autonomie des universités (une vieille revendication des royalistes…), apparaissait comme une sorte de libéralisation à l’anglo-saxonne dont on ne saisissait pas vraiment les limites et, surtout, l’intérêt, autant pour les enseignants que pour les étudiants. Une réforme bâclée, en somme, comme la République sait si bien en faire…
Durant tout le temps des événements, nous ne lâcherons rien et serons présents à toutes les AG et dans de nombreuses réunions qui furent l’occasion de présenter, au-delà de nos positions circonstancielles du jour, les idées royalistes pour l’Université. De plus, de nombreux tracts signés de notre groupe royaliste de Rennes-2, le Cercle Jacques Bainville, furent distribués. Ce travail de terrain et les quelques « incidents » qui survinrent (dont un début de bagarre générale en amphithéâtre pour protéger notre professeur de géographie, M. Guy B., ou des bousculades pour franchir quelques piquets de grève…) nous assurèrent une grande visibilité et l’intérêt d’un nombre respectable d’étudiants et… de professeurs ! Quelques communiqués de presse, repris par l’édition rennaise du quotidien Ouest-France, ajoutèrent à notre petit crédit. Cette présence ne s’arrêtait d’ailleurs pas aux portes de Rennes-2, puisque quelques lycéens royalistes d’Action Française jouèrent un rôle non négligeable dans leurs établissements respectifs, dont les frères C., qui prouvèrent que la politique et la bonne humeur pouvaient très bien se conjuguer, y compris dans les moments les plus chauds de la contestation…
De plus, nous n’étions pas seuls : quelques centristes, mais aussi quelques socialistes, des modérés ou de simples étudiants peu politisés mais excédés par l’attitude sectaire de quelques grévistes, participaient à la « contre-grève ». Notre royalisme, qu’ils ne partageaient pas forcément, n’était pas un repoussoir pour eux.
Durant deux semaines, ce fut un véritable tourbillon, et nous vécûmes intensément, soucieux de tenir notre rang et de ne pas laisser filer l’occasion de montrer que le royalisme n’était pas un « romantisme » mais bien un engagement politique concret et sérieux, argumenté et vécu. Chaque jour était l’occasion d’échanges, parfois houleux, mais souvent, aussi, fructueux. Nous n’étions pas dupes des enjeux pour les groupes politiques de gauche et des extrêmes, et nous savions bien que le Parti socialiste (entre autres) profitait de la situation pour faire oublier ses échecs de la période antérieure (du printemps 1981 au printemps 1986), en particulier sur la question universitaire, le printemps 1983 ayant vu les étudiants de Droit et de Médecine défiler contre la loi Savary, finalement adoptée et imposée par un Pouvoir qui n’avait pas hésité à pratiquer une répression toute socialiste…
Au-delà de notre présence quotidienne dans les locaux de l’université, je me rendais parfois à la faculté de Droit, ayant eu la bonne idée de demander, au début de l’année universitaire, une carte d’auditeur libre qui me permettait d’y rentrer quand les autres étudiants de Rennes-2 se heurtaient au filtrage officiel. Là encore, les militants royalistes, qui disposaient d’un panneau d’affichage officiel d’expression, n’étaient pas inactifs, même si la tension y était bien moindre qu’à Villejean (le nom que nous donnions tous à notre université, et qui était celui du quartier d’icelle).
Ce qui est certain, c’est qu’à la fin de la deuxième semaine de grève et d’occupation de Rennes-2, notre présence permanente sur le terrain commençait à porter ses fruits : après une période où nous étions largement marginalisés et fortement décriés, les propos se faisaient parfois plus conciliants à notre égard et nos arguments rencontraient un écho d’autant plus favorable que la situation semblait s’enliser sans perspective d’une sortie rapide de crise. Discrètement (ou non, d’ailleurs), quelques professeurs nous soutenaient désormais ou discutaient ostensiblement avec nous, comme pour signifier que, pour eux aussi, la grève n’était pas la solution : cela nous donnait une crédibilité supplémentaire. Quant à ceux qui soutenaient la grève, nous avions la bonne idée de débattre courtoisement avec eux lors des interventions en amphi, ce qui, là aussi et parce que nous connaissions bien les dossiers universitaires, nous permettaient de nous attirer, sinon leurs bonnes grâces, du moins une certaine estime de leur part. De plus, tout en étant très actifs dans les débats et assemblées générales, nous profitions des moments de « relâche » pour travailler nos cours et avancer nos lectures, considérant que c’était le meilleur moyen de ne pas nous retrouver en position délicate à l’heure des examens qui, fatalement, arriverait bien un jour ou l’autre, quand les choses se seraient calmé… J’ai toujours pensé que notre principale source de crédibilité à l’université reposait sur notre capacité à nous classer parmi les meilleurs ou simplement les bons élèves dans nos matières universitaires !
Un matin, la nouvelle de la mort d’un étudiant, Malik Oussekine (un jeune franco-algérien qui se destinait à la prêtrise et qui n’avait rien à voir avec les manifestations…), fait basculer définitivement la situation en défaveur du gouvernement qui avait cru pouvoir tenir bon sans en avoir la volonté bien franche ni les idées bien claires. Les syndicats étudiants de gauche saisissent l’occasion au vol pour redonner du souffle à leur mouvement et M. Chirac cède en sacrifiant son ministre Devaquet et sa réforme…
Durant cette période de crise, les royalistes, malgré leur petit nombre et leur faiblesse politique, ont montré leur réactivité et leur capacité à proposer au-delà des simples constatations et contestations. Certes, cela n’a pas été suffisant, et nous sommes toujours en République... Mais, en cette année 1986 et pour celles qui ont suivi, ils ont pu peaufiner leurs arguments et leurs idées sur l’Université, et les rendre crédibles aux yeux de nombreuses personnes qui ne les connaissaient pas vraiment auparavant : cela prouve qu’il faut saisir toutes les occasions, même celles qui peuvent nous sembler défavorables ! La leçon vaut aussi pour aujourd’hui…