Thierry Bouzard*
Apparues en 2014, le groupe de chanteuses s’est assez rapidement fait un nom dans la dissidence. Présentées par moi dans Rivarol et Synthèse nationale, je les avais fait venir pour leur premier concert en octobre dernier à Rungis lors de la journée annuelle de Synthèse nationale. Elles étaient annoncées le 8 mai prochain avant le défilé de Civitas, mais elles ont été décommandées suite à l’article (controversé) que leur consacre Rivarol de cette semaine. Elles appartiendraient, si l'on en croit cet article, à une secte démoniaque cornaquée par un gourou franc-maçon… Loin de moi l’idée de promouvoir les frères trois points, leurs pompes et leurs œuvres, mais il ne faut pas confondre les chansons et les chanteuses. D'une manière générale, l’homosexualité de l’un, les drogues de l’autre, l’affiliation à une secte ou une autre, les artistes — comme les hommes politiques — ne sont pas toujours des modèles même si on tente de nous les présenter comme tels. Leur vie privée les regarde, mais leurs chansons nous concernent.
Les Brigandes ont su attirer l’attention des milieux anticonformistes par des chansons engagées mises en scène dans des vidéos qui sont incontestablement du travail de pro. En retour, une certaine audience avec des scores de 50 000 vues en moyenne sur Youtube et des pointes à 170 000, ce qui est honorable sans être extraordinaire. Elles font quasiment jeu égal avec le chœur Montjoie. In Memoriam les dépasse un peu et elles sont devant FTP, mais encore loin du rappeur Kro Blanc qui fait des pointes à près de 400 000 vues, et encore plus loin de Jean-Pax Mefret qui, lui, chatouille souvent les 500 000.
L’affaire a été lancée par La Horde en octobre 2015 et relayée par un article du Point en février dernier. Le premier est un site antifa spécialisé dans la délationite aiguë de tout ce qui peut se faire dans la dissidence, le second héberge dans ses colonnes BHL, c’est dire comme il défend la culture française.
Car il s’agit bien du lien culturel. La jeunesse a déserté depuis longtemps les meetings politiques. Suivant les directives de Jdanov, le ministre de la Culture de Staline, les communistes ont été des précurseurs dans la prise de contrôle des artistes, les "compagnons de route", le terme de l’époque pour ne pas dire "collabo". Le meilleur exemple est la Fête de l’Huma. La grande majorité des jeunes qui venait écouter les grandes vedettes nationales et internationales ne votait pas forcément communiste, mais elle supportait sans broncher les discours des politiques avant le concert. Et ces grands concerts ne servent à rien d’autre qu’à passer des menottes culturelles à la jeunesse. Le torrent d’émotions collectives partagé lors de ces événements crée de puissants liens affectifs qui verrouillent les esprits dans une ambiance idéologique insidieuse. Elle est entretenue par les artistes qui interviennent au signal de leurs commanditaires pour rappeler pour qui va leur sympathie ou pour qui il ne faut pas voter. Cette technique bien rodée permet l’encadrement de toute la production musicale. Les concerts, grands et petits, fonctionnent avec des autorisations et des subventions, c’est-à-dire le feu vert des politiques. Outil d’expression à la portée de chacun, le monde de la musique est entièrement sous contrôle, verrouillé, cadenassé. Il suffit de rappeler le torrent d’indignations médiatiques après le concert de Fréjus en juillet dernier pour la prestation du groupe identitaire In Memoriam en ouverture de La Souris Déglinguée, ou les groupes dissidents condamnés à organiser des concerts clandestins pour contourner les annulations.
De par son origine, la dénonciation des Brigandes s’inscrit dans ce climat de persécutions systématiques déjà rencontré par tous les chanteurs de la dissidence, que ce soit ceux des déportés de l’Algérie française, les groupes du courant skinhead et puis ceux du rock identitaire. On entretient la population dans l’illusion que chacun peut écouter la musique qui lui plait, mais en réalité on écoute la musique que l’on nous fait entendre. Longtemps les maisons de disques, les radios et la télévision ont imposé leurs modes commerciales et l’arrivée d’internet n’a pas fondamentalement changé la donne. Si les maisons d’édition et les circuits de distribution se sont effondrés, l’organisation de concerts reste soigneusement sous contrôle. Or le CD ne se vend plus et aucun support alternatif n’est venu apporter un flux financier en rétribution de l’investissement des artistes : pourquoi payer ce que l’on trouve gratuitement en ligne ? Seule source de revenu subsistante, les concerts. L’aspect financier est essentiel car l’équation est simple, sans concert par de revenus, donc pas de répétitions, de moyens de déplacement ni d’organisation. La création est asséchée et l’exploitation du lien collectif créé par la musique est réservée à ceux qui détruisent l’identité de la communauté nationale française comme de l’identité européenne.
Dans ce contexte, s’il n’est pas indifférent de savoir comment fonctionnent les Brigandes, en revanche il est essentiel de savoir tirer un profit culturel de cet outil de communication. Les chiens de garde du système ne s’y sont pas trompés en les jetant en pâture, elles sont un réel danger, non pas pour la dissidence qui en a vu d’autres, mais pour son monopole culturel.
* Thierry Bouzard est chroniqueur musical au quotidien Présent. Il est l'organisateur des concerts lors des Journées nationalistes et identitaires de Synthèse nationale et il est l'auteur de Des Chansons contre la pensée unique, édition des cimes, 332 pages, 2014.