En se braquant de façon irréaliste sur la lutte contre la Loi Travail, la CGT dirigée par Martinez surprend bon nombre d'observateurs.
Or, ce 17 mai sur Radio Classique l'ancien ministre mitterandiste Védrine ((1) 1était amené à souligner un facteur, qui devrait nous paraître fondamental mais qu'on n'entend pas assez évoquer, et pour cause, comme l'une des causes des difficultés de la France : l'influence, dans tous les domaines, du gauchisme. C'est le mot qu'employait Védrine, mais on ne perdra pas de vue que c'est aussi le terme par lequel Lénine lui-même stigmatisait en 1920 "la maladie infantile du communisme".
Le "gauchisme" certes est l'ennemi de toute réforme car il y voit un piège tendu par les méchants "patrons" pour endormir le peuple.
Mais on ne doit pas se tromper d'étiquetage : les "gauchistes" d'hier, comme ceux qu'on cherche aujourd'hui à ne présenter que comme des "casseurs", sont simplement des rivaux des appareils marxistes. Globalement tous forment un seul et même camp, et M. Védrine gagnerait à se définir lui-même de façon plus claire par rapport au camp des admirateurs de Fidel Castro.
Trop de nos compatriotes, tout en étant aux postes de commande dans l'opinion, raisonnent depuis un demi-siècle en considérant les délires, les préjugés, les clichés, les partis pris, les sectarismes, les slogans, et par-dessus tout les ignorances de mai 1968.
Occupant les premiers rangs dans cette fonction de décervellement, les trois quarts des journalistes en rajoutent singulièrement par rapport à la réalité sociale du pays. Alimentés par l'AFP, ils reproduisent, en général, de façon mimétique les prévisions de grève, comme si unanimement les salariés suivaient les consignes des bureaucraties syndicales.
Ce 3 mai, un peu par hasard, désœuvrement coupable, avouons-le, je regardai le journal de 20 heures présenté par l'insupportable Pujadas. Évoquant le Front populaire de 1936, ce spiqueur caractérisait ainsi le gouvernement constitué autour de Léon Blum, "communistes, qu'il osait placer en tête, socialistes et radicaux". Et d'enchaîner par l'une des fameuses conquêtes sociales de l'époque : les congés payés, certainement l'une de ces avancées auxquelles les Français sont le plus attachés.
Y associer les communistes ne doit pas être regardé comme un lapsus mais comme un de ces détours mémoriels par lesquels on s'efforce de nous empêcher de comprendre à la fois notre histoire récente et notre société.
Rappelons au besoin à M. Pujadas qu'aucun communiste ne figurait dans l'équipe ministérielle de 1936, le parti ayant choisi le "soutien sans participation", quelques années à peine après que Louis Aragon ait lancé son fameux mot d'ordre "feu sur le Blum".
On doit donc bien se représenter que Thorez et les communistes, entre 1936 et 1938, ont appliqué les consignes du Komintern stalinien, comme ils ont continué de le faire en 1939 et 1940 quand le Kremlin mit en place son alliance avec le Reich hitlérien, etc. Sans doute les députés communistes n'ont-ils pas voté contre la loi des congés payés, contre les accords de Matignon, contre la semaine de 40 heures, etc. Ils soutinrent alors un gouvernement socialiste auquel étaient associés les radicaux. Mais ils n'éprouvaient aucune sympathie pour la SFIO en général, ni pour Léon Blum en particulier. Pour eux il s'agissait de "sociaux traîtres". Raccorder rétrospectivement au parti communiste, ce que le Front Populaire a pu apporter de progrès social, c'est donc plus qu'une erreur, c'est une faute, une faute volontaire. Commise par Pujadas c'est une faute supplémentaire.
Pour réfuter ce que Pujadas entendait suggérer, mes lecteurs me pardonneront, j'espère, d'emprunter longuement à une chronique de qualité, publiée par Charles Haegen dans le journal alsacien l'Ami-hebdo daté du 15 mai. (1)
Certes, écrit-il, la loi promulguée le 20 juin 1936 institue effectivement deux semaines de congés payés. Et pourtant, souligne Jacques Marseille, "ces fameux congés payés, qui constituent la plus symbolique des avancées sociales permises par le Front populaire ne figuraient même pas à son programme".
Et précise : "Alors que plusieurs pays étrangers avaient fait inscrire ce droit dans leur législation (l’Allemagne dès 1905, l’Autriche-Hongrie, le Danemark et la Norvège dès 1910, la Finlande, l’Italie, la Tchécoslovaquie, la Pologne entre 1919 et 1925, le Luxembourg, la Grèce, la Roumanie, le Chili, le Mexique, l’Espagne, la Suède, le Pérou, le Brésil et le Portugal entre 1926 et 1934), les ouvriers français et leurs représentants ne semblaient guère convaincus de son intérêt."
Preuve, selon Jacques Marseille : "Ainsi, le 26 décembre 1925, un cahier de revendications établi pour l’entreprise Citroën, lors d’une réunion présidée par Maurice Thorez, secrétaire général du Parti communiste, l’élimine de ses exigences, le jugeant illusoire. Toujours chez Citroën, au cours de la longue grève du 29 mars au 5 mai 1933, les revendications des travailleurs concernent toutes les lois sociales qui seront octroyées en 1936, à l’exception des congés payés. En avril 1935, le cahier rédigé par les ouvriers de Renault ne cite quant à lui les 'vacances payées' qu’au onzième rang, derrière un garage pour les bicyclettes." Jacques Marseille poursuit sa démonstration en relevant que "le programme électoral du Rassemblement populaire, publié le 11 janvier 1936, comme les premiers textes de la CGT réunifiée, ne les mentionne même pas".
Voila en effet la conclusion de Jacques Marseille : "Cette revendication apparaît plutôt comme le projet philanthropique et hygiéniste d’une élite réformatrice rassemblant syndicalistes chrétiens, hauts fonctionnaires et chefs d’entreprise paternalistes, tels ceux d’Alsace et de Lorraine où près de deux tiers des entreprises accordent déjà des congés annuels à leurs ouvriers."
Depuis le dernier congrès de la CGT, il apparaît clairement que la nouvelle direction de cette centrale a fait le choix d'une démarche qui relève du gauchisme politique en s'engouffrant de façon désastreuse dans la lutte contre la Loi Travail El Khomri.
La manière jusqu'auboutiste avec laquelle la vieille centrale s'est investie dans cette campagne laissera des traces, alors même que la CGT reconnaît ne représenter que 2,6% des salariés français et qu'elle peine face à la concurrence des syndicats réformistes.