Le colonel Michel Goya explique en quoi les annonces présidentielles ne sont pas sérieuses et ne relèvent que de la communication électoraliste :
"Il existe fondamentalement deux approches du rôle des citoyens dans la défense de la nation. La première, reprenant la vieille équivalence tribale entre homme libre et guerrier, considère que la guerre est l’affaire de tous, au moins de ceux qui ont quelque chose à défendre. La seconde estime au contraire qu’il s’agit d’un monopole d’Etat assuré par ses services professionnels. Hormis les volontaires pour intégrer ces services, les citoyens sont démilitarisés et contribuent indirectement à la défense par le biais de l’impôt. La France relève plutôt de cette deuxième tradition (...)
Et voilà maintenant que l’on se pose quelques questions en constatant les limites opérationnelles, sécuritaires et même sociales de ce modèle alors que nous sommes en guerre contre les organisations djihadistes. On pourrait se demander pourquoi avec un budget annuel de 31 milliards d’euros et 209 000 militaires, nous avons un impact aussi limité sur des organisations de quelques dizaines de milliers de combattants légèrement armés. On préfère s’interroger sur la densité de protection des sites et des personnes en métropole. Pour (...) résoudre ce problème, le Président de la République lance un appel à l’engagement dans les réserves opérationnelles et évoque même le retour à une garde nationale. Tout cela ne paraît pas pour l’instant pas très sérieux, si on appelle sérieux quelque chose à la hauteur de ce que l’on annonce. Cette « levée en masse » est très probablement une levée en masse en plastique.
Rappelons-le, il y a deux manières de faire la guerre : avec les moyens actuels ou en mobilisant massivement de nouvelles forces. Dans le premier cas, on considère que le rapport de forces est suffisant pour ne pas avoir à changer notre modèle, hors quelques ajustements, et donc par voie de conséquence la société. Dans le second, on considère qu’on ne pourra l’emporter sans monter grandement en puissance et se transformer.Nous sommes actuellement dans le premier cas mais avec un discours qui laisse croire que nous sommes dans le second. On fait semblant de tout changer pour que rien ne change vraiment. Si l’ambition est d’augmenter le budget des réserves de quelques dizaines de millions d’euros (l’opération Sentinelle coûte à elle seule trois fois le budget des réserves militaires) et de faire passer, en 2019, le nombre de réservistes présents chaque jour sur le terrain ou dans les états-majors de 500 à 1000,il ne s’agira que de l’augmentation de la taille de la goutte d’eau.
Maintenant si l’objectif est d’assurer une capacité de réaction en quelques minutes, voire quelques secondes, sur toute attaque sur le territoire national, alors il faut changer radicalement de regard sur le rôle des citoyens dans la défense de la cité. On peut accélérer les procédures des unités d’intervention et en augmenter le volume, cela restera forcément insuffisant. La seule solution est d’augmenter considérablement le nombre de citoyens armés (et évidemment compétents) et donc, le maître mot est là, de leur faire confiance, ce qui va à l’encontre des habitudes françaises. Cela passe par un meilleur équipement de tous les policiers et gendarmes, sans doute aussi par une meilleure formation au tir. Cela passe forcément par l’emploi d’agents de sécurité armés. Cela passe enfin par l’autorisation du port d’armes à tous ceux qui présentent des garanties de compétence et de fiabilité.
En regardant une plage du Sud-Ouest de la France cet été, je n’ai pas pu m’empêcher de constater qu’il n’y avait strictement rien (ou alors c'était bien dissimulé) qui pourrait couper court à une attaque du type de celle de la plage tunisienne de Sousse en juin 2015 (et là pas d’excuse de la surprise, cela a déjà été fait). Dans le secteur, nous étions sans doute un certain nombre à avoir l’expérience du combat sans avoir le droit de porter une arme (...). Pourquoi donc ne pas accorder cette autorisation de porter et d'utiliser des armes, outre les policiers et gendarmes hors service, aux militaires en activité ou membre de la réserve opérationnelle n°1 et même n°2 (les « rappelables », 98 000 anciens soldats et 28 000 gendarmes) et au-delà. On m’a fait confiance pendant des dizaines d’années avant de me la retirer d’un seul coup. Je suis même prêt, dans l’esprit des citoyens romains, à payer moi-même mon équipement. On évoque le cas d’Israël mais il y a dans ce pays, un civil adulte sur dix qui dispose d’une autorisation de port d’armes.
Tout cela a bien sûr un coût, pas forcément très important pour l’Etat, l’appel aux citoyens volontaires et motivés étant toujours historiquement la formule du meilleur rapport coût/efficacité. Bien sûr, il y aura sûrement quelques accidents, pertes et vols d’armes, voire des meurtres (dont la plupart aurait eu lieu de toute façon, avec ou sans arme à feu). On tolère bien cela avec les armes de chasse (car paradoxalement du fait de la chasse la France est aussi un des pays au monde où on tolère le plus d’armes à feu par habitant), pourquoi ne le tolère pas pour assurer la sécurité ? Parce que nous sommes prisonniers de la méfiance de l’Etat envers les citoyens. Il ne s'agit pas de laisser s'armer n'importe qui comme aux Etats-Unis avec les résultats que l'on connait mais de faire confiance envers des citoyens à la compétence reconnue et contrôlée. Précisons que cette compétence, qui induit la capacité à tuer au milieu d'une situation complexe, va bien au-delà de la simple technique de tir. Encore une fois, on peut considérer que la menace est mineure et gérable. La guerre fait finalement moins de morts que la moyenne annuelle de 800 meurtres. Dans ce cas-là, on continue à lentement améliorer les choses sans rien changer fondamentalement. La réduction du déficit budgétaire reste prioritaire sur la guerre. C'est un choix possible, qu'il faut assumer.
Maintenant, si on souhaite effectivement comme l’a promis le Président de la République « mettre en oeuvre tous les moyens pour détruire l'armée des fanatiques » alors il faut accorder les actes aux paroles, et pas simplement changer les mots lorsqu’on ne veut pas changer les choses."
par Philippe Carhon