Lorsque nous avions publié notre enquête Faut-il se libérer du libéralisme ? (1), un lecteur nous avait reproché de nous polariser sur cette question et ainsi d’en oublier le problème, bien plus grave à ses yeux, de l’islam en France. Curieuse réaction, comme s’il n’y avait qu’un seul sujet préoccupant, comme si une société comme la nôtre ne pouvait pas être menacée de multiples façons !
J’évoque cette réaction, car la lecture du dernier essai de Christophe Guilluy, Le crépuscule de la France d’en haut (2), montre indirectement que ces deux problèmes sont liés à maints égards ; indirectement, car l’auteur aborde peu le problème de l’islam, mais il est omniprésent en filigrane, notamment à travers sa dénonciation du multiculturalisme. L’islam, en effet, ne s’est développé en France et en Europe que par l’arrivée massive d’immigrés musulmans depuis quarante ans environ ; et l’immigration, main-d’œuvre bon marché, est elle-même la conséquence d’une politique délibérée souhaitée par le patronat et rendue possible à grande échelle par la prégnance de l’idéologie libérale qui anime le grand mouvement de mondialisation qui s’est développé dans le même temps.
Que dit Christophe Guilluy ? « Le modèle mondialisé accouche d’une société banalement multiculturelle. Une société travaillée par ses tensions et ses paranoïas identitaires, ses logiques séparatistes, ses ségrégations spatiales, parfois ses émeutes ethniques, en quelque sorte une société “américaine” comme les autres. Mais pouvait-il en être autrement ? Le rouleau compresseur de la mondialisation, les abandons successifs de souveraineté et le choix de l’immigration par le grand patronat ont mis fin au modèle assimilationniste républicain. »
La mondialisation accompagnée d’une idéologie de l’« ouverture » et du sans-frontière profite à ce que Christophe Guilluy appelle « la France d’en haut », essentiellement les habitants les mieux formés des grandes métropoles, les perdants étant la « France périphérique », près de 60 % de la population qui se concentre dans le rural et les villes petites et moyennes (le périurbain). Cette « France d’en haut » qui détient tous les pouvoirs – politique, médiatique, économique – ne cesse de vanter les bienfaits de la mondialisation et de la société multiculturelle, tout en pratiquant elle-même un « grégarisme social » qui érige en fait des frontières invisibles.& 8200 ;Ainsi est-elle protégée de cette évolution qui aligne la France sur les normes libérales et inégalitaires des sociétés anglo-saxonnes : en termes de territoires (par sa concentration dans les grandes métropoles économiquement dynamiques), de logements (phénomène de la « gentrification »), d’emplois, de scolarité… [....]
Christophe Geffroy
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