Dans une tribune du journal de gauche La Croix, « Marc Leboucher, éditeur et écrivain, réagit à l’intervention des évêques de France dans le débat politique. » Nous ne reviendrons pas sur un texte auquel nous avons consacré notre dernier éditorial, sans avoir pu, il est vrai, le décortiquer autant que nous l’aurions voulu, dans le nombre de signes qui nous est imparti. C’est la règle. Peut-être conviendra-t-il d’y revenir.
Ce qu’a fait Gérard Leclerc, dans sa chronique de France Catholique du mardi 25 octobre, dans laquelle, se disant favorable à « un vrai débat dans l’Eglise », il souligne : « Nous aurions tout à perdre d’ignorer des objections légitimes, dont le déni pourrait déstabiliser durablement l’Église de France. »
Le déni, en revanche, qualifie les propos très politiquement corrects de Marc Leboucher dont le papier sirupeux a dû aller droit au cœur des auteurs de l’opuscule épiscopal, sans rappeler justement – c’est un premier déni – que ce texte n’est pas le fait de l’ensemble de nos évêques, voire de la totalité de la commission permanente. Là encore, le pays légal, voire une partie de celui-ci, ne fait que parler au nom du pays réel, sans lui avoir demandé son avis.
Quel est, en cet automne 2016, le principal objet de crainte de Marc Leboucher ? Ni les effets d’une immigration incontrôlée, ni l’émergence d’une société multiconflictuelle, ni bien sûr le chômage ou l’insécurité – un phénomène du reste bien exagéré d’après les rédacteurs épiscopaux de l’opuscule publié au nom de la Conférence des évêques de France. Non, pour Marc Leboucher, « il n’est sans doute pas inutile de s’inquiéter d’un regain néo-maurrassien ». Et d’ajouter : la « proximité de certains chrétiens avec le marxisme n’a jamais eu de véritable impact sur le vote des catholiques pratiquants, resté très largement à droite. Plus forte et infiniment plus prégnante en revanche a bel et bien été la connivence avec l’Action française au début du XXème siècle, qui avait séduit une large part des évêques et des curés de France au point de déclencher l’intervention d’un pape. » Et de conclure ainsi ce point : « Bien sûr, la société a changé et Marine Le Pen n’est pas le clone de Charles Maurras mais il n’empêche, le regretté René Rémond n’est plus là pour le dire, les sensibilités et les courants politiques ont souvent la vie dure. Il n’est sans doute pas inutile de s’inquiéter actuellement d’un regain néo-maurrassien qui prend des formes nouvelles. »
Marc Leboucher récrit, pour la relativiser, voire l’affaiblir, l’influence réelle de la gauche marxiste ou marxisante sur l’Eglise de France, son clergé et ses fidèles durant une longue période qui est allée de la « main tendue » de Thorez en 1936 jusqu’à la fin des années 70, où cette influence a connu sa plus forte influence, comme précisément, outre la désertification croissante des églises, le prouve le texte de la commission permanente, écrite par des évêques qui ont été formés à la fin de cette période par des maîtres qui, trop souvent, avaient eux-mêmes partagé l’illusion progressiste. D’autant que, dans son aveuglement théocratique, Pie XI ayant condamné l’Action française en 1926 comme le rappelle l’auteur de la tribune, celle-ci ne pouvait plus jouer le rôle de garde-fou qui était le sien depuis sa naissance, face notamment au démocratisme chrétien doctrinalement condamné par saint Pie X mais, de fait, toujours vivace dans l’Eglise.
Que Marine Le Pen ne soit pas le « clone » de Charles Maurras, c’est un des rares points sur lequel nous tomberons tout à fait d’accord avec Marc Leboucher et, nous n’en doutons pas, avec la présidente du parti frontiste elle-même. Hélas ! serions-nous tenter d’ajouter. Mais que l’influence de l’Action française se fasse de nouveau de plus en plus ouvertement sentir est un fait politique et intellectuel que tous les observateurs partagent. Que ceux qui appartiennent au système médiatique ne puissent plus le taire, pour, bien sûr, le regretter ou le dénoncer, est bien l’indice que nous sommes arrivés à un tournant. Il est même intéressant de noter que la seule mouvance à le nier, voire, dans son complexe obsidional, à le craindre secrètement, soit la mouvance républicaine dite nationale, dont la baudruche électoraliste du « ni droite ni gauche » pourrait, au printemps prochain, se dégonfler sévèrement.
Mais qu’on ne s’y trompe pas : si la société prend aujourd’hui un tournant qu’on peut effectivement qualifier de néo-maurrassien, il ne saurait être pour nous question d’accepter de le voir réduire à la caricature que les nouveaux chiens de garde du système oligarchique veulent en donner. Ni « obsession identitaire », mais l’affirmation déterminée d’un héritage et d’une civilisation propres. Ni « thématique du déclin » : car si nous constatons les menaces, les désordres, voire les régressions qui affectent notre société et notre pays, ce n’est pas, nous qui avons appris à ne pas désespérer en politique, pour penser en termes de « déclin ». En revanche, que ce soit dans un journal catho de gauche qu’on puisse se gausser ouvertement, parlant des Français dans leur ensemble, « de notre focalisation sur l’histoire française, ses grandes figures, ses rois très chrétiens, ses batailles et son terroir à coup de commémoration ou de longues émissions télévisées. Ainsi de notre invocation si souvent incantatoire de nos "racines chrétiennes" », sans s’interroger en profondeur sur leur réalité historique » n’est pas pour nous étonner. Le progressisme, surtout s’il se pique d’éthique droit-de-l’hommiste sur fond d’idéologie mondialiste, repose sur le déni de réalité. N’est-ce pas Mgr Pontier qui réaffirmait en substance, dans son récent entretien dans Le Monde, que la France avait toujours été une terre d’immigration ? Ce qui est à la fois commettre une erreur historique, du moins avant les quarante dernières années, et amalgamer des immigrations qui n’ont rien à voir entre elles ni quantitativement ni qualitativement, puisque les vagues précédentes, très modestes, n’avaient eu aucune implication en termes d’identité. Après avoir confondu « l’espérance chrétienne avec l’attente du Grand Soir » (dixit Marc Leboucher), voilà que certains de nos évêques incurablement angéliques, et leurs groupies au discours convenu, la confondent aujourd’hui avec le village planétaire. L’aveuglement est le même. Que les conséquences nous en soient cette fois épargnées.
Avec saint Jean-Paul II, nous préférons faire confiance à ces « grandes institutrices des peuples » (Discours à l’ONU de 1980) que sont des nations ancrées dans leurs traditions et leurs racines, surtout si elles sont chrétiennes. Un pape qui ne s’interrogeait pas sur la « réalité historique » de ces racines, lorsqu’il demandait aux Français, tout en connaissant la réponse, au Bourget, en cette même année 1980 : « France, fille aînée de l’Eglise, es-tu fidèle aux promesses de ton baptême ? » Je ne sache pas, du reste, que Rémi Brague, convoqué malgré lui dans l’affaire, ait jamais prétendu que Jean-Paul II avait fini par « se planter ».
François Marcilhac
http://www.actionfrancaise.net/craf/?SUR-UN-REGAIN-NEOMAURRASSIEN