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Il n’y aura pas de refondation politique de la droite sans refondation idéologique

Dans un entretien au Figaro, l’essayiste québécois Mathieu Bock-Côté déclare :

"Dans Le JDD, Xavier Bertrand a dénoncé la «dérive identitaire» de la droite et de Laurent Wauquiez. Le débat s’est trop concentré sur «la France identitaire», affirme-t-il. Partagez-vous ce constat?

Il fallait s’y attendre: la pression idéologique et médiatique contre ce qu’on pourrait appeler la question identitaire n’a jamais cessé, et ceux qui veulent avoir une place avantageuse dans le système médiatique ont tout avantage à partager cette vision des choses. Qui dénonce la dérive identitaire s’assure d’une place enviable dans la grande famille des respectables. Il faut faire attention au vocabulaire: qu’est-ce qu’une dérive identitaire, sinon la manière qu’a la gauche de parler de toute tentative de renouer avec une définition un peu substantielle de la nation française en réintroduisant dans la citoyenneté les mœurs, la culture, le mode de vie, la mémoire? On réduit alors la question identitaire à une forme de xénophobie ne disant pas son nom. Le terme même de dérive est porteur: il présuppose un éloignement du courant central de la démocratie. Il y aurait quelque chose de fondamentalement suspect avec le désir de réenracinement des peuples: on ne veut y voir qu’un repli sur soi, une fermeture à l’autre, une crispation frileuse devant une époque qui nous invite plutôt à embrasser la mondialisation.

Xavier Bertrand, qui n’est pas un homme sans valeur, et qui revendique sa filiation avec Philippe Séguin, tombe ici dans un piège idéologique. C’est celui dans lequel la droite tombe régulièrement depuis plusieurs décennies, soit la tentation de se soumettre aux critères de respectabilité idéologique qui viennent du camp d’en face. On accepte à l’avance qu’il y aurait des sujets sulfureux: alors on s’en éloigne et on les concède à ceux qui voudront bien s’en emparer. Mais qui détermine si un sujet est sulfureux ou non? D’une génération à l’autre, on cède toujours plus de terrain. C’est une erreur: jamais la droite ne sera assez respectable pour la gauche. Toujours, elle devra donner de nouveaux gages. Mais jamais, elle n’en fera assez. Et toujours, elle s’inhibera un peu plus. À terme, elle se coupe de ses électeurs qui eux résistent plus spontanément au politiquement correct. Ils seront tentés d’aller voir ailleurs si on s’intéresse à eux. C’est une histoire que nous connaissons bien.

La question de l’identité est-elle un «faux débat» comme le suggère Bertrand ou une angoisse réelle qui traverse la société française?

Il faut un certain culot pour décréter que la question identitaire est un faux débat, alors qu’elle canalise une angoisse de dépossession partout présente en Occident, et qui transforme en profondeur la vie politique. Qu’on le veuille ou non, la peur de devenir étranger chez soi hante notre époque et elle n’a rien d’une panique identitaire, pour reprendre le dernier slogan à la mode qu’on veut nous faire prendre pour un concept. Elle est fondée. Une certaine sociologie militante entend pourtant faire barrage au réel: pour elle, la question identitaire ne serait qu’une thématique propre à l’extrême droite, comme on le dit dans la novlangue progressiste. Autrement dit, celui qui aborde cette question ne s’intéresse pas aux inquiétudes qui façonnent la société contemporaine non plus qu’aux effets terribles de la décomposition culturelle d’une communauté politique: il signe son allégeance au camp des proscrits, ceux dont on ne parle qu’en nous mettant en garde contre eux. Il faut pourtant revenir aux choses simples: une société qui voit ses grands symboles historiques discrédités, qui pousse l’hétérogénéité identitaire jusqu’à l’éclatement culturel, qui voit ses mœurs moquées et même agressées, qui connaît une mutation démographique significative, qui voit ses frontières moquées, qui voit sa souveraineté de plus en plus corsetée, est en droit de se questionner sur son identité et sur les transformations de ce qu’on appellera son être historique. Le système médiatique est parvenu à neutraliser politiquement cette question ces derniers mois, à la chasser de la présidentielle, mais elle resurgira. En fait, elle resurgit déjà.

Xavier Bertrand s’en prend également à Sens commun. Est-ce la droite conservatrice qui est visée?

À chaque défaite, il faut un bouc émissaire. En 2012, c’était Patrick Buisson. On l’a pendu sur la place publique. On l’a transformé en théoricien méphistophélique qui se serait infiltré au cœur du pouvoir pour faire basculer la France du mauvais côté de la force, en libérant les puissances obscures de l’identité. Il suffisait de le bannir pour que la droite lave sa réputation, à condition de ne plus recommencer. C’est ce qu’on pourrait appeler la théorie du complot vu de gauche. En 2017, c’était le tour de Sens commun, qu’on a caricaturé en mafia intégriste catholique prenant d’assaut la droite pour la soumettre à une entreprise de reconfessionnalisation de la France. Il fallait lui faire porter la responsabilité de la défaite. C’était même le bouc émissaire idéal: c’était une force militante jeune et sans leaders connus. Encore une fois, c’est la tentation de la purge qui s’exprime. On veut éliminer de la droite sa part médiatiquement infréquentable. Sauf qu’il suffit de porter attention à Sens commun pour constater que cette caricature est grossière et je me demande si ceux qui se livrent à de telles accusations y croient vraiment. On peut parfaitement être en désaccord avec Sens commun ou du moins, avec certaines parties de son programme, sans sentir le besoin de diaboliser ce mouvement, qui est aussi un vecteur de mobilisation politique pour la jeune génération. Cette jeune génération entre en politique en contestant le matérialisme ambiant et l’économicisme des générations précédentes. Elle souhaite investir des préoccupations nouvelles dans la démocratie française. Il semble bien que pour certains, ce soit impardonnable.

À travers ce mouvement, est-ce la droite conservatrice qui est visée?

Naturellement. On ne la laisse plus se définir elle-même: on la caricature, on lui prête des idées qui ne sont pas les siennes. On croit aussi lui déceler des arrière-pensées inavouables. S’il faut liquider le conservatisme et le priver de toute légitimité politique, c’est qu’on souhaite ramener la droite dans le périmètre de la respectabilité médiatique: on la souhaite gestionnaire, modérément libérale, passionnément comptable. Elle ne doit jamais remettre en question les finalités de la gauche mais seulement marcher moins vite qu’elle, comme si elle réclamait seulement le droit d’être progressiste à son propre rythme. Une bonne partie de la droite, et probablement une part dominante de ses élites, adhère à l’imaginaire du progressisme et souhaite y adhérer officiellement, d’autant qu’avec Macron il s’est affranchi, du moins pour un temps, du folklore socialiste.

Cet entretien annonce le retour de la guerre des chefs à la veille de l’élection du nouveau président des Républicains. La refondation idéologique doit-elle précéder cette élection?

Alors disons-le clairement: il n’y aura pas de refondation politique de la droite sans refondation idéologique. Le travail intellectuel des dernières années n’a connu qu’une traduction politique bien partielle – évidemment, ce travail intellectuel, qui est bien amorcé philosophiquement, devra tenir compte des nouvelles circonstances, la macronie n’est pas la hollandie. Cela dit, il n’est pas certain qu’on puisse dissocier la refondation idéologique de la droite du renouveau de son leadership: en politique, les idées s’incarnent, elles doivent être portées par ceux qui sont à la conquête du pouvoir. On imagine mal un parti décider d’une doctrine pour ensuite demander à celui qui portera ses couleurs de simplement s’en emparer.

Quels doivent être les principaux chantiers d’éventuels futurs «états généraux» de la droite?

La droite doit manifestement, à chaque élection, se questionner sur l’essentiel: qui est-elle? A-t-elle une identité politique propre ou n’est-elle qu’une non-gauche? A-t-elle son propre imaginaire, son propre univers de référence? A-t-elle sa propre idée de l’homme? Elle devra répondre à ces questions. [...]"

Michel Janva

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