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Zéro pesticide, travail collaboratif, permaculture : le pari réussi d’un collectif de vignerons anonyme

Que cache ce « collectif anonyme » de vignerons ? Une joyeuse bande qui opère, depuis quelques années dans les Pyrénées-Orientales, une petite révolution dans le monde viticole français. Vignerons et vigneronnes adeptes du bio y expérimentent un mode de production alternatif, depuis la taille de la vigne jusqu’à la mise en bouteille. La philosophie de ce « collectif anonyme », soucieux de ne pas attirer l’attention sur le travail d’une seule et unique personne : utiliser le savoir-faire traditionnel, la permaculture, et leurs propres essais afin de produire des vins de qualité. 
Au fond d’une impasse de Port-Vendres, dans les Pyrénées-Orientales, deux portes bleues marines. Aucun signe distinctif si ce n’est un gros van noir sur lequel est apposé le logo du collectif anonyme, un tire-bouchon limonadier semi-ouvert qui vient rappeler le « A » de « anarchie ». Tout est calme. Loin de l’agitation de la veille, quand Kris et ses deux partenaires, Julia et Jackie, ont mis en bouteille les 650 litres de leur millésime 2015 de grenache gris et blanc, soit plus de 800 bouteilles. A l’intérieur de l’ancien garage dont les murs ont été repeints à la chaux et les poutres à l’huile de lin, on est indéniablement dans un chai. Et plutôt atypique. Dans une des pièces, on trouve une machine pour le triage des grappes à la main, un pressoir à grains activé par une bicyclette fixée au sol, des barriques en chêne, et quelques-unes en plastique. 
Dans une autre, encore des cuves et des barriques, ainsi qu’un petit bureau. Le matériel a été acquis sur des sites d’occasion. Dans la chambre froide, les cartons de commandes sont prêts à l’envoi, partout « où les gens ont de l’argent et ont soif » plaisante Kris, un des membres du collectif. Nul besoin de négocier avec une grande surface ou une enseigne de cavistes : leur production s’écoule entièrement grâce au bouche à oreille et aux réseaux sociaux. 
Entretien sans pesticides, récolte et pressage à la main 
Le collectif anonyme est un groupement d’intérêt économique (GIE) qui produit du vin naturel (ou vin nature) depuis 2012. Il est propriétaire d’une partie des 10,5 hectares de vignes qu’il cultive, certains en métayage, d’autres en fermage. En 2014, ils ont bénéficié d’une aide à l’installation. Kris a le statut d’exploitant agricole, Julia et Jackie sont cotisants solidaires. Les vignobles, achetés grâce à l’argent qu’ils ont gagné en travaillant pour d’autres vignerons, sont tous en coteaux. Dispersés autour de Banyuls, surplombant la Méditerranée, ils sont naturellement protégés du vent local, la tramontane. Ils ont aussi été choisis méticuleusement, car le relief qui empêche toute mécanisation sied à la philosophie du groupe : vendanges manuelles, transport en hottes, pressage à la main. 
Le sol schisteux, caractéristique de la région, plutôt riche bien que légèrement acide, et les ceps de vieilles vignes sont protégés de l’érosion par le « gazon », des herbacées que le collectif laisse volontairement pousser. Ils désherbent une à deux fois par an afin de maintenir cet humus protecteur. « Nous avons semé du trèfle souterrain pour en faire un couvre-sol, mais nous avons finalement décidé de travailler avec des herbes graminées naturelles et locales. Elles meurent en été, ne sont pas très hautes et concurrencent efficacement l’espace aux plantes invasives », explique Kris. En yourte ou en caravane, c’est au milieu de leurs vignes qu’ils habitent, afin de limiter les coûts et leur consommation énergétique. 
« Trouver la meilleure manière d’exprimer les raisins » 
Il fait 16°C en ce jour d’automne. La brise maritime caresse les pieds de grenache noir, gris et blanc, de carignan, de syrah et mourvèdre. Pour cultiver ces cépages, le collectif s’est lancé dans le « bio-scientifique ». « Nous utilisons un bricolage de permaculture, de biodynamie et de pratiques traditionnelles pour trouver la meilleure façon d’exprimer nos raisins. Mieux vaut ne pas être trop spécifique et beaucoup expérimenter. » Ils ont essayé de faire pousser des cultures vivrières – pois chiches, pommes de terre et carottes – entre les vignes afin d’étudier les relations que différentes plantes établissent entre elles, de manière à s’entraider. « C’était une belle expérience » nous dit Kris, mais cela « représentait trop de travail à réaliser sérieusement et à grande échelle. On a dû laisser tomber ». 
En conversion depuis cinq ans, leurs vignobles n’ont depuis connu aucun pesticide. Contre les prédateurs naturels de la vigne, tel que l’oïdium, le collectif utilise du soufre, du Fenugrec, de la Prêle des champs – qui pousse naturellement près d’une source sur une des parcelles – en bouillie, du limonène contre les termites, du bicarbonate de potassium et parfois, juste sur les pieds de carignan, un peu de bouillie bordelaise. L’équipe s’attache à marcher très régulièrement dans les vignes afin d’observer la bonne croissance des plants. Ils contrôlent aussi la canopée. La pré-taille a commencé le 1er décembre, la taille débutera en début d’année 2017. Entretemps, les vignerons en profitent pour aller dans des salons de vin nature, comme la « Raw Wine Fair » de Berlin. 
« Apprendre en faisant » 
Le collectif propose des vins tranquilles de qualité. Un « vin de niche », une micro-cuvée « 100 % manuelle, artisanale, bio et collaborative » précise Kris. Contrairement à la plupart des producteurs de vin nature, le collectif s’autorise une infime quantité de sulfites : « Nous n’aimons pas les vins aériens, trop homogènes. Nous aimons qu’il y ait du corps et de la diversité. Nous sommes doublement des moutons noirs ! » ajoute-il en souriant – « Mouton noir » étant le nom donné à l’un de leurs millésimes de rouge. « Par rapport aux vignerons conventionnels, pour des raisons évidentes, mais aussi pour ceux qui produisent du vin nature, car lorsque cela nous semble nécessaire pour des raisons gustatives, nous ajoutons une petite dose de sulfites et nous ne faisons pas de macération carbonique. Cela demande du travail, de surveiller le vin, mais un petit peu d’oxydation leur donne de la structure. » Le collectif travaille sans œnologue : « Nous ne voulons pas imiter, mais suivre nos envies. » 
Anarchistes revendiqués, de par leur formation militante et leurs parcours entre l’Australie, l’Allemagne, la Grande-Bretagne et la France, ils ont « appris en faisant ». Les membres du collectif précisent qu’ils sont « anonymes » parce que leurs vins et leurs pratiques les représentent tous et toutes et que leur « structure collaborative » les protège « contre les hiérarchies et le patriarcat ». Devenus vignerons par « accident », ils ont préféré l’autogestion plutôt « que de continuer à travailler pour quelqu’un d’autre ». Les noms de leurs vins – « Beau Oui comme Bowie », un Collioure rouge, 90% syrah-10% grenache, ou « Redrum », 80% grenache-20% carignan – inspirés par leurs goûts cinématographiques ou musicaux, ont été choisis collectivement. Ils dessinent aussi leurs étiquettes. « Le vin pour nous, c’est un produit complet, comme un objet d’art. Pour une bouteille entre 18 et 22 euros, celui ou celle qui boit notre vin mérite quelque chose de beau ! », s’enthousiasme Kris au moment de la dégustation. Pour le Collectif anonyme, fabriquer du vin, dans ces conditions, c’est « le meilleur métier du monde ! »

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