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« La partitocratie est à bout de souffle »

Entretien avec François Bousquet

François Bousquet est le biographe et, en quelque sorte comme tel, l'un des porte-parole de Patrick Buisson. Il explique ici, avec la fougue et le talent d'un grand journaliste, ce qu'est aujourd'hui la ligne socio-conservatrice de l'ancien conseiller de Nicolas Sarkozy.

Premier enseignement de ce scrutin l'effondrement de l'hégémonie des deux vieilles maisons.

Quel bilan tirer de la campagne présidentielle et du processus de recomposition qu'elle a engagé ?

Il est encore trop tôt pour s'aventurer à pronostiquer la forme que prendra ce processus de décomposition-recomposition, à moins de lire dans les entrailles du corps électoral. Néanmoins, on peut déjà tirer le bilan d'une présidentielle qui aura contribué comme jamais à décanter le paysage politique.

Premier constat l'échec redondant des sortants, des primaires et des structures partisanes classiques. De fait, la partitocratie est à bout de souffle. Les apparatchiks qu'elle produit à la chaîne, à l'aise dans les jeux d'appareil et le démarchage électoral, pourraient tout aussi bien vendre des piscines ou des robots mixeurs, en y mettant la même absence de conviction. Résultat le monopole des partis sur l'offre politique semble avoir atteint ses limites, comme naguère les syndicats. Les deux partis centraux qui dominaient la vie politique depuis presque un demi-siècle ont été pour la première fois évincés du second tour. L'un est pour ainsi dire en état de mort cérébrale, l'autre, moribond. Mais ils ne sont morts que pour autant qu'ils ont fusionné. Désormais, l'UMPS n'est plus une figure de style, c'est une réalité politique le macronisme. Cela faisait longtemps que les convergences idéologiques poussaient le PS dans les bras des LR, et réciproquement. Mais il n'y avait pas de passage à l'acte, principalement pour des raisons de clientélisme électoral, dont Macron n'avait que faire lui devait bâtir une force nouvelle. Il a donc fait ce que les élites post-nationales rêvaient d'accomplir depuis Delors accoucher d'une grande coalition, sur le modèle des coalitions à l'allemande. C'est la réponse à la montée des populismes, enfermés dans un isolement sans issue, faute d'alliances.

Mais Macron est loin d'avoir achevé ce processus de décomposition-recomposition...

Macron a été quasi divinisé comme les empereurs romains, le « président jupitérien ». On conviendra que c'est exagéré. Il n'empêche : il est déjà un grand stratège, maître dans l'art du Blitzkrieg, la guerre éclair. Son calcul est en passe de réussir scinder en deux les LR, pour annexer le centre et les juppéistes, et renvoyer le solde à la bordure du FN. Après avoir annihilé la gauche, il est donc en train de piéger la droite en l'asséchant H pourrait reprendre à son compte le mot du conseiller diplomatique de Gorbatchev aux Américains « Nous allons vous faire lapin des choses, nous allons vous priver d'ennemi. » Macron n'a pas fait autre chose en vampirisant la droite ex-gouvernementale. Elle n'a plus rien à lui opposer, sinon des slogans creux et des chicanes picrocholines - mieux vaut-il augmenter la CSG (Macron) ou la TVA (Fillon) ? En se positionnant essentiellement sur le terrain de l'économisme, les LR ont nourri l'idée d'une convergence économique possible avec le PS. C'est cette convergence qui a permis à Macron de débaucher aussi facilement Edouard Philippe, Le Maire et Darmanin, privant les LR d'angles d'attaque.

Dans ces conditions, quel avenir pour les LR ?

Si, à travers Macron, les deux libéralismes, économique et culturel, confluent, il en va tout différemment des LR. Zemmour a souvent fait remarquer que Chirac et Juppé avaient créé l'UMP avec les cadres du RPR, mais pour épouser les idées de l'UDF. Tout le problème, c'est qu'une bonne partie des électeurs, du moins ceux de l'ex-RPR, ont épousé les idées du FN. Dans tous les cas, ces deux familles de la droite parlementaire, orléanistes et bonapartistes, sont en instance de divorce. Les LR sont face au dilemme suivant la tentation Macron ou la tentation Marion. Aux premiers, le progressisme, aux seconds, le conservatisme.

Quand la droite ignore sa propre nature

Quelle forme politique pourrait prendre ce conservatisme ?

« Le malheur, c 'est que la gauche ne croit pas au péché originel et que la droite ne croit pas à la rédemption », disait jadis André Frossard. Ce n'est plus vrai aujourd'hui. La droite orléaniste ne croit plus au péché originel, si tant est qu'elle n'y ait jamais cru. Elle en ignore les ressources théologiques et anthropologiques, une anthropologie sans angélisme ni vaines illusions sur la condition humaine, trop humaine, étrangère à une droite ralliée au progressisme, pour qui le conservatisme ne se confond plus qu'avec des archaïsmes catégoriels et des blocages corporatistes. Cette droite est mouvementiste, en marche, croissanciste, et ne s'assume plus qu'au prix d'un reniement et d'un ralliement. L'ignorance dans laquelle elle se trouve de sa propre nature l'a poussée à tourner le dos aux philosophies communautaires pour épouser un libéralisme échevelé dont elle ne veut pas voir les conséquences ultimes. Elle n'a plus de pensée sur le lien social, ni sur la façon dont les sociétés s'instituent et se perpétuent. Il faudrait un Flaubert ou un Léon Daudet pour dépeindre la vacuité de ce monde-là. La médiocrité d'un François Baroin, institué chef de file des LR pour les législatives, en dit long sur le sujet.

Il faut prendre cet état de fait pour ce qu'il est une véritable bénédiction en vue de la recomposition des droites. Le probable échec aux législatives sera peut-être le coup de grâce des LR. Accueillons-en l'augure. Macron a vidé les rangs de la droite, Baroin est en train de parachever son travail. Son empressement à reconduire le front républicain, alors que personne ne lui demandait rien, en fournit une démonstration supplémentaire. Les LR devront boire le calice jusqu'à la lie afin de faire place nette. C'est une chance historique pour une droite authentiquement de droite, au sens où Pierre Bourdieu appelait de ses vœux une gauche de gauche.

Et le FN ? Est-il susceptible de fédérer cette grande force de droite ?

À 40 % et plus, Marine Le Pen avait l'opportunité de s'imposer comme la seule alternative à droite. À 34 % et après un débat désastreux qui laissera des traces, il est permis d'en douter. Le FN est traversé par les mêmes divisions, même si la structure pyramidale du parti offre plus de garanties de survie. Sous l'emprise des frères Philippot, Marine Le Pen a mené une campagne chevènementiste récitée avec l'accent d'Arlette Laguiller. Au nom de la « triangulation » chère aux illusionnistes, le FN a parié sur l'effacement du clivage droite-gauche en croyant pouvoir agréger les « non » de gauche et de droite au référendum sur la Constitution européenne. Rappelons que la « triangulation » a été inventée par les clintoniens pour accoucher de la synthèse libérale-libertaire. Trianguler, c'est en apparence et en apparence seulement s'adresser à la gauche quand on est de droite, et inversement, dans l'esprit de la dialectique hégélienne thèse (droite), antithèse (gauche), synthèse (droiche). Car cette synthèse ne peut s'opérer qu'au centre. La triangulation a été conçue pour cela. Elle obéit aux forces centripètes du Système, qui, toutes, convergent, vers le parti unique de la pensée unique. Au fond, le FN a commis la même erreur que Sarkozy en 2007, l'ouverture à gauche, mais du moins ce dernier a-t-il attendu d'être élu. Logiquement, le parti de Marine Le Pen devrait subir une hémorragie de même nature que celle qui a affecté le FN canal historique après le 21 avril 2002, et ce n'est pas le toilettage cosmétique envisagé, le changement de nom, qui devrait changer les choses.

L'heure de la droite hors-les-murs aurait-elle enfin sonné ?

Cette droite hors-les-murs ne constitue pas un programme, mais un constat dressé très tôt par Buisson. Elle est à la jonction du conservatisme et du populisme. Or, le conservatisme a été le grand oublié de la campagne, exception faite de l'instrumentalisation de Sens commun. Il est pourtant en train de se renouveler et de se doter d'outils conceptuels à travers une nouvelle génération d'intellectuels. La Manif pour tous lui. garantit un réservoir militant et une grande capacité de mobilisation. Quant à la droite bonapartiste, si elle est en plein désarroi, la faute à sa générale en chef et à son principal conseiller qui ont enseveli le populisme sous une rhétorique tapageusement souverainiste et ouvriériste, elle n'en dispose pas moins d'un immense réservoir de voix.

Il n'a échappé à personne que c'est la stratégie que recommande Marion Maréchal-Le Pen, à rebours de celle adoptée par sa tante. Elle en appelle à la ligne Buisson - l'alliance du populaire et du régalien - qui a abondamment prouvé son efficacité électorale et à qui il ne manque qu'une personnalité d'envergure, ce qui n'est pas rien, pour réintégrer les murs, faute de quoi c'est toute la droite qui se retrouvera durablement hors-les-murs. De deux choses l'une soit le populisme et le conservatisme parviennent à trouver un modus vivendi, soit ils s'y refusent. Dans un cas, les perspectives de pouvoir s'ouvrent, dans l'autre, elles se referment.

C'est tout le sens de la « ligne Buisson », majoritaire dans le pays, mais étonnamment absente de la présidentielle. Rarement l'offre politique aura aussi peu coïncidé avec la demande du corps électoral. À lire les enquêtes d'opinion, dont le baromètre annuel Kantar TNS-Sofres sur l'image du FN, près de deux tiers des Français plébiscitent le FN sur les questions identitaires et sécuritaires, mais sans l'étiquette FN pour presque deux tiers d'entre eux. Autrement dit, les Français veulent bien du message, pas du médium. C'est dans ce hiatus que s'est glissée la droite hors-les-murs. C'est pour l'heure seulement une sorte de « shadow cabinet » dominé par les figures de Villiers, Zemmour et Buisson, qui, à eux trois, dessinent le portrait en creux d'une droite orpheline, pour l'essentiel conservatrice, qui empruntent des traits à la chouannerie, au bonapartisme et au catholicisme social. Un mélange de social-conservatisme. En Angleterre, on parlerait de « torysme rouge », un conservatisme rouge, dont Theresa May est la figure de proue, un torysme post-thatchérien, qui a pris la mesure des dégâts occasionnés par la mondialisation et fait sienne l'opposition chère au journaliste et essayiste britannique David Goodhart entre les « Anywheres » et les « Somewheres », les « gens de n'importe où » et les « gens de quelque part », les deux grands blocs historiques qui s'affrontent les diversitaires contre les identitaires.

Propos recueillis par l'abbé Guillaume de Tanoüarn monde&vie 8 juin 2017

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