De Gabriel Robin dans L'Incorrect :
"On l’oublie souvent, mais l’« union des droites » a existé dans la vie politique française, au moins durant les deux premières décennies de la Troisième République. C’est à l’aune de cette donne historique que l’on doit envisager quelle forme pourrait revêtir aujourd’hui l’union des droites.
Les alliances entre factions politiques à la fin du Second Empire, comme au début de la Troisième République, sont difficiles à appréhender. Les différents groupes composant la droite née des suites de la proclamation de la Troisième République, donc du traumatisme de la guerre franco-prussienne de 1870, s’ils avaient de grandes divergences, partageaient une même défiance à l’égard du retour à la forme républicaine des institutions de la nation française, sorte de miroir inversé du gouvernement d’Emile Ollivier qui avait précédé la chute du Second Empire.
Légitimistes, orléanistes et bonapartistes autoritaires nourrissaient tous le secret espoir d’abattre la gauche, alors unanimement républicaine, s’inspirant peut-être de la relation qui unit Jean-de-Dieu Soult, héros de la bataille d’Austerlitz, à Louis-Philippe durant la monarchie de Juillet. Un ressentiment qui culmina sous une forme paradoxale, baroque, sinon grotesque : le boulangisme. Suicidé sur la tombe de sa maîtresse, le Général Boulanger sut auparavant réunir autour de sa personne des républicains de gauche, mais aussi des nostalgiques de la monarchie et de fervents bonapartistes, qui financèrent cette drôle et pathétique épopée du XIXème siècle français finissant. Ainsi s’achevait « l’union des droites » en France. La tentation d’en finir avec la République n’était pas morte, loin s’en faut, surtout dans les cercles royalistes qui ont longtemps cru pouvoir y parvenir, notamment sous l’impulsion de l’Action Française de Charles Maurras. Hasard de l’histoire, les maurrassiens empruntèrent à Paul de Cassagnac, député bonapartiste jusqu’au-boutiste, l’expression « La Gueuse » pour désigner la République.
Ressusciter l’idée d’« union des droites » implique donc d’en mesurer la portée historique et politique. Il ne s’agit pas d’un concept anodin, mais bien de l’affirmation d’une volonté d’union de sensibilités extrêmement diverses face à un ennemi commun, un régime honni. Autour de quel programme (ou quelle détestation commune, ce qui serait plus précis en l’espèce) ? Avec quels hommes ? Tant de questions presque insolubles qui font du projet d’union des droites une hypothèse peu vraisemblable à l’heure où j’écris ces lignes. Auteur de La guerre à droite aura bien lieu – Le mouvement dextrogyre, Guillaume Bernard a bien tenté de tracer à grands traits ce que pourrait être l’union des droites au XXIème siècle : « L’unité de la droite ne viendra pas de la connivence des « chefs » mais de l’aspiration du peuple de droite à l’adoption d’une plateforme commune. Si les chefs ne suivent pas, la base n’aura pas d’autre solution que de se passer d’eux ».
Passons sur le fait que Guillaume Bernard se débarrasse un peu trop facilement des difficultés politiciennes, pour nous attarder sur le consensus politique qu’il entend construire. L’essayiste dégage cinq points, à ses yeux essentiels d’une vision politique de droite authentique : la défense de l’identité et du patrimoine hérité ; la restauration de l’autorité de l’Etat ; la promotion de la souveraineté nationale ; la «subsidiarité » censée garantir les libertés, notamment économiques ; et, le maintien d’une « conception traditionnelle » en matière de mœurs et de bioéthique. Ces principes pourraient-ils donc servir de programme commun d’une « union des droites » contemporaine ? Possible sur le fond. Au moins pour une partie de la sociologie de l’électorat de droite, plus engagée et généralement plus militante.
Mais n’y-a-t-il pas là aussi l’expression d’une forme d’idéal platonicien, que la réalité contredit le plus souvent ? Imagine-t-on le « peuple de droite », si l’on admet qu’il existe, se réunir spontanément autour d’une personnalité providentielle venue le guider vers la victoire ? Plus surréaliste encore, en créant ex-nihilo une plate-forme de démocratie directe et participative, totalement horizontale ?
Les difficultés pratiques sont réelles, sans compter que les principes ne sont pas un programme. Si le diable se cache dans les détails, cela n’est sûrement pas sans raison. Quid de la partie sur la souveraineté nationale, infiniment complexe ? Quid de la formule indiquant que le programme commun de la droite devrait défendre une « conception traditionnelle » en matière de mœurs et de bioéthique ? Il n’est pas difficile de percevoir les premières difficultés auxquelles feraient face les promoteurs actuels de l’union des droites, si d’aventure ils cherchaient à bâtir un outil agglomérant les différents courants d’un camp dont l’identité politique commune de ses partisans se réduit parfois au fait qu’ils ne soient pas de gauche ! [...]
Une première option pourrait donc consister à privilégier l’émergence d’une droite plurielle à la romantique et nébuleuse union des droites. L’idée de droite plurielle pourrait servir à former des coalitions aptes à gouverner, ses membres s’accordant pour remplir un minimum d’objectifs le plus efficacement possible, sans s’étouffer et faire de trop grandes concessions. En somme, il s’agirait du retour de Richelieu, pour qui la politique était l’art de rendre possible ce qui est nécessaire.
Seconde option offerte à la droite dite « authentique », plus étonnante : se résoudre à rester dans l’opposition un bon moment, en l’envisageant de manière productive. Dans des sociétés connectées, surinformées, l’opinion peut jouer un rôle de moteur historique en influençant les décisions prises par le gouvernement et en aidant les communautés de pensée à s’organiser en lobbys. Il ne s’agit pas à proprement parler de « métapolitique », mais de para-politique. Vaste sujet…"
Michel Janva