En mai de l’année dernière, Bruno Gollnisch était intervenu dans l’hémicycle du parlement européen pour exhorter de nouveau l’Europe à rendre coup pour coup, à résister à l’impérialisme américain. Il s’indignait de la résignation de l’UE devant l’embargo, l’universalité des sanctions décrétées par les Etats-Unis contre l’Iran, lesquelles impactent directement et lourdement les groupes français. En 2017, notions nous, des entreprises comme Peugeot et Renault, avaient vendu respectivement 443.000 et 162.000 voitures en Iran, soit à elles deux 40% d’un marché iranien de l’automobile en progression constante. Quant à Total, elle avait signé en novembre 2016 avec le gouvernement iranien un accord de principe pour le développement du champ gazier de Pars Sud situé dans le Golfe arabo-persique pour un montant de six milliards de dollars… Début février, l’Union européenne avait tenté de démontrer qu’elle était capable de tenir tête aux Etats-Unis. Plus précisément, rapportait euractiv, «Paris, Berlin et Londres (avaient) annoncé la création d’un mécanisme de troc (baptisé Instex) pour permettre aux entreprises européennes de commercer avec l’Iran malgré les sanctions américaines.» «Ils se sont engagés à trouver une solution pour permettre à l’Iran de continuer à commercer et notamment vendre son pétrole.»
Un renforcement des liens économiques dont l’intérêt est évident pour la France et les Européens, mais que certains expliquaient aussi par le souhait « que l’Iran continue de respecter les engagements pris dans le cadre de l’accord du 14 juillet 2015, notamment de cesser le programme lui permettant de se doter de l’arme nucléaire malgré la décision des États-Unis de se retirer et d’imposer de nouvelles sanctions économiques à la république islamique.» « L’Instex va permettre à l’UE de poursuivre un commerce licite avec l’Iran dans les domaines de la santé et de l’agroalimentaire , expliquait (le ministre français des Affaires étrangères) Jean-Yves Le Drian. Washington a déjà mis en garde les Européens contre les conséquences de leur décision de contourner ses sanctions contre l’Iran. Ces sanctions s’apparentent à un chantage contre les pays tiers qui commercent actuellement avec l’Iran : les entreprises européennes ou asiatiques se verront interdites de marché américain si elles continuent d’importer du pétrole iranien, ou d’échanger avec des banques iraniennes ciblées par Washington. Beaucoup devraient choisir les États-Unis, ou l’ont déjà fait.»
Bruno Gollnisch l’a dit et redit, la capacité de résistance de nos gouvernants doit aussi être jaugée à l’aune de leur soumission aux diktats juridiques de l’empire. En vertu du principe d’extraterritorialité, le droit américain permet ainsi à Washington d’intimider, de terroriser, de rançonner des entreprises étrangères pour des activités commerciales commises hors du territoire des Etats-Unis, pour peu que lesdites entreprises aient un lien avec les États-Unis…. le simple fait de faire des transactions en dollars établissant ce lien. Mais il ne s’agit pas tant de reprocher aux dirigeants de l’Amérique de défendre leurs intérêts (ou ce qu’ils considèrent comme tels) mais de regretter que nous défendions si mal ou si mollement les nôtres.
Le 8 mai 2018, Donald Trump avait annoncé le désengagement de Washington de l’accord nucléaire avec l’Iran conclu par son prédécesseur et le rétablissement des sanctions contre la République iranienne. Dans la foulée, l’ex directeur de la CIA, actuel secrétaire d’Etat américain , le faucon Mike Pompeo avait averti que les Etats-Unis tiendraient pour responsables les entreprises qui continueraient d’entretenir des relations commerciales dans certains secteurs avec Téhéran. Il avait assuré que « les Etats-Unis (exerceraient) une pression financière sans précédent sur l’Iran, avec les sanctions les plus fortes de l’Histoire, si Téhéran (refusait) de se plier aux exigences de Washington.»
Il y a deux jours rapportait Le Monde, Donald Trump a annoncé que les Etats-Unis n’allaient pas renouveler le 2 mai « les exemptions aux pays qui importent du pétrole iranien» qui avaient été accordées « pour six mois à huit pays importateurs de pétrole iranien. Parmi eux, l’Inde et la Chine, les deux plus gros clients de Téhéran. » «Cette décision a pour but de réduire les exportations iraniennes à zéro, pour soustraire au régime sa principale source de revenus, a expliqué la porte-parole de la Maison Blanche dans un communiqué. Concrètement, cela signifie que tout pays qui importera du pétrole iranien après le 2 mai sera soumis à d’importantes sanctions américaines…».
Une opération qui risque d’être très difficile à mettre en œuvre, soulignait cet article car la Chine, la Turquie et «même la Corée du Sud, pourtant alliée historique des Etats-Unis» ont fait savoir qu’ils refusaient de se soumettre à ce diktat de Washington. «Certains Américains espèrent opportunément pouvoir vendre à ces pays asiatiques du pétrole de schiste dont la production continue de croître aux Etats-Unis. Mais tous les pétroles ne se valent pas : les huiles légères américaines ne sont pas appropriées pour les raffineries coréennes ou indiennes, qui nécessitent des pétroles plus lourds.»
La question du pétrole de schiste est en effet au coeur de ce durcissement américain, puisque les Etats-Unis, selon certaines projections, pourraient redevenir de ce fait gros exportateurs d’or noir. La stratégie américaine viserait désormais à ligoter certains concurrents sur le marché de l’énergie fossile. Ce qui expliquerait aussi le pressing yankee sur un très important pays pétrolier comme le Venezuela, l’entreprise de déstabilisation et de mise sous contrôle en cours, sous prétexte de droits de l’homme et de démocratie, comme souvent …
Cette question des exemptions, notait encore Le Monde, avait laissé les « faucons de l’administration Trump sur leur faim (…) les plus radicaux accusant l’administration Trump de faire preuve de laxisme. Ainsi, le sénateur et ancien candidat à la présidentielle Ted Cruz a accusé, mi-avril, Mike Pompeo (…) pourtant présenté comme un dur, d’être trop complaisant. La ligne la plus dure l’a donc emporté au sein du département d’Etat. Mike Pompeo a expliqué, lundi, que le but de l’opération restait simple : priver le régime des fonds qu’il a utilisés pour déstabiliser le Proche-Orient depuis quarante ans et pousser l’Iran à se comporter comme un pays normal » (sic).
Cette hostilité vis-à-vis de l’Iran est une constante depuis l’entrée en fonction de Donald Trump, fidèle en cela à ses propos très durs lors de sa campagne présidentielle, lorsqu’il qualifiait l’Iran d’« État terroriste numéro un » . En février 2017, peu après la prise de fonction du président américain, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, avait manifesté une toute autre appréciation: «L’Iran n’a jamais été complice de liens avec le Front al-Nosra ou Daech (Etat Islamique) . En outre, l’Iran contribue à la lutte contre Daech. Nous avons longtemps préconisé l’idée de créer un front antiterroriste unifié. Je suis convaincu que l’Iran doit faire partie de notre effort commun si nous évaluons objectivement les contributeurs potentiels à une telle alliance.»
Alors, il ne s’agit pas d’idéaliser la République islamique d’Iran, mais certainement pas non plus de la précipiter dans un chaos sanglant. Invité récemment de l’émission d’Elie Chouraqui sur la chaine francophone israélienne I24, Eric Zemmour a jugé très sévèrement le bellicisme de Washington et de Tel-Aviv contre Téhéran, supputant une évolution de ce pays. L’essayiste a cité le général De Gaulle qui parlant en pleine guerre froide de l‘URSS, affirmait que la Russie éternelle triompherait du soviétisme en l’absorbant, qu’elle boirait le communisme comme le buvard boit l’encre. Il en sera de même de l’Iran avec son idéologie rigoriste qu’elle exporte dans l’arc chiite, veut croire M. Zemmour. Ce qui est évident, c’est que l’Iran actuel, république héritière de la nation (empire) Perse, d’une civilisation hautement raffinée plurimillénaire, mérite bien mieux que les caricatures grossières et les appels au lynchage. Déstabiliser l’Iran, pays en paix de 80 millions d’habitants, entouré par des voisins instables et/ou en crise, en encourageant la destruction de son économie pour créer les conditions d’une implosion, d’un soulèvement social relève d’un jeu extrêmement dangereux. Depuis la première guerre du Golfe, le Moyen-Orient mais aussi les Européens ont assez payé pour le savoir. Comme il est dit dans le psaume de David, abyssus abyssum invocat, l’abîme appelle l’abîme
https://gollnisch.com/2019/04/24/labime-appelle-labime-une-politique-americaine/