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Dans le piège du référendum

6a00d8341c715453ef0240a485f3ea200d-320wi.jpgEn date de ce 9 mai, le conseil constitutionnel validait pour la première fois une proposition de loi référendaire. Celle-ci s'appuie sur une disposition[1] de l'article 11, réformé en 2008, jamais appliqué jusque-là.

Ceci ouvre la voie à une censure de la privatisation d’ADP. Dans le cadre de cette procédure, ceux qu'on nomme abusivement les Sages ont ainsi confirmé leur propre montée en puissance au sein des institutions de la Cinquième république.

Les oppositions avaient tiré une première salve, le 10 avril, en ralliant 248 parlementaires à cette initiative. Droite et gauche avaient ainsi soutenu une proposition de loi tendant à sanctuariser "le caractère de service public national des aéroports de Paris-Charles-De-Gaulle, Paris-Orly et Paris-Le Bourget".

De la sorte, sur ce dossier précis d'Aéroport de Paris, va se jouer une épreuve de force entre,

- d'une part Macron, contraint par le délabrement des finances de l'État, mais soutenu seulement, sur le terrain, par l'organisation de ses fidèles bras cassés de la République [soi-disant] en marche,

- et pratiquement l'ensemble des autres forces politiques...

Il va falloir maintenant, pour franchir la deuxième étape, que, toutes oppositions confondues, RN comme PCF, LR comme LFI s'emploient (conjointement ?) à recueillir, dans un délai de 9 mois, la signature de 4 717 396 d'électeurs français, seuil précis rappelé par la décision du conseil constitutionnel.

Certains salueront sans doute la nouveauté institutionnelle depuis l’inscription du RIP dans la Constitution.

Or, dès maintenant il s'agit surtout d'un important revers pour l’exécutif.

Depuis son adoption en 1968 la Constitution a toujours reconnu le principe des référendums. Inchangé depuis 60 ans, son article 3, alinéa 1, a été rédigé ainsi : "La souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum."

Ceci tend, de façon très claire, à équilibrer démocratie représentative et démocratie directe.

Après qu'il eut été élu en 1958 au suffrage indirect, et après avoir mis fin à la guerre d'Algérie de façon dramatique, De Gaulle ouvrit en 1962 une nouvelle crise politique. Il proposa le 20 septembre, une réforme de l'article 7 fixant le mode d'élection du chef de l'État. Celle-ci allait aboutir au système qui fonctionnait encore[2] en 2017. L'ensemble des partis protestèrent ; il se forma un cartel des non. Président du Sénat, Gaston Monnerville qualifia de "forfaiture" la signature, par le Premier ministre, du décret du 3 octobre, officialisant le projet. Le 5 octobre, la coalition hétéroclite des radicaux et des démocrates chrétiens, des indépendants-paysans, des socialistes et du PCF, vota contre le gouvernement Pompidou[3]. Le 28 octobre, le oui l'emporta par 62 % des voix. L'Assemblée fut dissoute et des élections législatives se déroulèrent les 18 et 25 novembre. Elles ne traduisirent pas vraiment une adhésion au parti gaulliste : ses candidats n'obtinrent que 32 % des voix[4]. Mais, fort de 230 députés et appuyé par les 18 giscardiens, il allait pouvoir gouverner. Les modérés du CNIP[5] perdirent 97 sièges, le parti communiste passant de 10 à 41 députés.

Entre-temps et dans ce contexte, le Conseil constitutionnel, par une Décision du 6 novembre 1962, avait, considéré que le référendum représente "l'expression directe de la souveraineté nationale". Ceci est devenu doctrine officielle du droit public.

Sous la Cinquième république, méfiante vis-à-vis des élus, la pratique référendaire a donc d'ores et déjà connu une vogue sans précédent dans l'histoire si mouvementée de la démocratie française.

On peut dire aussi que le recours, dans certaines circonstances, au référendum, marque particulièrement la conception gaullienne du pouvoir. La doctrine en remonte au discours de Bayeux de juin 1946 où le chef de la France libre, démissionnaire depuis 6 mois de la présidence du Conseil, affirmait la nécessité d'un accord avec "le peuple dans ses profondeurs". Quand, en avril 1969 cet accord eut manifestement disparu, le vieil homme retourna à Colombey-les-Deux-Églises, "dans sa solitude et son chagrin".

Dans la procédure en cours, une fois atteint le nombre de 4,7 millions de signatures, ce qui imposera une importante mobilisation militante des opposants, la question deviendra pour ou contre Emmanuel Macron[6]. Les sondages les plus optimistes évaluant autour de 25 % le nombre de ses partisans, voilà qui peut conduire le pays à une crise politique majeure et inattendue.

Très vite le débat référendaire se déplacera.

On entendra les arguments les plus variés.

Les uns se réclameront de l'étatisme, de gauche ou de droite, contre toutes les formes de privatisation. À plus juste titre, d'autres dénonceront un capitalisme de connivence, qui ne saurait se confondre avec la libre entreprise ; on rappellera aussi les erreurs récurrentes et systémiques commises par la haute administration, notamment dans la rétrocession des autoroutes au capital privé. Plus largement, on peut faire confiance à l'obsession antilibérale française[7] pour s'emparer de la campagne. Et on mesurera sans doute en cette occasion la justesse de l'observation amère de Nicolas Lecaussin : "Macron réussit à discréditer le libéralisme sans le pratiquer !"[8]

Soulignons par ailleurs que l'engagement du chef de l'État dans le soutien à la liste de Mme Loiseau peut également conduire à une censure personnelle. Le scrutin européen du 26 mai risque de préfigurer un référendum-plébiscite. Que l'argument ait été utilisé par la présidente d'un parti d'opposition ne l'empêche pas d'exprimer une vérité. Un échec de la liste présidentielle pourrait délégitimer gravement la présence de Jupiter en son Olympe.

JG Malliarakis  

Apostilles

[1] Article 11 alinéas 3 et 4 de la Constitution.
[2] Seule la durée du mandat a été ramenée à 5ans, au lieu de 7, en l'an 2000.
[3] Ce fut l'unique motion de censure adoptée depuis la fondation du régime gaullien.
[4] L'ensemble des candidats étiquetés Majorité présidentielle n'avait obtenu que 39 % des suffrages.
[5] Parmi lesquels siégeaient quelques ténors de l'Algérie française, dont Jean-Marie Le Pen.
[6] Un correspondant particulièrement estimable signale "une erreur dans [mon] analyse institutionnelle. Le mécanisme du référendum d'initiative partagée, dans la rédaction actuelle de l'article 11 de la constitution, quand bien même le texte obtiendrait les 4 millions et quelque de signatures (seuil trop haut à mon sens), n'emporte pas consultation des citoyens, sauf si le Parlement refuse d'examiner le texte dans les 6 mois. Dans le cas contraire, l'examen par les deux chambres suffit à purger la question." En fait, on peut craindre que cette hypothèse coûte très cher à la popularité du président qui bloquerait ainsi le vote des citoyens.
[7] cf. le livre de Nicolas Lecaussin consacré à cette obsession, aux Editions Libréchange.
[8] cf. son entretien publié par Le Figaro le 31 mars.

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