Chroniqueur vedette de l’émission hebdomadaire « Synthèse » diffusée sur la Web-radio de TVLibertés, auteur d’un Carl Schmitt très remarqué aux éditions Pardès et collaborateur régulier de Livr’Arbitres, de Réfléchir & Agir et d’Éléments, Aristide Leucate publie un recueil d’articles organisé en dictionnaire, ce qui permet une approche thématique intéressante, en particulier autour du concept novateur de « Grand Épuisement » qui répond à cette réalité vérifiable à chaque rentrée scolaire de septembre en consultant la liste des élèves de chaque classe de France et de Navarre, de la Petite Section à la Terminale, le « Grand Remplacement ».
Par « Grand Épuisement », Aristide Leucate annonce un grand dérangement pour les habitants de notre continent, terme historique désignant déjà la déportation ethnocidaire des Acadiens par les Anglais entre 1755 et 1763. Pessimiste, il estime que les peuples autochtones d’Europe s’étiolent, s’affaiblissent et sombrent dans la dépression psychologique collective, l’acéphalie historique et l’énervement (dans son acception initiale correcte) politique. Sinon comment expliquer l’élection d’Emmanuel Macron et avant lui de François Hollande et de Nicolas Sarközy, voire d’un Jacques Chirac ? Ils sont des exemples idoines qu’« il est désormais accessible à n’importe qui de briguer la charge suprême de l’État (p. 27) ». Cette nouveauté lamentable coïncide avec la fin du militantisme actif. Avant même l’irruption politico-sociale des Gilets Jaunes, l’auteur voyait dans l’échec complet de La Manif pour Tous « le rendez-vous manqué d’un peuple aboulique (p. 20) ».
Il n’hésite pas à frapper notre société hexagonale malade là où ça fait le plus mal. S’il juge que « le réveil populiste est, en effet, la condition d’une insurrection conservatrice (p. 23) », pure spéculation politique dont les quelques rares tentatives ont surtout montré l’impossibilité des conservateurs à encadrer réellement une population fort en colère, il avance néanmoins avec audace et à l’encontre de bien des certitudes que « le populisme est impolitique par son orgueilleuse propension à se percevoir comme l’éther de la souveraineté pure, lors même que toute politique conséquente s’ancre sur le réel, c’est-à-dire sa capacité à décider en fonction données dudit réel et au regard des intérêts du bien commun et non des désidératas du peuple (p. 286) ».
Aristide Leucate reste cependant marqué par l’enseignement de Charles Maurras. Il fait un sympathique aveu, ce qui lui vaudra bientôt un long séjour au bagne rétabli de Cayenne : « Nous sommes anti-républicain forcené, viscéral, rabique (p. 315). » Il se justifie par le fait que « l’État a subi une quasi-transsubstantiation, la République (avec la majuscule), s’étant parfaitement identifiée à l’État au point de s’être confondue avec lui (p. 24) ». Le sordide régime ripoublicain en prend donc pour son grade. Preuves historiques à l’appui, l’auteur rappelle que « la République, née dans le sang, s’est toujours complu dans une anthropologie de la destruction – transformation de l’homme (p. 316) ». La Ire République se construit sur le meurtre de Louis XVI et le génocide vendéen. L’éphémère IIe République se bâtit sur le massacre des ouvriers parisiens en juin 1848. L’ignoble IIIeRépublique commence par la trahison et le renversement du Second Empire en 1870, puis par le consentement de la défaite et l’extermination de la Commune l’année suivante. La IVe République s’édifie sur l’inacceptable Épuration. Quant à la Ve, malgré toutes ses qualités polémogènes, elle se fonde sur le sanglant mensonge algérien. Mais n’est-ce pas propre au politique, terrain de chasse préféré du Loup et du Renard ?
De nos jours, « cette République divinisée va même jusqu’à générer son propre diable, jadis le lepéniste, aujourd’hui l’islamophobe ou le populiste, toute critique adressée à ses prêtres étant considérée, par surcroît, comme sacrilège ou blasphématoire. Les communions antiracistes, holocaustiques et autres processions citoyennes du type “ Je suis Charlie ” s’agrègent aux canonisations panthéoniques et autres indulgences que l’on ose encore qualifier de légion d’honneur. Et pendant ce temps, la masse de fidèles que représente le peuple doit adhérer au catéchisme Républicain (p. 26) ». La lamentable loi Avia contre une évanescente « haine » sur Internet renforce l’embrigadement légal et circonstancié de la pensée. Le pire est cependant atteint avec les propositions liberticides de la tristement célèbre Commission Ressiguier d’enquête parlementaire contre les groupuscules d’extrême droite. Parmi les nombreuses recommandations législatives, on y trouve la pénalisation de certaines idées (ce qui rendrait la publication de ce dictionnaire infaisable et qui enverrait l’auteur et l’éditeur en cellule de haute-sécurité tandis que les prisons les plus confortables reviendraient aux trafiquants de drogue, aux tueurs de personnes âgées et aux assassins d’enfants…).
L’engagement monarchiste d’Aristide Leucate ne l’empêche toutefois pas d’asséner que « nous sommes Européens, parce que royalistes, donc nationalistes, c’est-à-dire attaché à la souveraineté (donc aux libertés) de nos pays (p. 164) ». Que l’Europe impériale soit un jour couronnée, pourquoi pas ? L’auteur oublie toutefois deux points qui faussent sa réflexion. D’une part, le nationalisme est le digne rejeton de la Révolution de 1789. Qu’il (re)lise donc Les deux patries de Jean de Viguerie ! D’autre part, on reste dubitatif devant la complaisance, voire la compromission des dynasties régnantes envers la Modernité. Tous les souverains européens ont entériné les divers traités soi-disant européens (Maastricht, Amsterdam, Nice, Lisbonne, etc.) et validé les régressions sociétales comme l’homoconjugalité, l’avortement (exclu cependant comme moyen de régulation eugénique), l’euthanasie ou l’abolition de la peine de mort. À l’exception de certains princes Capétiens et Habsbourg et de la famille princière souveraine de Liechtenstein, les anciennes noblesse et aristocratie ont capitulé devant la Modernité tardive.
Aristide Leucate devrait prendre connaissance des écrits de feu Rodolphe Crevelle. Outre un intérêt marqué pour la décroissance, sujet que Leucate ne mentionne pas bien qu’il la suive avec attention, le fondateur et principal animateur du mythique mouvement activiste Le Lys Noir théorisa l’« anarcho-royalisme » et salua la résistance typique du souverain Hans-Adam II de cette principauté alpine germanophone. Il considérait l’organisation institutionnelle de Vaduz comme une remarquable complémentarité entre le droit divin et la souveraineté populaire, combinaison complexe qui existe aussi dans un contexte très différent en République islamique d’Iran. On ne peut qu’inviter l’Ami Leucate à se pencher sur le Liechtenstein, il en reviendra probablement enthousiasmé !
Si son Europe demeure bien nébuleuse, on se doit de réprouver son interprétation sur l’européisme identitaire de Dominique Venner. « L’analyse de l’historien était gouvernée par l’axiomatique ethno-fédéraliste de l’Europe des régions, occultant arbitrairement les génies nationaux sans lesquels, précisément, cette Europe aux “ cent drapeaux ” n’eut vraisemblablement jamais éclose dans l’esprit fertile des sectateurs de l’Europe charnelle (p. 362). » Il confond ici, volontairement ou non, Dominique Venner et Jean Mabire. Le premier ne souscrivait pas à la vision ethno-régionaliste paneuropéenne du second. En précurseurs du « gallovacantisme » ou du « francovacantisme », ces deux grandes figures savaient dissocier la France par essence albo-européenne d’un État républicain sans pour autant vouloir fondre le peuple-noyau gallo-français dans un quelconque magma cosmopolite. Leur réponse respective dépassait de loin la théorie plus que bancale du « nationalisme blanc » promu dans l’espace francophone par quelques hurluberlus guère futés.
Aristide Leucate est lui aussi dubitatif à propos de cette idée d’origine anglo-saxonne. « Inopérant à une époque, pas si lointaine, où l’Europe était à peu près racialement et ethniquement homogène, le concept de “ nationalisme blanc ” n’est, toutefois, guère plus recevable aujourd’hui, même à l’heure blafarde du turbo-remplacisme ethnocidaire. Nous considérons, en effet, qu’il est atteint d’un vice rédhibitoire, celui d’avoir été forgé par les héritiers de ceux-là mêmes qui, au nom de la “ Destinée manifeste ”, n’eurent aucun scrupule à massacrer les autochtones, ces premiers natives dont les descendants, convertis au consumérisme de masse de la société liquide (selon l’expression chère à Zygmunt Bauman), commencent à peine à s’extraire de leurs réserves muséales pour aller s’entasser dans les tentaculaires villes-dortoirs de la côte Ouest des États-Unis (p. 259). » Pas sûr que les contributeurs d’un site favorable à un espace continental hyper-super-méga blanc apprécient cette réponse…
En dépit de quelques critiques et divergences réelles, ce Dictionnaire du Grand Épuisement français et européen constitue un ouvrage de combat. Il démontre pleinement que loin d’être épuisé, Aristide Leucate assume à la perfection la belle fonction de professeur d’énergie nationale.
Georges Feltin-Tracol
• Aristide Leucate, Dictionnaire du Grand Épuisement français et européen, préface de Pierre Le Vigan, Dualpha, coll. « Patrimoine des héritages », 2018, 393 p., 33 €.
http://www.europemaxima.com/affronter-le-grand-epuisement-par-georges-feltin-tracol/