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Gramsci, Théoricien du pouvoir culturel

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Antonio Gramsci naît en Sardaigne, en 1891 Bossu et fils d'un modeste fonctionnaire emprisonné pour corruption, il vit une enfance difficile, mais studieuse. En 1911 il obtient une bourse pour l'Université de Turin, où il se spécialise en linguistique.

Du Parti socialiste au Parti communiste

En 1913, il rejoint le Parti socialiste italien (PSI), et écrit bientôt régulièrement dans ses journaux, notamment dans les colonnes d'Avanti. Le jeune Gramsci, bien que révolutionnaire, n'a que mépris pour le déterminisme scientifique des marxistes orthodoxes. En revanche, il admire l'activisme de Georges Sorel, théoricien du syndicalisme-révolutionnaire dont s'inspirera Benito Mussolini, et le spiritualisme néo-hégélien du philosophe Benedetto Croce.

Inspiré par la Révolution russe de 1917 qui symbolise à ses yeux le triomphe de la volonté sur les circonstances économiques, Gramsci s'engage activement dans la lutte politique. En 1919-1920, il devient l'une des figures dominantes des Conseils ouvriers italiens, dont la théorie s'élabore dans l'hebdomadaire Ordine Nuovo « Ordre Nouveau »).

En janvier 1921, il participe à la fondation du Parti communiste italien (PCI), section de la IIIe Internationale. Or après avoir d'abord choisi d'accélérer les scissions communistes au sein des partis socialistes et sociaux-démocrates européens, Lénine change radicalement de position, à partir de cette année 1921 et prône une politique de Front populaire qu'il juge seule susceptible d'endiguer le retour de la « réaction ». Au sein du PCI, cette volte-face provoque un affrontement entre Gramsci, devenu en 1922 membre du comité exécutif du Komintern, et Amadeo Bordiga, qui refuse toute collaboration avec les « sociaux-traîtres » c'est-à-dire les sociaux-démocrates. Devenu secrétaire général du PCI en 1924, Gramsci est élu député la même année.

Il est finalement arrêté, transféré dans l'île d'Uttica, et condamné en 1926 à vingt ans de prison par le régime mussolinien. C'est dans sa cellule qu'il écrit ses œuvres théoriques majeures, des essais et des notes, en particulier ses Cahiers de Prison, trente-trois fascicules rédigés entre 1929 et 1935, qui seront publiés après sa mort, intervenue le 25 avril 1937 dans une clinique italienne, du fait de la tuberculose.

Contre le matérialisme dialectique

Antonio Gramsci est un théoricien du marxisme hégélien, une interprétation de Karl Marx qui met l'accent sur l'homme en tant que sujet capable de réflexion. C'est pourquoi il attaque avec virulence le matérialisme dialectique. Selon lui, Marx ne voulait pas substituer purement et simplement la Matière à l'Idée hégélienne, mais accordait la priorité à l'organisation productive de la société, ce qui intègre, bien évidemment, l'action humaine consciente. S'opposant aux marxistes orthodoxes, il refuse la réduction de l'homme à un simple objet matériel, sujet des lois dialectiques qui gouvernent le monde de la nature, et récuse ceux qui voient dans le marxisme un système clos, incapable de prendre en compte les faits empiriques.

Il insiste, au contraire, sur l'homme-créateur, et s'oppose, par conséquent, aux conceptions fatalistes du marxisme, qui établissent des lois immuables sous-jacentes à l'évolution sociale. C'est ainsi que, selon lui, la libération de l'homme n'est pas la conséquence inéluctable de la logique interne du capitalisme. Et puis, le déterminisme économique évite également de s'interroger sur les véritables causes de persistance du capitalisme. Les disciples de Marx, en réduisant la pensée à un « reflet » du processus de production, ont sous-estimé le pouvoir des mythes et des idées. Or, la cohésion de la société bourgeoise moderne vient avant tout de l’hégémonie - c’est-à-dire de la suprématie spirituelle et culturelle des classes dirigeantes qui, grâce à la manipulation de la société civile, ont réussi à imposer leurs valeurs et leurs convictions à l'ensemble de la population.

Société politique et société civile

Gramsci renouvelle la distinction traditionnelle faite entre société politique et société civile. Pour lui, la société politique désigne les appareils à dominante répressive, qui disposent de la force matérielle agissant sur les corps, et exercent la contrainte armée, police, magistrature, administration. La société civile désigne, elle, les appareils à dominante idéologique qui disposent de la force intellectuelle ou morale agissant sur les esprits et représentent l’hégémonie institutions religieuses, scolaires, médiatiques, culturelles, etc. En quelque sorte, le pouvoir culturel.

La grande erreur des communistes, remarque Gramsci, a été de croire que l'Etat se réduit à un simple appareil politique. En réalité, l'Etat « organise le consentement » c'est-à-dire, dirige, non seulement en utilisant son appareil répressif, forces armées, police et justice, mais aussi par le moyen d'une « idéologie implicite » reposant sur des valeurs admises par la majorité de la population. Alors que la société politique a pour but d'assurer par la contrainte, la réalisation des intérêts de la classe dominante, la société civile a pour but d'entraîner par la persuasion, l'adhésion de la classe dominée aux valeurs de la classe dominante. D'où la formule de Gramsci « La société politique est le prolongement armé de la société civile, la société civile est le prolongement intellectuel de la société politique. » En résumé, l'Etat, c'est « l'hégémonie cuirassée de contrainte »

Les fonctions d'hégémonie et de contrainte pouvant être remplies aussi bien par des organes publics que privés, Gramsci donne finalement une nouvelle définition de l'Etat « L'ensemble des organes privés ou publics par lesquels s'exerce l'emprise du groupe dominant. »

Conquérir le pouvoir culturel

En Europe occidentale, la société civile joue un rôle considérable. Malheureusement, constate Gramsci, les mouvements communistes des années 20 ne l'ont pas vraiment perçu et n'en ont pas assez tenu compte pour l'élaboration de leurs stratégies de conquête du pouvoir. En effet, ils ont été trompés par l'exemple de la Révolution russe de 1917 Or si Lénine a pu s'emparer du pouvoir par un simple coup de force, c'est parce qu'en Russie la société civile était pratiquement inexistante. Au contraire, dans les sociétés modernes occidentales, il n'y a pas de prise du pouvoir politique possible sans prise préalable du pouvoir culturel. C'est ce que démontre, par exemple, la Révolution française, qui a été préparée par une révolution des esprits, en l'occurrence la diffusion des idées de la « Philosophie des Lumières » auprès de l'aristocratie et de la bourgeoisie avant de trouver son aboutissement pratique en 1789.

« Un groupe social, écrit Gramsci, peut et même doit être dirigeant dès avant de conquérir le pouvoir gouvernemental c'est une des conditions essentielles pour la conquête même du pouvoir » Ce que l'on peut résumer ainsi pour obtenir de façon durable la majorité politique, il faut d'abord obtenir la majorité idéologique. Pour Gramsci, sur ce point en totale opposition avec le léninisme classique, la prise du pouvoir ne s'effectue pas par un putsch, par une insurrection politique qui s'empare des postes de commandement de l'Etat, mais avant tout par un long et patient travail idéologique dans la société civile permettant de préparer le terrain grâce à un lent remodelage des esprits. Il s'agit de mener une véritable guerre de position dont l'enjeu est la culture. D'où le rôle décisif des intellectuels.

Le rôle des intellectuels

Effectivement, ce sont les intellectuels qui ont la charge de l'hégémonie. Gramsci les définit comme « les fonctionnaires de la superstructure qui agissent pour le compte de la classe dominante » Leur travail idéologique est orienté et canalisé par diverses institutions ayant pour rôle de produire un même discours. L'Ecole, l'Art, la Littérature, par exemple, font partie de ces institutions de « contrôle idéologique » Entre l'infrastructure socio-économique et la superstructure politico-idéologique se produit une interaction, un rapport dialectique, qui se modifie à chaque époque, suivant les caractères que revêtent l'infrastructure et la superstructure, et constitue le bloc historique. Au cours de l'histoire, chaque classe dominante correspondant à un mode de production, secrète donc son propre type d'intellectuels, qui assure la cohésion du bloc historique.

Pour Gramsci, le sujet de l'Histoire n'est plus le Prince, ni l'Etat, ni le Parti mais l'avant-garde intellectuelle liée à la classe ouvrière qui, par un lent « travail de termite » doit remplir une « fonction de classe » en se faisant le porte-parole du prolétariat et en lui donnant l’« homogénéité idéologique » et la conscience nécessaires pour assurer son hégémonie. C'est pourquoi, parallèlement au travail directement politique, préconise-t-il un « travail culturel » visant à substituer une « hégémonie culturelle prolétarienne » à l'« hégémonie bourgeoise » Il n'hésite d'ailleurs pas à détailler certains moyens à utiliser création de « héros socialistes » promotion du folklore, du théâtre, de la chanson, etc.

Gramscismes de Gauche et de Droite

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les Cahiers de Prison de Gramsci connaîtront un succès considérable et exerceront une très grande influence, d'abord sur le Parti communiste italien, ensuite sur divers mouvements de gauche et d'extrême-gauche européens. En France, le philosophe Louis Althusser l'un des principaux intellectuels du Parti communiste français dans les années 60-70, reprendra la distinction introduite par Gramsci entre société politique et société civile, contrainte et hégémonie. Il opposera, en effet, l’appareil répressif d'Etat (justice, police, armée), qui exerce principalement la violence, aux appareils idéologiques d'Etat (institutions religieuses, scolaires, familiales, culturelles, de l'information), qui, elles, exercent principalement l’idéologie.

Toujours en France, mais à l'autre bout de l'échiquier politique, naîtra, en pleine agitation soixante-huitarde, le GRECE (Groupement de Recherche et d'Etudes pour la Civilisation Européenne) que les média nommeront, dix ans plus tard, la Nouvelle droite. Ses promoteurs, de jeunes journalistes, universitaires et chercheurs, pour la plupart anciens de la Fédération des Etudiants Nationalistes et d'Europe-Action, dirigés par Alain de Benoist. Leur objectif, défini à la lecture des textes de Gramsci redonner un bagage idéologique cohérent à la Droite, reconquérir le terrain culturel abandonné depuis de trop longues années à la Gauche, et constituer une intelligentsia de Droite. Antonio Gramsci sera l’une des références officielles du GRECE, ainsi que l'illustre le thème de son XVIe colloque national, « Pour un gramscisme de Droite » au cours duquel Alain de Benoist affirmera « Aussi longtemps qu'on n'aura pas réalisé qu'un cours de l'université peut être plus important qu'une conférence de presse ou que le programme d'un parti, que Jacquou le Croquant a plus fait pour la venue de la Gauche au pouvoir que les déclarations de Pierre Mauroy et qu'à la télévision le plus important n'est pas le journal de vingt heures mais ce qui vient après, on courra très régulièrement, très normalement, très justement à l'échec. » Toutefois, le GRECE fera une mauvaise interprétation du gramscisme en adoptant la stratégie métapolitique du tout-culturel et du tout-intellectuel, aux dépens de la politique. C'était oublier que le combat culturel prôné par Antonio Gramsci s'articulait avec le combat politique du PCI…

Aujourd'hui le Système mondialiste nous a déclaré la guerre culturelle. Il cherche à subvertir les valeurs propres de la jeunesse européenne dans le but de lui imposer des modes américanomorphes dans le domaine musical (rap artistique (tag) culinaire (fast-food) Nous devons nous battre sur tous ces fronts, afin de substituer une « hégémonie culturelle identitaire » à l'actuelle « hégémonie mondialiste »

Réfléchir&Agir N°09 ETE 2001

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