La tuerie de Charlie Hebdo n’a qu’un lustre et pourtant paraît relever d’une autre ère. L’affaire Mila – du nom de cette adolescente lynchée pour avoir raconté dans une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux son aversion pour l’islam, en des termes peu amènes – est venue le prouver sans appel. La façon dont la presse française a traité cette affaire, généralement avec des pincettes ou du bout des lèvres témoigne surtout de l’affaiblissement du courage. Apparemment, nous aimons bien la liberté d’expression, à condition qu’elle ne nous coûte pas trop cher.
Une alouette de courage, un cheval de plat ventre
Du côté des bonnes nouvelles, on notera pourtant la courageuse réaction de Laurent Joffrin dans Libération appelant à conserver l’esprit français de la satire anticléricale, sans céder à des « oui, mais ». Assez rare pour être marqué d’une pierre blanche.
Dans L’Obs, si madame Dominique Nora soutient aussi Mila, c’est aussitôt pour se plaindre que « dans cette triste fable de la cyber-haine ordinaire (…) Mila est aussitôt récupérée par la droite extrême. Frange dure de la cathosphère, Rassemblement national, Debout la France et patriotes de tous poils – peu regardants, pour une fois, sur l’homosexualité de la « résistante » – volent à son secours ». On ne savait pas que la droite RN se caractérisait par sa haine des homosexuels… Madame Nora s’interroge sur l’absence des « voix de gauche », persuadée apparemment que ladite gauche se caractériserait par son courage dans la défense de la liberté d’expression, ce qui paraît historiquement douteux, comme disait Guy Debord, « je ne suis pas de gauche, je n’ai jamais dénoncé personne »..
Dans le journal d’extrême gauche Politis, l’éditorialiste Denis Sieffert se livre à un curieux exercice de faux équilibrisme, signe surtout d’une lâcheté opiniâtre : « Bien sûr qu’il faut défendre la jeune Mila, écrit-il. Mais sans donner à penser qu’elle a banalement exercé un droit qui fait la fierté de notre République ». Et de continuer sans rougir : « Et puis, imagine-t-on un instant que la même insulte soit adressée à des chrétiens ou à des juifs ? » Outre le fait que pour les juifs, chez qui se mêlent ethnie et religion, il s’agirait de préciser à qui l’on s’adresse, oui, en effet, on imagine sans peine des Français insulter le Dieu trinitaire ou Yahvé, y étant même souvent encouragés par ceux qui y voient une manière de se libérer du méchant carcan de la religion. Ou qui y voyait, faudrait-il dire, puisque depuis que la religion musulmane a été importée en France, certains laïcards de gauche se découvrent une soudaine envie de respecter, de s’intéresser à, voire d’aimer « les religions ».
Des questions qui ne sont pas des questions (sic)
Sans surprise, l’inénarrable émission « Clique » animée par Mouloud Achour sur Canal+, toujours proche de collaborer avec tous les communautarismes, a donné la parole sans contradiction à l’écrivain Édouard Louis, qui s’est ému des propos de la petite Mila. Pourtant lui-même homosexuel revendiqué, comme Mila, l’homme s’est écrié : « La liberté d’expression, c’est connaître les questions que l’on peut poser et les questions que l’on ne peut pas poser. Il y a des questions qui ne sont pas des questions mais qui sont des insultes». Jusqu’à présent, on croyait bêtement que la liberté d’expression, comme son nom l’indique, ne souffrait pas de limites, sauf l’injure envers les personnes. Selon le gratin germano-pratin parlant par la bouche de Monsieur Louis, il faut croire maintenant en cet axiome sibyllin : « La démocratie, c’est aussi(surtout) la capacité à clore des sujets », c’est-à-dire à se taire quand cela dérange certains.
Aubaine pour la droite ?
Le Figaro a certes sonné la charge contre les intimidations et menaces issues des réseaux sociaux, à travers son bras armé de défoulement conservateur, le Vox. Mais aucun directeur du journal ne s’est fendu d’un éditorial de défense, tous gardant un prudent silence.
De même dans Le Monde. Sous la plume de Sarah Bellouezzane, Le Monde a vu dans cette affaire seulement une aubaine pour la droite LR : « Il est des totems qu’il est bon d’agiter régulièrement », écrit la journaliste, sous-entendant que la droite classique s’apprêterait à « surfer » sur l’affaire pour se refaire une santé aux municipales.
Le refrain habituel de la bien-pensance journalistique s’est rapidement mis en place : défendre Mila que défend la « fachosphère », c’est donner des armes à la haine. Aussi la France du centre s’est-elle trouvée bien embarrassée, ne sachant sur quel pied danser.
Mila, invitée sur Quotidien chez Yann Barthès, a déclaré ne rien regretter du fond de ses propos, même si elle notait que ses paroles avaient pu blesser. De son côté, Monsieur Hanouna, en présence du militant islamiste Yassine Bellatar s’est exprimé ainsi : « Je ne supporte pas ce genre d’insultes. J’aime pas trop qu’on rigole ou qu’on insulte des religions. Je sais que c’est le droit au blasphème, mais elle ferait mieux de se calmer et rester dans son coin pour que tout rentre dans l’ordre ».
Vox hanouni, vox populi ? C’est bien ce sentiment d’une sorte de « pétainisme » qui semble ressortir du traitement de l’affaire : ce que nous voulons, c’est que l’ordre règne en France, pour que tout puisse continuer comme avant. Hier on plébiscitait le Maréchal par peur de la Wehrmacht. Aujourd’hui, une bonne partie de la caste journalistique veut faire taire toutes les Mila par peur d’être taxé d’islamophobie.
Article repris du site OJIM